Un grand combattant Tambacoundois pour la cause des Albinos

sakho

A Tambacounda, qui ne connaît pas M. Aboubakary SAKHO, habitant du Quartier Abattoirs. Il est un des plus exemplaires initiateurs de la région à travers l'Alliance Nationale pour la Promotion à la Réinsertion des Albinos au Sénégal (ANPRAS) qu'il a fondée en 1998, tout d'abord sous le nom de l'ARAT (Association Régionale des Albinos de Tamba) qui est devenue en 2002 l'ANPRAS en prenant une dimension nationale. Il expose dans une interview qu'il a accordée à tambacounda.info les sources et les buts de son combat pour sa Communauté Albinos. Toute l'estime et le respect de tambacounda.info vont à M. Sakho, son équipe et leur partenaires et nous espérons cet entretien suscitera l'intérêt et la solidarité à cette cause urgente pour nos compatriotes touchés par l'albinisme.

 
Quel est votre parcours et quelles circonstances vous ont amené à créer l’ANPRAS (Alliance Nationale pour la Promotion à la Réinsertion des Albinos au Sénégal) ?

Je suis né à Tambacounda et y ai fréquenté l’école primaire et secondaire. Après avoir réussi le Bac, j’ai suivi une formation en informatique et ai obtenu, en 2002, un BTS ( Brevet de Technicien Supérieur). Par la suite, j'ai suivi de nombreux stages de perfectionnement en Gestion et élaboration de projets dans des organismes tels que l’USAID, le Centre de Recherche Internationale pour le Développement Intégré du Canada (CRDI) et le Ministère de la Jeunesse du Sénégal. En 1998, j’ai été membre Fondateur de la Cellule Régionale de la Rencontre Africaine des Droits de l’Homme (RADHO) à Tamba, dont j’ai été membre jusqu’en 2000. De 1998 à 2002, j’ai été Président de l’ARAT (Association Régionale des Albinos de Tamba). Depuis 2002, je suis Secrétaire Général chargé des questions de Jeunesse de la Fédération Sénégalaise des  Associations de Personnes Handicapées (FSAPH)

Les circonstances qui m’ont véritablement amené à créer L'ANPRAS sont les suivantes :
En tant qu'Albinos, j'ai du faire face à de nombreuses difficultés dans le cadre de mes études. Celles-ci étaient les conséquences de l'absence de mélanine dans ma peau et d'une vue très limitée. Je me souviens d'avoir été obligé durant des années de faire des va-et-vient entre ma place et le tableau afin de lire ce que le maître avait écrit ! Par ailleurs, les conditions climatiques de la région de Tamba pouvant être qualifiées de "caniculaires", je rencontrais aussi de sérieux problèmes pour aller et venir de la maison familiale à l'école. Ces trajets étaient pour moi synonymes d'inévitables brûlures et coups de soleil. Conscient de toutes ces difficultés dont est victime la Communauté Albinos, l'idée de créer un groupement régional pour la promotion des Albinos à Tamba était évidente. Chose faite puisque l'ARAT est née en 1998 et est devenue l'ANPRAS (Alliance Nationale pour la Promotion à la Réinsertion des Albinos au Sénégal) en mai 2002. Il reste toutefois à préciser que ce changement de statut a fait suite aux nombreuses sollicitations des Albinos d'autres régions du Sénégal et qu’il nous a paru nécessaire d'étendre les actions de notre organisation sur tout le territoire national. Depuis, nous ne cessons de tirer sur la sonnette d'alarme afin de mettre en évidence les problèmes rencontrés par la communauté et ce tout en tentant de répondre à l'essentiel des besoins des Albinos en matière de santé, d'éducation et d'insertion socio-économique.

Où se situe le siège de l’ANPRAS et quelle aire géographique son action touche-t-elle ?

Le siège de L’ANPRAS se trouve à Tambacounda, plus exactement au Quartier Abattoirs en face de l’Hôtel NIJI. Les actions de l'ANPRAS sont menées dans les 11 régions du Sénégal.

Quels sont les principaux objectifs de l’ANPRAS et les stratégies adoptées pour atteindre ces objectifs?

Les principaux objectifs de L’ANPRAS sont, entre autres :

•    de promouvoir une lutte contre l’exclusion sociale des Albinos au Sénégal

•    d'informer et de prévenir contre tout risque de complications dermatologique et ophtalmique dont sont ils sont victimes
•    d'œuvrer afin de réduire au maximum la mendicité et la pauvreté des Albinos sur tout le territoire
•    de favoriser l’insertion des Albinos dans le circuit éducatif
•    de développer une politique globale pour un bien-être intégral de la Communauté Albinos dans tout le pays.

Les stratégies sur lesquelles nous nous appuyons afin d'atteindre ces objectifs sont liés à la mise en place de partenariats dans différents secteurs.

•    recherche de moyens financiers et de matériel logistique pour une bonne prise en charge des besoins spécifiques des Albinos
•    renforcement des capacités par rapport à la lutte contre le désoeuvrement et la mendicité des Albinos
•    consolidation des accords pris avec certains organismes afin d'assurer une meilleure prise en charge médicale des Albinos
•    mise en place de programmes de sensibilisation au phénomène de l'Albinisme ayant pour but une meilleure insertion sociale des Albinos
•    création, grâce à différents programmes, de PME (Petites et Moyennes Entreprises) visant à réduire le désoeuvrement dans lequel se trouvent certains membres de la Communauté
•    recherche d'agréments auprès des différents ministères afin d'obtenir l'implication de l'Etat sur le plan législatif dans la prise en charge sociale, éducative et médicale des Albinos.

Quel est le coût humain et financier nécessaire pour mener les actions de l’ANPRAS ?

Le coût humain de l’ANPRAS est calculé en fonction de la structure nécessaire à son bon fonctionnement, composée des membres fixes et de personnels d’appui, à savoir les postes suivants pour une masse salariale globale de 8'800'000 par année :un Coordonnateur Général des Activités, un Secrétaire Administratif, un Secrétaire Financier et cinq personnes relais.

Quels sont vos partenaires locaux, nationaux et internationaux et quel type de soutien attendez-vous d’eux ?

L’ANPRAS ne dispose d’aucun partenaire local. En revanche, nous pouvons compter sur des partenaires nationaux tels que l'UNICEF et la Fondation KAKARANG. Nous bénéficions aussi de l'appui de structures à l'échelon international avec la Fondation MAAGDENHUIS aux Pays-Bas et, en France, l'association C&M, les Laboratoires Pierre FABRE (AVENE), BIODERMA, CLARINS ainsi que l'ONG Le KINKELIBA.

Quels sont les fondements de la discrimination que vivent les albinos au Sénégal ?

Les fondements de la discrimination sont de plusieurs ordres. D'un point de vue culturel, chaque ethnie a sa propre vision de l'Albinisme et celle-ci varie beaucoup. En général, les conceptions mystiques qu'ont les gens de l'Albinos se traduisent par des préjugés qui font de lui une source de malheur et de mystère ! Sur le plan social, l'Albinos étant considéré comme un être différent, il est, par conséquent, confiné dans une certaine marginalité. Il en découle qu'au niveau économique, il est perçu comme un "parasite" qui vit dans la dépendance et n'a pour seule issue que celle de la "main tendue"… En prenant en considération ces différents éléments, il n'est pas exagéré d'affirmer que sa dignité humaine s'en trouve véritablement bafouée !

Avez-vous une estimation du nombre d’albinos qui vivent dans la région de Tambacounda ?

Une estimation serait difficile à donner car n'avons pas, pour l'instant, une vision assez précise des réalités sur le terrain. Nous sommes juste en mesure de dire que nous avons, suite à différentes campagnes de sensibilisation, identifié et rencontré 213 Albinos (y compris dans les départements de Bakel et de Kédougou)

Quels problèmes de santé particuliers rencontrent-ils et ceux-ci sont-ils reconnus et pris en charge par le système de santé ?

Les problèmes de santé des Albinos sont liés, d'une part à des complications dermatologiques qui peuvent généralement être à l'origine de cancer de la peau et, d'autre part, à des problèmes de vision. Le système de Santé n'a, à ce jour, mis en place aucune politique de prise en charge.

L’Education nationale protège-t-elle et répond-t-elle aux besoins spécifiques des enfants albinos ?

L’Education Nationale ne protège pas et ne répond pas aux besoins des enfants albinos. Il a donc été urgent et impératif pour l'ANPRAS de mettre en place un programme (PAPAS) visant à promouvoir la scolarisation et le maintien de ces enfants dans le circuit éducatif. L'objectif principal de cette politique que nous menons est d'essayer de répondre aux besoins spécifiques de ces élèves et de les encourager à poursuivre leurs études.

Quel encadrement des enfants albinos l’ANPRAS préconise-t-elle pour la promotion et la valorisation des dons, talents et potentialités pour un meilleur développement et épanouissement de ceux-ci ?

De par le développement des diverses stratégies de sensibilisation visant à vulgariser le phénomène de l'Albinisme, l'ANPRAS souhaiterait obtenir le soutien de partenaires. Nous pourrions, par exemple, envisager un encadrement de proximité par la collaboration entre l'ANPRAS et les autorités scolaires. Ceci favoriserait un bon suivi des élèves.

Combien de personnes atteintes d’albinisme ont bénéficié de l’action de l’ANPRAS depuis sa création et quels besoins expriment-elles en priorité?

Environ 213 albinos ont pu bénéficier des actions de l'ANPRAS depuis sa création. Les besoins prioritaires exprimés touchent à plusieurs domaines. Tout d'abord, les questions de santé nous préoccupent beaucoup. Il s'agit des complications dermatologiques et ophtalmiques. Quelques cas de début de cancer ont pu être pris en charge. Vient ensuite le volet relatif à l'éducation. Rappelons qu'aucune politique spécifique n'est mise en place pour pallier aux problèmes que rencontrent les Albinos et leur faciliter le succès dans leurs études (par exemple 96 % d'entre eux ont des troubles de la vue). Puis l'accent est mis également sur la lutte contre la pauvreté de ces derniers puisqu'ils sont, pour la plupart dans une situation de total désoeuvrement.

Comment l’action de l’ANPRAS est-elle perçue par la population, les collectivités publiques, les autorités et les familles des albinos ?

Dieu merci , toutes les actions que nous sommes en train d'entreprendre malgré, il faut le reconnaître, des moyens très limités, sont véritablement appréciés par toute la communauté. Nous avons les encouragements de la part des autorités politiques locales, des parents d'élèves et des Albinos eux-mêmes. Les actions de l'ANPRAS sont réellement considérées comme salutaires et c'est ce qui nous pousse, au quotidien, à continuer notre mission auprès de ceux et celles qui en ont besoin.

La situation personnelle, sociale, économique et sanitaire des albinos est très critique sur le continent africain. Est-ce les groupements qui défendent leurs intérêts aux niveaux régionaux ou nationaux arrivent à se fédérer pour mobiliser des moyens à un niveau international ?

Je vous réponds négativement !
Vous comprendrez combien la situation dans laquelle se trouvent les albinos du continent africain est critique ! Certes, il existe de nombreuses organisations qui défendent leurs intérêts mais il n'y a aucune synergie et cohésion dans leurs actions. Nous avons constaté que, même s'il y avait eu quelques cas de tentatives d’échanges et d'idées sur les plans régional ou international, elles n'avaient été suivies d'aucun effet … C’est l’appel au sens de l’organisation, toutes les structures qui disent œuvrer pour la promotion des communauté en faisant valoir l’intérêt général de la communautés au détriment du particulier. Car notre combat devra être pour ceux des générations futures.

Pourrait-on imaginer, à l’image de ce qui a été engagé pour mettre fin à l’excision des femmes, une grande campagne pour venir à bout des préjugés et des tabous envers les albinos à l’échelle du continent ?

Oui, bien sûr et c'est d'ailleurs la philosophie de l'ANPRAS au Sénégal. Insérer les Albinos socialement, lutter contre tous les préjugés liés à la culture propre à chaque ethnie, mener des campagnes de sensibilisation afin de combattre l'ignorance des uns et des autres… Ce travail ardu devra être appuyé par des argumentations scientifiques relatives au phénomène de l'Albinisme. Il est primordial que ces informations circulent au sein même de nos propres foyers d'Albinos. Ensuite seulement, le regard de l'extérieur changera et nous serons en mesure de prouver nos talents, de mettre nos compétences au service de la société, de vivre dignement et non plus de rester en marge et vivre dans la précarité. Nous attendons un soutien des médias, des institutions éducatives, des arts et spectacles, des politiques au niveau national et continental.

A votre connaissance, quelles sont les personnalités africaines qui se sont engagées pour défendre les intérêts des albinos ?

Je cite en premier, feu Souleymane CISSE, sociologue renommé qui nous a quittés dernièrement. Thierno DIALLO, Directeur Général de la Pyramide du Souvenir à Bamako (MALI). John M. MAKUMBE, Professeur de Sciences Politiques et Président de l'association ZIMAS (ZIMBABWE). Geoffrey ZIGOMA, chanteur célèbre au Malawi. Jean-Jacques NDOUDOUMOU, homme politique, Président de l'ASMODISA (Cameroun). Et bien entendu, l'Ambassadeur International qu'est devenu Salif Keïta !

Avez-vous des appuis suffisants des autorités locales, si oui sous quelle forme et sinon quelles sont vos doléances ?

Malheureusement NON !
Depuis la création de l'ANPRAS et jusqu'à ce jour, nous n'avons bénéficié d'aucun soutien de la part de ces autorités.
Doléances… je dirais que ce n'est pas le plus important, ce qui m'est pratiquement "vital", c'est d'être aux côtés de la Communauté dont je fais partie intégrante. Nous ne ménagerons aucun effort pour trouver les voies et moyens nécessaires à l'épanouissement et au bien-être intégral des Albinos. Il est légitime de demander un soutien aux autorités mais nous ne les supplierons pas ! Espérons simplement qu'elles liront ou entendront parler de cette interview et qu'elles prendront en considération nos besoins…

Quel sera le programme et les défis de l’ANPRAS en 2007 et quels espoirs fondez-vous pour l’amélioration la situation des albinos dans la société sénégalaise?

Le Programme de L’ANPRAS en 2007 sera riche et varié autant en idées qu'en actions. L'objectif premier étant de créer une stratégie ou une politique de prise en charge, au moins des besoins essentiels des Albinos sur les plans de la santé, de l'éducation et du social. Mes espoirs ? Mon espoir est d'être aux côtés de chaque Albinos, de voir naître un sourire sur son visage et de le sentir heureux.

Propos recueillis par tambacounda.info

Pour tout contact, les coordonnées de l’ANPRAS figurent dans la rubrique Associations de tambacounda.info.

Pour d’autres informations sur l’albinisme voici quelques liens :
http://www.asf-awb.org/fr/homepage/index.html
http://www.letemps.ch/tour/reportages/etape16/jour322.html
http://www.onu.org.tn/albinos.htm