[ TAMBA PORTRAIT ] A la découverte d’une vendeuse de bouillie de mil

 

Avec la conjoncture économique qui sévit dans ce pays en général et à Tambacounda en particulier, le coût cher de la vie nourrit l’inquiétude des chefs de ménage en cette période où les besoins des populations sont estimés au double du temps normal. Le « goorgoorlou » Tambacoundois ne sait plus où donner de la tête en ce mois béni où les responsables de famille ont jeté leur dévolu sur le « moni galama » comme ndogou. Occasion saisie pour aller à la rencontre « Moni Féréla », autrement dit la vendeuse de la bouillie de mil.

Plus connue sous le nom de « Moni Féréla », Téné Traoré la soixantaine bien sonnée, habite le quartier Médina Coura. Dès 17 heures, elle s’installe dans son coin favori au lieu communément appelé garage car Mouride. A cette heure de la journée, cet endroit est très fréquenté. Une fréquentation due au garage du car de transport Al hazar qui étale ses quartiers devant la mosquée mouride. Les piétons passent leur chemin. Des vendeuses d’eau et des marchands ambulants de fruits guettent l’acheteur. Des taxis et calèches sont stationnés dans un total désordre sur cette route. Des bruits, des odeurs, des couleurs. Le Garage du car mouride vit au rythme des départs et des arrivées de véhicules, piétons, vendeurs et vendeuses. La vendeuse de la bouillie de mil travaille dans le silence, mais ses premiers clients ne vont pas tarder. Nous sommes allés à la rencontre de cette vendeuse dont le bureau est un bout de trottoir et le gagne pain une calebasse remplie de la bouillie. Originaire du Mali, « Moni Féréla », ou la dame à la bouillie de mil, a quitté son pays natal pour rejoindre son mari à Tambacounda. Agée d’une soixantaine d’années, elle se livre au commerce de la bouillie depuis près de vingt ans. Cette activité lui a valu le surnom affectueux de « Moni Féréla », qui veut dire vendeuse de bouillie de mil en Bambara.

Mère de huit enfants, Téné s’occupe seule de ces derniers. Après le décès de son mari, un vendeur de colas, sa situation a empiré.

« Comme de nombreuses femmes, je m’occupe de mon foyer. Déjà, quand mon mari était vivant, je contribuais à la dépense quotidienne. Je rends grâce à Dieu qui m’aide à prendre en charge mes enfants. Malgré cette précarité dans laquelle je me trouve, des parents quittent ma région Kayes au Mali pour s’installer chez moi. C’est le cas de mon oncle et de deux cousins à mes fils qui vivent sous notre toit. Et fort heureusement, la maison nous appartient », confie-t-elle.

Téné est une Bambara bon teint : taille moyenne et teint noir. Elle est très énergique. Ses longues journées commencent au lever du soleil. « Moni Féréla » achète d’abord le petit-déjeuner pour sa famille. Ensuite, elle donne la dépense quotidienne pour faire bouillir la marmite. Toutes les heures qui suivent sont consacrées à son commerce de la bouillie de mil. « Je dépense tous les jours 3 000 FCFA pour l’achat du mil, du charbon et du paiement du meunier du coin, entre autre. Le soir, je me retrouve avec un bénéfice de 3 000 francs Cfa. Jadis, je gagnais des bénéfices pouvant atteindre 5 000 à 6 000 FCFA », indique-t-elle. « Aujourd’hui, mon commerce marche au ralenti», se désole « Moni Féréla ». Selon elle, cette baisse de ses revenues est dûe au coût élevé de la vie. Le kilogramme du mil est passé de 200 francs à 350 francs. Le kilo de charbon a augmenté, la bonbonne de gaz également. « C’est vous dire que tout est cher aujourd’hui. Malgré cette situation, je suis tenue de fidéliser mes clients. Je vends l’équivalent de quatre kilos de mil par jour », ajoute Moni Féréla.


Une activité au ralenti

Ses clients adorent manger du « Moni galama ». « Pour éviter que d’autres vendeuses de la bouillie au mil ne me les prennent, j’accepte de leur faire du crédit, même si cela ne m’arrange pas très souvent », précise-t-elle. Cela n’est pas du goût de certaines vendeuses, des concurrentes plutôt jalouses. « J’ai commencé à vendre de la bouillie depuis le Mali. Finalement, j’ai pris mes cliques et mes claques pour venir rejoindre mon mari», révèle-t-elle.

Sa conviction est simple : la pauvreté n’est pas une fatalité. « Il suffit d’être méthodique pour que tout marche. Je suis contre la facilité. C’est pourquoi j’ai initié mes filles à ce commerce. Quant aux garçons, l’un est apprenti mécanicien et l’autre vient d’être reçu aux examens du BFEM ».

Fière de sa situation, « Moni Féréla » invite les femmes à se battre pour leur autonomie financière, la seule bataille qui vaille à ses yeux. Pour elle, la politique de la main tendue doit être bannie dans la région. « Je préfère travailler dur plutôt que de tendre la main », dit-elle avant de rejeter l’idée qui fait dire à certains et à tort que seuls les hommes sont capables de gérer des foyers.

Le « Moni Galama » de Téné est très prisé par les clients pour leurs diners, surtout en période de Ramadan. Son savoir-faire, les fins gourmets parlent d’art culinaire, lui a permis de gagner la confiance des clients. C’est le cas de Boubacar Diop. « Moni Féréla prépare bien son Moni. En plus, elle n’est pas cupide comme les autres vendeuses qui passent leur temps à faire de la spéculation sur leur produit. Avec seulement 100 francs, je mange à ma faim. En plus, je n’ai pas d’inquiétude sur la qualité de son produit », confie M. Diop , rassuré par l’hygiène de la vendeuse. « Elle est propre », indique-t-il.

Une autre cliente témoigne : « Depuis que je suis à Tambacounda, c’est Moni Féréla qui me vend de la bouillie de mil. Elle est propre, même mon époux le reconnaît. D’ailleurs, c’est elle qui m’a apprise comment préparer le Moni Galama. Pour votre information, sachez que cette femme fait aussi du social. Elle donne gracieusement du Moni Galama à des enfants de la rue tous les soirs », révèle la cliente. A ce sujet, « Moni Galama » déclare que toute bonne action ne se perd jamais. « Je suis une femme et j’ai du mal à regarder ces petits enfants mourir de faim. Ma conviction est qu’une personne doit faire du bien, qu’elle soit riche ou pauvre. C’est ce qui justifie mon geste vis-à-vis de ces enfants de la rue », explique-t-elle.

Il est difficile d’être femme et chef de ménage, soutient « Moni Féréla ». « Mais par la grâce de Dieu, mes enfants ne manquent de rien. Et comme dit l’adage, il faut faire du bien pour espérer une récompense. Aujourd’hui, ce commerce m’a permis d’acheter la fourniture de mes enfants d’acheter un frigo pour vendre de l’eau fraîche et de la glace et de payer chaque année un mouton pour la Tabaski. Je suis convaincue qu’il n’y a pas de sot métier. Il suffit juste d’avoir la confiance en soi et de la persévérance », explique-t-elle.. Une conviction que « Moni Féréla » démontre chaque jour.