Payar, des roues à la place des pieds

yayaEntretien avec Yaya Cissokho, Directeur de l’école élémentaire de Payar, arrondissement de Koupentoum, communauté rurale de Kouthiaba, département de Tambacounda.

A 160 km de Tambacounda, son lieu de résidence, M. Yaya Cissokho dirige une école élémentaire qui regroupe 144 élèves dans 4 classes de CI à CM2. En plus de sa charge de direction d’école, il assure la coordination des 11 écoles élémentaires dispersées dans la zone couvrant un rayon de 30 km. L’aire de recrutement des élèves de l’école de Payar s’étend sur un périmètre de 5 km autour du village. L’évocation de toutes ces distances donne le ton pour introduire le sujet de préoccupation de M. Yaya Cissokho quant à ses élèves âgés de 7 à 12 ans qui doivent pour certains parcourir 10 km par jour afin de suivre les cours.

 


Comment avez-vous pris la nouvelle de votre affectation dans une école située à 160 km de Tambacounda dont 60km se parcourent sur des pistes ?

Je l’ai très mal pris et je l’ai considéré comme une sorte de sanction, mais dès que j’ai constaté au cours de ma première semaine de fonction que des jeunes enfants parcouraient chaque jour jusqu’à dix kilomètres à pied pour se rendre à l’école, alors j’ai considéré que je n’avais pas le droit de me plaindre. Je me suis résolu à rester pour aider ces enfants à relever le défi de la scolarisation en milieu rural. Depuis, je me suis par contre fixé comme objectif d’améliorer les conditions de transport et de travail de ces enfants, ne me contentant pas de laisser les choses dans l’état où je les avais trouvées en prenant mon poste. En effet, deux enseignants se chargeaient de 90 élèves, dont à peine 10% de filles, répartis dans trois classes et une vingtaine de ceux-ci venaient tous les jours à pied à l’école et des élèves étaient chargés de puiser l’eau nécessaire à l’école dans des puits profonds de 50 à 60 mètres. Si les enfants résidant dans des villages éloignés tombaient malades, on les renvoyaient chez eux à pied sans avoir l’assurance qu’ils y arriveraient.

Quelles sont les mesures concrètes que vous avez déjà pu prendre pour remédier à cette situation ?

Avec l’aide des inspecteurs départementaux, nous sommes arrivés à obtenir l’ouverture d’une quatrième classe et l’affectation d’un enseignant pour chaque classe. Par conséquent, le nombre d’inscrits a pu atteindre 144 élèves. Ce qui est intéressant à préciser, c’est que nous avons veillé à nommer deux enseignantes, ce qui a influencé favorablement les parents pour inscrire et maintenir leurs filles à l’école. Aujourd’hui, les filles font 40% des inscrits, et pour l’année 2006-2007, l’effectif des filles sera plus important que celui des garçons. D’autre part, désormais les élèves ne sont plus de corvée de puisage, car ils cotisent 50 CFA par semaine pour acheter de l’eau à des femmes qui la puisent et l’acheminent à l’école. Enfin, pour soulager les élèves dans leurs déplacements, nous avons instauré un système de rotation de charrettes qui se coordonnent entre plusieurs villages d’une centaine d’habitants situés aux alentours de Payar pour emmener les enfants le matin et les ramener le soir. Ce dispositif nous a permis d’inciter une quarantaine d’enfants supplémentaires à venir à l’école. Pour l’année scolaire prochaine, nous souhaitons déposer un fonds au poste de santé du village qui couvrirait la moitié des frais médicaux des enfants et permettrait ainsi une prise en charge immédiate des enfants tombant malades à l’école plutôt que ceux-ci prennent le risque de rentrer chez eux chercher leurs parents avant d’être soignés.

Et en ce qui concerne les perspectives à plus long terme quels sont vos projets ?

L’homologation et la reconnaissance de la case des tous petits (3 à 6 ans) mise en place cette année dans l’enceinte de l’école dans un abri provisoire. Les intérêts de cette case des tous petits sont multiples et les plus évidents sont la sécurité des jeunes enfants, qui sont ainsi regroupés dans un lieu sûr plutôt que de vaguer dans le village à la merci des dangers alors que leurs parents sont occupés, et la préparation à l’entrée à l’école par des activités d’éveil. J’ai déjà fait les premières démarches auprès de l’inspecteur régional chargé de la Case des tous petits, qui nous a remis gratuitement du matériel et m’a assuré qu’il ferait suivre le dossier.
Par ailleurs, nous recherchons activement des financement pour atteindre notre objectif de doter chaque village de la zone d’une charrette pour transporter les élèves. Avec 10 charrettes, pour un coût d’environ 1'500'000 CFA on arriverait à recruter environ une centaine d’élèves dans les villages alentours. Nous avons même imaginé que ces charrettes permettraient aux élèves de chercher du bois mort en brousse durant le week-end afin de le revendre au marché et de dégager des petits revenus pour les frais de cantine scolaire, ce qui signifie que les parents n’auront plus à se soucier de cette dépense, ce qui serait formidable car la cotisation pour la cantine scolaire représente un poids réel dans le budget des parents.
Les charrettes seraient la propriété de l’école et pourraient servir aux déplacements et des élèves et des enseignants. En effet, ils nous arrive de prévoir des activités parascolaires durant lesquelles nous voulons nous déplacer vers les autres écoles de la zone, mais le manque de moyens de transport nous empêche de le faire. Toutefois, je tiens à préciser que la politique de l’école est de trouver des moyens à notre propre niveau avec l’aide des familles d’élèves et que si aucun partenaire extérieur n’est trouvé pour financer ces charrettes nous poursuivrons nos efforts pour atteindre nos objectifs par nous-mêmes. Il est intéressant de relever que les bons résultats atteints par les élèves de l’école de Payar à l’entrée en 6ème incitent les parents à s’engager davantage envers l’école et à faire confiance à l’équipe pédagogique. En effet, 71,42% d’élèves ont réussi le CFEE et l’école de Payar de situe dans une bonne moyenne (70% au niveau de la région de Tambacounda).

Propos recueillis par Enna