Portrait d’un homme de coeur au coeur de la région de Tambacounda

Par Bruno Sotin / tambacounda.info /

kaliphaPrésident fondateur de l’AVED (Association villageoise pour l’éducation et le développement), Kalipha Athie a suivi un parcours aussi exemplaire qu’atypique  dans un pays où la pauvreté aspire la jeunesse à l’exode rural et à l’émigration. Orphelin de père et de mère dès son plus jeune âge, Kalipha passe les premières années de sa vie dans la brousse à mener les troupeaux. Il s’y forge un caractère  solitaire et un respect profond pour la nature. A l’âge de 15 ans, à l’instar de beaucoup de ses camarades, il décide de tenter sa chance à la ville.

Kalipha rejoint donc la capitale et commence par vendre des journaux à la volée. Un jour dans la rue, alors qu’un client lui pose une question sur un article du journal, Kalipha a le déclic. Lui qui n’a jamais eu la chance de fréquenter les bancs de l’école n’a plus qu’une idée en tête, apprendre à lire et écrire et suivre des études. A force de courage et de sacrifices, il finance lui même ses cours, il obtient un diplôme d’aide-comptable. Dès-lors sa vie prend un autre sens. Kalipha souhaite consacrer son temps à ceux qui sont le plus vulnérable.

« Auprès des plus pauvres »

Très rapidement, ses pas le conduisent vers ATD quart-monde où il anime notamment des ateliers et une bibliothèque de rue auprès des enfants talibés. Il participe à des camps de reboisement internationaux et se préoccupe déjà à cette époque des problèmes d’environnement. Il s’engage auprès de femmes de diplomates  pour l’animation et la gestion d’un daarah, une école coranique, qui lutte contre la mendicité des jeunes enfants. Pendant une dizaine d’années, Kalipha se construit ainsi une véritable expérience associative, tisse des liens nombreux qui seront les bases de son futur projet.

Mais son village et ses racines lui manquent , en même temps que l’interrogent l’exode rural croissant et la pauvreté des populations venues chercher l’espoir. Avec Souleymane Sylla et Sankoun Yock, étudiants à Dakar, Kalipha réfléchit à un projet d’association pour venir en aide à son village. C’est à cette époque et grâce aux liens tissés avec une jeune coopérante française qu’il rencontre un dimanche de février 1997, deux jeunes français qui ne vont plus le quitter.

« De retour au village »

18 mois plus tard, Kalipha fait le chemin inverse de ses 15 ans.Avec ses maigres économies, il se fait construire une case traditionnelle et se rachète quelques outils pour cultiver. Car pour retrouver sa place dans le village il lui faudra d’abord retrouver le chemin de la terre et apporter sa contribution au sein de la famille retrouvée. Les premiers temps sont difficiles. Le travail est dur et les villageois  un peu surpris de ce fils revenu avec un projet potager et des partenaires toubabs. Mais Kalipha a de l’abnégation et de la volonté. Son association compte rapidement une cinquantaine de membres.

« Petit à petit, l’oiseau fait son nid »

Et s’il passe beaucoup de temps seul au départ dans le jardin sous l’oeil sceptique des autres villageois, Kalipha sait d’où il vient, où il veut aller et comment y parvenir. «Petit à petit, l’oiseau fait son nid» répète-t-il souvent à ses partenaires Nantais parfois trop pressés. Il sait bien que la meilleure façon de convaincre, dans un village où la tradition et les habitudes sont profondément ancrées est d’avancer doucement. «Quand les gens verront, ils adhéreront».

Le temps est passé et Kalipha a eu raison. Après 10 ans de courage au labeur et de sueur, il a enfin réussi son pari et plus encore qu’il n’avait imaginé. Marié à Tida Yock, il est aussi le papa d’un petit Malamine parti trop tôt et d’un petit Abdoulaziz né en 2005. Le petit orphelin a gagné en légitimité. Il est devenu un personnage incontournable de sa communauté inspirant respect et parfois envie. Car on le sait bien: nul n’est jamais totalement prophète en son pays.

jardin

Jardin potager : à quoi ça sert ?

Au Sénégal, de novembre à mai, c’est la saison sèche. Il ne pleut pas du tout et les populations consomment ce qu’elles ont cultivé durant la saison des pluies, ce qu’on appelle chez nous l’hivernage. C’est donc très aléatoire, car les hivernages ne se ressemblent pas. Entre le manque d’eau, le trop d’eau, les criquets… il y a beaucoup de paramètres qui font que les récoltes sont insuffisantes pour nourrir une famille jusqu’à la récolte suivante. Cette période à partir de laquelle il faut commencer à se priver et à se rationner, c’est la «soudure». Les gens sont affaiblis, mal alimentés et exposés plus encore aux maladies. C’est justement durant cette période que notre jardin potager se met en place.

Est-ce la seule raison d’être du jardin ?

Non, bien sûr. Vous l’avez bien compris, le jardin participe à des objectifs de sécurité alimentaire et de santé  publique par l’aspect préventif. Ici dans notre zone, l’alimentation est constituée essentiellement de céréales, mil et riz qui sont la base de tous nos plats. Peu de personnes ont accès à la viande, au poisson ou aux produits laitiers. Et encore moins aux légumes et aux fruits. Donc ce que le jardin apporte est vraiment essentiel. Mais le jardin participe aussi à la vie économique et sociale du village. Sociale, car durant 5 mois ce sont plus de 150 personnes qui se rendent quotidiennement au jardin, échangent, travaillent ensemble. Hommes, femmes, enfants, tout le monde se cotoie.Cela crée du lien et une raison d’oeuvrer ensemble à une époque où il n’y a rien à faire et où l’oisiveté est subie. Le jardin potager, c’est aussi une façon de fixer les populations et de freiner l’exode rural. Du point de vue économique, cela crée une dynamique au niveau du village. Les femmes vont vendre sur le marché une partie de ce qu’elles ont récolté. Cela leur donne un pouvoir d’achat pour acheter d’autres produits. Elles utilisent une partie de leurs fruits et légumes pour leur propre famille. L’association en profite également puisque les activités génèrent de l’argent.

Au niveau infrastructures, tout semble fini, quels sont les prochains objectifs ?

D’ici à la fin de l’année, la pompe et le château d’eau devraient être en fonctionnement. Désormais c’est sur la formation que nous souhaitons concentrer une grande partie de nos efforts. Car notre jardin fait école et suscite beaucoup d’intérêt dans la zone. Personnellement, je suis très demandé dans les villages voisins pour apporter mes conseils. Avec un petit centre de formation et de ressources, nous pourrons encourager les initiatives individuelles et associatives et apporter un véritable soutien.

Le jardin, comment ça marche ?

Le jardin a une superficie de 6 000 m2. L’association met à disposition de ses membres une planche par famille. Il y a plus de 150 planches ainsi allouées. Une planche fait environ 10x2m. La location est gratuite mais son titulaire est responsable de l’arrosage et du suivi. L’AVED fournit les semences, les pieds et assiste les personnes techniquement. Au moment de la récolte, chaque jardinier dispose librement du produit de son travail. Généralement une partie est vendue sur les marchés et l’autre utilisée pour les besoins familiaux. L’AVED prélève  pour chaque planche un forfait de 4000 FCFA (environ 6 euros). L’AVED dispose de ses propres planches travaillées collectivement ainsi que des arbres fruitiers.