“On ne peut plus faire confiance aux politiciens, il faut prendre notre destin en main”

Propos recueillis par Enna / Tambacounda.info /

amath
Au fil de ses pérégrinations dans la diaspora Tambacoundoise, Tambacounda.info ambitionne de présenter à travers des interviews le profil d’expatriés dont le cœur et l’esprit restent fortement attachés à leur région natale. Nous avons posé nos questions à M. Amath Diouf (dit Pif) qui vit depuis 1998 à New-York USA. Il est originaire de Tambacounda où il a passé son enfance. Né à Dakar en raison de l’affectation professionnelle de son père, il a fait avec ses parents la navettes entre ces deux villes. Il obtient son Bac à Dakar et entame un cursus de philosophie à l’UCAD qu’il abandonne après une année d’études. En 1998, l’appel du grand large se fait entendre et l’Amérique fait germer dans l’esprit d’Amath Diouf un rêve d’études en informatique au pays de l’Oncle Sam. A l’arrivée, le réveil est rude, mais Amath Diouf s’accroche et suit une route qui n’était pas toute tracée, sans jamais perdre de vue sa chère région de Tambacounda. Le fondateur de la Radio KeurGouMak, qui émet dans le monde entier par le biais du web depuis New-York, nous accordé un entretien.

Quelle a été votre situation en arrivant à New-York ?

J’avais prévu avant de partir de prendre totalement en charge ma famille au Sénégal dès mon arrivée aux USA. J’ai vite déchanté en ayant de la peine à trouver un emploi durant les trois premiers mois. J’ai finalement rejoint le lot des immigrés qui acceptent de payer avec mon petit pécule une agence pour trouver des petits boulots de gardiennage de boutique rapportant 250 $ par semaine pour 10 heures de travail par jour. J’ai aussi très vite dû laisser tomber mon projet d’études. En effet, les études sont très chères aux USA et les problèmes de titre de séjour se posaient aussi. Dieu merci, j’avais deux sœur installées à New York qui m’ont soutenu et je n’étais pas dépaysé, car sur la 116ème rue à Harlem, de nombreux Sénégalais sont implantés, au point qu’on appelle cette zone « Little Sénégal ». Il m’arrivait certains jours de me demander si j’avais vraiment quitté mon pays.

Quel accueil vous ont réservé les Américains ?

Les contacts avec les Américains ont été dans un premier temps rendus difficiles par la barrière de la langue, car même si on a appris cette langue à l’école, c’est une autre affaire de se débrouiller dans un pays anglophone. Du racisme existe bien sûr de la part de certains blancs, mais paradoxalement aussi d’afro-américains qui, malgré des beaux discours de certains de leur représentants de solidarité avec leurs frères d’Afrique, ont sur le terrain des attitudes de rejet face aux immigrés africains, attitudes que je ne m’explique pas d’ailleurs.

Vous résidez depuis huit ans à New York, par quels moyens vous êtes vous finalement intégré ?

Tout d’abord, j’ai vraiment fait un effort pour parler l’anglais couramment, afin de me faire comprendre et de comprendre les gens. J’ai donc suivi des cours, puis j’ai essayé de faire des études de commerce, mais pour des raisons financières, j’ai dû abandonner et finalement reprendre un emploi dans la restauration avant de m’orienter vers la boulangerie, profession que j’exerce encore aujourd’hui. Aux USA, vous prenez le travail qui se présente car pour des raisons de langue et de permis de travail, il n’est pas facile de trouver un emploi. J’arrive à faire vivre ma famille avec le métier que j’exerce.

Vous avez parallèlement à votre activité de boulanger créé la radio KeurGouMak.com sur le web, pourquoi cette initiative ?

J’étais un auditeur de la radio Tam Tam On Line et j’ai voulu créer un espace sur le web pour lancer un appel aux Tambacoundois de la diaspora afin de se réunir dans le cadre d’une association ou d’autre chose pour contribuer au développement de Tambacounda. Dans un premier temps, j’ai sollicité en 2004 auprès de Seneweb un espace pour animer une émission de deux heures tous les samedis pendant un an. Ensuite, comme l’appétit vient en mangeant et que j’ai beaucoup aimé travailler dans le domaine de la radio, j’ai demandé en 2005 à Xaalima un hébergement pour une radio 24h sur 24h et la radio KeurGouMak.com est née.

Comment faites-vous vivre la radio ?

Pour l’instant, je mets beaucoup de ma poche pour acheter les software, pour payer l’hébergement et les journalistes pour préparer les émissions. A ce jour, je n’ai que Money Gramme comme sponsor et cela ne suffit pas pour couvrir tous les frais. L’investissement en temps est important aussi, car je suis presque seul pour préparer les programmes, chercher des sponsors et gérer la radio. Mais j’ai une passion pour la radio comme pour ma région natale et je suis prêt à faire tous ces efforts.

Quels sont les avantages d’une radio sur le web pour les Tambacoundois ?

Le web permet d’abolir les distances. Je vous donnerais à titre d’exemple la conférence que nous avions eu lors d’une de mes émissions sur Seneweb. Le maire de Tambacounda, Souty Touré, se trouvait à Dakar, un participant était à Taïwan, un autre à Bordeaux, un troisième à Tamba et je me trouvais à New-York. Nous avons pu discuter avec le premier magistrat de Tamba durant deux heures de temps entre Tambacoundois des quatre coins du monde. Nous avions un temps pris contact avec des gens à Tamba pour avoir une tranche horaire sur Radio Tamba, mais malheureusement tout le matériel investi a été perdu car nos contacts ont finalement tout mis dans leur poche et le projet est tombé à l’eau.

Après une année, quel est le bilan de Radio KeurGouMak.com, l’objectif de rassembler les forces de la diaspora tambacoundoise pour le développement de Tambacounda est-il en bonne voie ?

Après une année, je ne suis pas très fier du bilan et je constate qu’il est très difficile de mobiliser les Tambacoundois pour un idéal. L’idée de KeurGouMak.com est de créer un pont entre les Tambacoundois de la diaspora et ceux restés à Tamba et cela implique de réunir des gens qui s’investissent sur place pour être la voix et les yeux de leurs compatriotes de la diaspora. A ce jour, il n’y a pas de résultat sur le terrain, cependant la radio KeurGouMak.com a permis d’identifier et de connaître des Tambacoundois en France et d’entrer en contact avec leurs associations,  mais aussi de rencontrer des Tambacoundois ici à New-York et de créer une association. Tout cela est vraiment minime par rapport à nos ambitions. Donc le bilan n’est pas flatteur, voire négatif. Mais on ne baisse pas les bras et la persévérance est de mise.

A l’approche des élections de 2007, quel est le climat au sein de la diaspora tambacoundoise aux USA, les gens se préparent-ils à y participer ?

Il y a un engouement fou pour les élections, les gens s’inscrivent pour pouvoir voter et beaucoup de débats ont lieu. Les Sénégalais de l’extérieur sont très conscients que le pays a besoin de toutes ses forces pour avancer. Les Tambacoundois de la diaspora en particulier essaient de faire comprendre à leurs compatriotes restés au pays que l’on ne peut plus faire confiance aux politiciens et qu’il faut prendre son destin en main. Cela fait quarante ans, depuis l’indépendance, que nous nous faisons avoir et on ne peut passer que par la politique pour changer les choses, alors il faut vraiment que nous nous donnions les moyens de prendre notre destin en main.

La région de Tambacounda n’a pas connu un essor avec l’alternance et on pourrait même dire qu’elle a été oubliée. Est-ce que les Tambacoundois de la diaspora aux USA fondent déjà un espoir dans un ou des candidats qui prendront mieux en compte la région ou est-ce qu’ils choisiront un candidat faute de mieux ?

Actuellement ce sont les mêmes politiciens qui sont là-bas, ils étaient là avant l’alternance. Depuis l’alternance, les représentants des autres partis n’ont pas fait leurs preuves. Deux ou trois ministres tambacoundois ont démissionné ou ont été démis car ils n’étaient pas à la hauteur de la tâche qui leur était dévolue. Ceci est extrêmement dommage, car nous savons que Tamba regorge de gens très compétents et très intelligents.

Pourquoi n’y a-t-il pas une vraie relève politique à Tamba ?

Les gens compétents sont d’éminents intellectuels, des professeurs, des cadres, des conseillers du Président de la République mais ils avaient tourné le dos à Tamba pendant les années du parti socialiste, ils ne faisaient rien à Tamba et on ne les y voyait jamais. Il y a un problème de confiance et de reconnaissance qui se pose maintenant entre la population et ces gens. Les Tambacoundois refusent de croire en des gens qui ne se sont pas revendiqués en tant que Tambacoundois pendant toutes ces années et qui viennent maintenant se présenter comme ceux qui vont répondre à leurs attentes. Ils préfèrent rester fidèles à ceux qui ont toujours été là, même si ceux-ci n’ont rien fait. C’est là que réside le problème de Tamba aujourd’hui. La nouvelle génération qui montre un intérêt et s’investit pour sa région ne brigue pas encore de mandat politique et c’est pourquoi aucun candidat n’émerge du lot pour les élections.

Quelle est l’importance et l’organisation de la diaspora tambacoundoise à New-York ?

Malgré un nombre non négligeable de Tambacoundois vivant ici, je déplore le manque de cohésion entre eux. Il y a de multiples petites associations représentant une commune, un village, mais il n’est pas possible de mobiliser ces gens autour d’un objectif à l’échelle régionale, c’est un vrai problème.

Quel sont les profils des Tambacoundois qui résident à New-York ?

Une très petite minorité est là pour étudier, 95% des Tambacoundois sont là pour travailler et 85% d’entre eux n’avaient pas eu l’opportunité de faire de études au Sénégal. Les initiatives prises en faveur de leur pays par ces travailleurs expatriés, qui représentent une force économique vitale pour la région, visent surtout les membres proches de leur communauté et ils ne prennent pas en compte des intérêts plus larges. La communication est très difficile à établir entre les tambacoundois de la diaspora ici et c’est ce que je déplore. Mon souci actuellement est d’arriver à amener ces gens autour d’une table et à les intéresser à la création d’une association durable représentant la région, en dehors de toute considération politique, car c’est un facteur de blocage et il faut arriver à minimiser l’impact des politiques dans les enjeux de développement de notre région.

Quelle sont vos perspectives dans un proche avenir ?

Continuer à me battre pour créer un pont entre les Tambacoundois restés au pays et ceux de la diaspora afin qu’un processus de dialogue et de réflexion débouche sur des pistes concrètes pour le développement et les intérêts de notre région. La radio KeurGouMak.com n’est qu’un outil, mais Tambacounda c’est ma vie.

Propos recueillis par tambacounda.info