Rwanda : une honte française

Les commémorations du vingtième anniversaire du génocide rwandais se sont ouvertes ce lundi dans la capitale Kigali, avec une partie de la communauté internationale. Mais ce qui devait être un hommage humble et émouvant est désormais troublé par les propos du président rwandais Paul Kagame qui accuse Paris d’avoir participé aux massacres. La France a annulé sa participation, l’ambassadeur français s’est vu retirer son accréditation, et la triste page de notre histoire s’est encore un peu plus assombrie. Retour sur une honte française.

Il y a des souvenirs comme des tâches. Ils restent, ravivant un parfum de honte à chaque fois qu’on les effleure. En l’occurrence l’odeur des cadavres, des morts, du sang, les bruits des cris, des bruissements, des fuites devant les machettes, les cris de haine lancés par la Radio Télévision Libre des Mille Collines (RTLM). 50 ans après la Shoah, ce que l’on pensait impensable dans l’histoire de l’humanité s’est reproduit. Un génocide, soigneusement préparé, organisé, planifié. Un génocide à froid, où les civils ont été mis à contribution pour aller « travailler », « raccourcir » leurs voisins, les découper à la machette, hommes, femmes, enfants, sans discernement. 100 jours pour tuer 800 000 Tutsis. 8 000 par jour.

La France voit tout, entend tout, mais choisit d’aider les génocidaires
Pour en arriver là, il fallait que le racisme soit ancré dans les têtes. Au Rwanda, il y a depuis toujours une minorité de Tutsis et une majorité de Hutus. Lorsque les colons blancs sont arrivés d’Europe, d’Allemagne et de Belgique, tous empreints de théories raciales, ils déduisent que les Tutsis, qui dirigent le pays comme une aristocratie, sont génétiquement meilleurs que les Hutus. Ce message raciste, ils vont le diffuser dans les écoles, l’enfoncer dans les têtes des uns et des autres. Les Hutus n’auront de cesse de prendre leur revanche sur les Tutsis « arrogants et méprisants » et de les « raccourcir » pour qu’ils arrêtent de « les regarder de haut ».

Les mots pris au pied de la lettre ont parfois la froideur d’une lame. Chassés du Rwanda par la révolution sociale hutu, les Tutsis trouvent refuge en Ouganda et fondent une armée, le FPR (Front patriotique rwandais), qui se fixe pour objectif de renverser le régime hutu. Lorsque le FPR attaque en octobre 1990, la France et la Belgique envoient un contingent pour protéger le régime légal hutu du président Juvénal Habyarimana. C’est l’opération Noroît. Dans la foulée, des formateurs français vont venir, des conseillers militaires vont épauler l’État-major. Durant les 4 années qui vont conduire jusqu’au génocide, le France sera là, sur le terrain. Elle verra tout. Entendra tout. Mais choisira d’aider jusqu’au bout le régime des génocidaires.

En 4 ans, ce régime va basculer dans la folie meurtrière. Le président Habyarimana fait de la haine des Tutsis un sentiment d’union nationale. Il crée des milices de jeunes, les Interahamwe, qui peu à peu vont s’organiser comme des militaires et bénéficier de la formation expéditive des soldats français. Les premiers massacres de villageois tutsis ont lieu en 1992 à la machette. Les auteurs sont condamnés pas pour meurtre mais pour avoir volé les vaches des Tutsis. Ça n’était pas les ordres. Le message sera vite compris « tuez-les tous, vous ne serez pas punis ».

Les Casques bleus jettent leurs bérets de honte et de rage
Habyarimana, président pyromane, est débordé par plus radical, plus raciste, plus fou que lui : les membres du Hutu Power. Avec eux, les messages de Radio Mille Collines deviennent des appels au meurtre quotidien. Des listes de noms sont lues avec comme mot d’ordre final « raccourcissez ». Le 4 avril, le président rwandais est tué. Son avion abattu par un missile sol-air. Qui l’a tiré ? Les radicaux hutus ou le FPR ? Peu importe au fond. Les 2 camps y voient un signal pour passer à l’action. Le lendemain, le FPR tutsi d’Ouganda passe à l’attaque et parallèlement, les Hutus Power lancent le génocide.

Radio Mille Collines guide les tueurs : « ce quartier est nettoyé passez à tel autre ». Les cadavres jonchent les routes. On tue mécaniquement, à grand coup de machette. La France est là. Elle s’occupe de repousser l’avancée du FPR. Avec elle, l’ONU. Mais les Casques bleus ont ordre de ne pas bouger. Les ONG lancent des cris d’alarme. Mais l’ONU se bouche les oreilles, refuse de parler de génocide pour ne pas avoir à intervenir et réduit de 90% son contingent de Casques bleus. Les témoins disent avoir vu des soldats jeter leurs bérets bleus de honte et de rage.

Le génocide s’arrête comme une machine que l’on stoppe
Le Hutu Power machette à tour de bras, à raison de 8 000 morts par jour, mais leurs chefs sont reçus à l’Élysée. Pendant 2 mois et demi, la France, pourtant aux premières loges, fera mine de ne pas voir ni entendre le génocide. Il faudra une percée du FPR en juin pour décider Paris à envoyer un renfort militaire. L’opération Turquoise. Mais pas pour arrêter le génocide ! Non ! Pour empêcher le régime des génocidaires de tomber et le FPR de prendre Kigali, la capitale. Car le plus important est là : maintenir les amis francophones de la France au pouvoir face à la poussée du FPR soutenu par l’Ouganda, donc par les Anglo-saxons.

Après 100 jours, un accord est trouvé. Un gouvernement d’union national est formé. Le génocide s’arrête, comme une machine que l’on stoppe. 100 jours et 800 000 morts. Devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères, François Léotard, ministre de la Défense, diront leur fierté d’avoir mené cette politique. À l’Élysée, Hubert Védrine, alors Secrétaire général et bras droit du président de la République, invoquera la nécessité d’État. Mitterrand, lui, s’accrochera au mythe de la légitimité du plus grand nombre à gouverner au Rwanda. Même au prix d’un génocide.