Alexis Faye, agriculteur à Kédougou: Chez les Peuls, ce Sérère est le roi du retour vers la terre

Source Leoleil /

faye
Originaire du Baol, Alexis Faye, 62 ans, ancien chauffeur, vit actuellement à Kédougou après s’être reconverti dans l’agriculture pendant une vingtaine d’années à Salémata, une localité du département. Avec de bons rendements agricoles, il est un modèle de réussite du retour vers l’agriculture, même s’il a été contraint de quitter cette activité.

Chez les Peuls, ce Sérère n’est peut être pas encore un roi. Mais il est connu. Très connu à Kédougou, sa ville de retraite, et Salémata, sa localité de travail d’abord, ensuite d’adoption. Il est frêle et plein d’activités, Alexis Faye, 62 ans. Et l’on ne perd pas de temps pour le coincer une matinée de mardi, très tôt. Le voilà qui s’échappe de sa famille, pour sortir de sa maison du quartier Dandémayo de Kédougou, presque en courant et en boutonnant sa chemise de couleur bleue mariée à un pantalon sombre. Lui, Alexis Faye, est quelqu’un qui croit aux vertus du mariage. Sérère de Ndondole dans le Baol, affecté à Salémata pour servir comme chauffeur au début des années 70 dans le Centre d’expansion rurale (Cer), a très tôt décidé de prendre femme en pays Peul. Ses explications : « Nous sommes tous des Sénégalais. Chacun doit pouvoir habiter là où il veut ». Comme pour justifier son choix de s’installer, définitivement, au coeur du Sénégal Oriental. Loin de son Ndondole natal. « Certes, je suis un tout petit peu loin de mes origines, mais j’ai la paix ici », souligne Faye, pointant sa main droite vers l’intérieur de son domicile. Ici, c’est son domicile Kédouvin, où trône un grand bâtiment couvert de zinc, faisant face à une case en construction. De grands manguiers sont dans la vaste cour dont une partie est le « grand’place » des membres de sa famille. « Nous partons à Salémata. A tout à l’heure », leur lance-t-il, dans un Peul très recherché.

De teint noir, comme un bon Sérère, selon les plaisanteries de ses cousins « Al Pulaar », Alexis Faye est né en 1946. D’un commerce très facile, les liens sont vite établis avec l’équipe. La randonnée à Salémata, une localité nichée à quelques encablures du Parc de Niokolo Koba, s’annonce alors sous de bons auspices. Mais partir dans cette localité n’est pas chose aisée. Il faut défier une longue route en latérite. Et surmonter quelques collines. Une opération facile aux yeux de Faye, comme l’appellent affectueusement les populations locales. « Le voyage était dix mille fois plus difficile avant. Il y a 20 ans, la route était impraticable », renseigne-t-il, en fin connaisseur de la zone. Et d’ajouter : « à plusieurs reprises, j’ai passé la nuit dans la forêt. J’étais chauffeur et il m’arrivait de tomber en panne en cours de route ». Celui qui parle est un devenu « un homme du milieu », pour reprendre ses propres explications. Bien assis dans le siège avant du véhicule, il scrute en même temps que nous, la luxuriante végétation de cette partie du Sénégal. En même temps, il livre un pan des réalités de chaque village traversé. Du marbre exploité à une dizaine de kilomètres de Kédougou aux potentialités culturelles du village d’Ibel, visité, selon lui, par beaucoup de touristes. En passant par les hameaux scotchés sur la montagne, occupés par les Bédiks et les Bassaris, des peuples locaux. Pour aller dans ces zones, « il faut un véhicule avec un bon système de carbotage », prévient-il.

A Salémata, Alexis Faye est chez lui. Certains le hèlent de loin. D’autres viennent à sa rencontre, curieux de savoir les raisons de son débarquement si matinal « avec des étrangers ». Sa venue à bord d’un véhicule semble d’ailleurs impressionner les jeunes. Tout le contraire des adultes. Ils l’ont connu comme chauffeur lorsqu’il était employé au Centre d’expansion rurale de Salémata. C’était dans les années 70. A l’époque, il rendait beaucoup de services. Car dans ces localités du bout du Sénégal, les véhicules des responsables de l’Administration en service servaient souvent de moyens de locomotion. « Je transportais fréquemment les populations de Salémata à Kédougou, pour des raisons purement humanitaires », confie-t-il, nostalgique de la vieille époque. Il en sera ainsi jusqu’au jour où survint un accident de voiture, alors qu’il avait à bord des personnes qui trouveront la mort. Hélas, cette page noire de sa vie professionnelle est difficile à évoquer. Résultat : homicide involontaire. Le voilà, malheureux, en prison, alors qu’il ne faisait que rendre service. Dur, dur le destin ! Que faire alors ? Chercher un bon avocat. Il en trouvera « un très bon », dit-il, en la personne d’un certain Me Abdoulaye Wade, avocat à l’époque, mais surtout responsable politique de l’opposition. La vérité est que Faye, à l’époque, était un des principaux animateurs de la formation politique de Wade dans le Salémata. « C’était dans les années 70, en pleine période d’opposition. J’étais fonctionnaire et j’avais le courage de m’impliquer en politique, dans l’opposition, dans un coin où je n’étais pas originaire », confesse-t-il, reconnaissant que c’est ce militantisme qui lui a coûté son poste de chauffeur, à l’époque. « Nos adversaires politiques avaient su profiter de cet accident pour me liquider », raconte-t-il, presque triste. Et d’expliquer encore : « comme j’étais membre du Pds, mes supérieurs ont profité de l’accident pour me renvoyer de l’administration prétextant que je faisais, avec un véhicule de l’Administration, du transport en commun pour gagner de l’argent », explique-t-il à nouveau, dépité. « Mais mon avocat ne m’avait pas laissé. Il a suivi mon dossier jusqu’à ce qu’une réintégration me soit proposée, à la seule condition d’être affecté dans une autre localité. Un scénario qui ne m’enchantait guerre. Car j’avais fini par tomber, définitivement, sous le charme de la localité de Salémata ». Dixit Alexis.

L’idée de travailler la terre ne le déplaisait pas aussi. Semer pour récolter. Ce qu’il a toujours fait depuis sa tendre enfance, là-bas, dans le Ndondole. Il connaissait bien la terre, en effet. « Fils de paysan, j’allais dans les champs tout petit », explique- t-il. Il s’était même forgé une réputation de forcené au travail. C’était toujours à Ndondole. La vie de chauffeur est désormais un souvenir pour lui. Il décide de se faire, « de se faire seul », comme il aime à le rappeler. Il va alors approfondir sa connaissance des plantes au Parc forestier de Hann, à Dakar. Une expérience qui se révèlera très enrichissante. Retour dans sa terre d’accueil, où il va mettre toutes ses connaissances à son profit. « Les plantations arrivent vite à maturité ici. On sème entre mai et juin et on récolte en septembre. Contrairement à ma région d’origine où on peut rester presque une année sans récolter. Le sol est favorable à la culture de plusieurs variétés dont le mil, le riz et le maïs», témoigne celui entre qui et Salémata, existe une véritable histoire de coeur. Lui le Chrétien de religion, porte son choix sur une Peule, une musulmane. « Mes parents n’étaient pas d’accord, mais la fille a insisté. Je l’ai épousée », raconte-t-il, le sourire aux lèvres. Il tourne ainsi la page de Ndondole où il avait « une promise qui faisait des siennes » et signe un bail à vie avec sa région d’adoption.

« Depuis plus de 20 ans, je n’ai pas mis les pieds au village », confesse encore, peut-être avec regret, celui qui se défend d’avoir mangé du « niam diodo », une sorte de poudre dont une légende dit qu’elle serait destinée aux étrangers, ceux qui viennent du Nord, pour un bail à vie avec une femme de cette partie du pays. (ndlr : sa traduction littérale de la langue nationale pular en français donne ceci : manger et s’asseoir). « Je sais que mes parents disent que j’ai mangé du niam diodo, mais je mène ma vie ici », se défend-il encore, « heureux avec ma femme ». Manifestement dopé par la famille fondée, Alexis prend ainsi la décision d’extraire « le trésor caché » dans le sol de Salémata. « Ici on peut vivre de l’agriculture. Le sol est très fertile. Il suffit d’un petit effort pour avoir une bonne récolte, indique Alexis en ajoutant qu’avec l’agriculture, « je nourris ma famille. J’ai des excédents de production. Je cultivais du maïs et du mil ». Il explore également les activités maraîchères. « Les plantations de patates et de manioc arrivent à maturité très vite. Je produisais chaque année une importante quantité qui dépassait de loin la consommation de ma famille », informe-t-il. A charge pour son épouse de vendre l’excédent pour faire face à l’achat d’autres aliments pour la nourriture. Mais les difficultés de transport entravent l’écoulement. Mme Faye se contentait alors, simplement de vendre mil, riz et maïs au marché hebdomadaire de Salémata. Le malheur ne venant jamais seul, les populations commencent à « bouder » sa production. Il s’explique difficilement une telle attitude. Mais craint peut-être que sa réussite ait fait des jaloux, d’autant que « certains habitants ne voulaient même plus acheter ni faire du troc avec mes produits».

Faye sait que nombreux ont été ceux qui ont tenté de suivre son exemple, mais sans succès. « Certains ont tenté de m’imiter, mais ne connaissaient pas les techniques », explique notre interlocuteur, presque en souriant. Un rire vite comprimé par le problème de l’écoulement de la production. Le principal handicap pour développer l’agriculture dans cette localité. A cela s’ajoutent les moyens rudimentaires de production. Il lui est même arrivé d’utiliser un âne acheté en terre guinéenne pour défricher ses champs. Aujourd’hui, son expérience reste bien appréciée par les populations. « Alexis est un modèle en matière d’agriculture. C’est un grand travailleur », témoigne El Hadj Alpha Sall, l’imam de la grande mosquée de Salémata. « Il a profité de la fertilité de la terre. En bon fils de paysan, il a réussi. C’est un exemple », renchérit Kalidou Bâ, ancien député libéral, un des cadres du terroir. Ces témoignages élogieux cachent, en vérité le « combat » auquel il dit avoir fait face. « Pour me combattre, les éleveurs laissaient leurs troupeaux dévaster mes champs », dénonce-til, en tentant d’expliquer cette hostilité. « Peut-être, ils le faisaient parce que je ne suis pas originaire de la zone. » Pourtant ceux qui passent pour être ses bourreaux devaient, selon une tradition bien africaine le protéger, au nom du cousinage à plaisanterie entre Peulhs et Sérères. Mais, aveuglés par la jalousie, certains vont lui mener la vie dure. « Il y avait beaucoup de bruits. Le fossé s’élargissait entre les éleveurs et moi. Je devenais de plus en plus indésirable », confie Faye, le coeur meurtri par une telle animosité. Embarrassés par le calvaire de leur père, ses enfants lui ont demandé de s’installer à Kédougou.

Par Sadibou MARONE et Babacar DIONE