[Contribution] Des maires non natifs de Tambacounda dans l’ADN de la cité

La réforme de l’acte 3 de la décentralisation a décuplé les ambitions et les appétits des acteurs politiques locaux, dans la perspective des élections locales qui viennent de s’achever. Plus que par le passé, celles-ci ont enregistré une forte tendance au chauvinisme dans le choix des édiles à élire. Le désir bruyamment exprimé, ici et là, dans l’ordre comme dans le désordre, de voir enfin un vrai natif de Tambacounda élu maire a empoisonné et empoisonne encore la vie publique de la cité.

Plusieurs années en arrière, je faisais partie de ceux en présence de qui une vieille notable, très connue et respectée dans la ville, avait fait la remarque que « jamais un vrai natif de Tambacounda ne sera le dirigeant de cette ville ». Autrement dit, jamais un vrai natif de Tambacounda ne sera maire de la ville. Selon elle, c’est l’effet d’une malédiction proférée par un marabout célèbre qui aurait vécu un passage, pas du tout à son goût, dans l’agglomération à une époque très lointaine. Je n’ai jamais cru à ces faits et n’avais pas fait attention aux détails du passage de ce marabout, pour mieux saisir les causes de son courroux. Que cela soit fondé ou pas, ce genre de phénomène tient encore la route dans les systèmes de croyances en Afrique.

Pour être plus concret, l’histoire de la ville de Tambacounda nous donne sa version incontestable. Il est remarqué que les établissements humains se font généralement le long de voies de communication existantes, notamment les routes, les cours d’eau, les chemins de fer ou sur les côtes des océans. Tambacounda n’a pas été créée le long d’un chemin de fer déjà existant. C’est le chemin de fer qui a créé Tambacounda, ou plus exactement, c’est le colon français qui a créé Tambacounda, en autorisant les équipes du chantier de construction de la ligne ferroviaire à y installer leur campement, à 5km au nord du village de Tamba Socé, qui a donné son nom à la localité.

De ce campement des ouvriers chargés de la construction de la ligne du Thiès-Kayes sont nés une escale coloniale au nord et un village indigène au sud de la ligne de chemin de fer en chantier, dont les premiers chefs de village étaient Batou DIARRA et Moriba DIAKITE. Aucun d’eux n’était natif du village, parce qu’ils avaient été recrutés ailleurs et étaient arrivés là pour les besoins du chantier ferroviaire. Ces ouvriers étaient des citoyens de l’AOF, en d’autres termes, des Mandings et des Peulhs trouvés sur place dans la région, des Wolofs, des Sérères, des Soninkés, des Diolas, des Bamanang ou Bambaras, des Mossis, des Bobos, des Sénoufos, des Dogons, des Maninkamory, des Soussous, des Diakhankés, des Khassonkés, etc. Il s’est opéré là un véritable brassage ouest-africain, qui fait de Tambacounda une ville d’intégration. Elle est restée ouverte et accueillante aux courants migratoires féconds, arrivés par les routes, le chemin de fer et par les airs. Ce qui lui vaut, avant et après l’indépendance, d’être un carrefour dynamique, riche de sa diversité, entre le Sénégal et ses cinq voisins.

Après le transfert du chef lieu du Cercle de Maka-Colibantan à Tambacounda en 1920, des administrateurs coloniaux ont servi d’officiers d’état civil ou de maires, jusqu’à l’avènement du premier édile noire en 1957, en la personne de Mamadou SEYE. Ainsi donc, les premiers chefs de village, avant la communalisation, et tous les six maires qui se sont succédé à Tambacounda, de Mamadou SEYE à Mame Balla LO, en passant par Mady CISSOKHO, Moussa DIALLO, Souty TOURE et Woury BA n’étaient ou ne sont pas réellement natifs de la ville. C’est à croire que les dirigeants ou les maires non natifs, Tambacounda les a dans son ADN.

Il n’est pas nécessaire de s’appesantir sur les origines, bien connues, de chacun des maires. Certains parmi eux ont pu ou peuvent se prévaloir d’un jugement supplétif qui ne confirme pas pour autant la réalité et l’effectivité de leur naissance à Tambacounda. Cela est d’autant plus plausible que l’administration coloniale tenait à jour des registres d’état civil depuis son installation. Malgré les souffrances des archives municipales, des exemplaires de ces registres d’état civil peuvent être retrouvés ailleurs en bon état.

L’histoire de la ville confirme-t-elle la remarque de la vieille notable citée plus haut, à propos de la malédiction du marabout ? Si c’est le cas, ceux qui prônent et qui agissent ou s’agitent pour l’avènement d’un maire réellement natif de Tambacounda devraient penser plutôt à conjurer ce sort. Ils devraient s’en remettre à l’adage, prosaïquement et littéralement traduite de nos langues africaines, selon lequel « tout ce que la main d’un homme peut faire, la main d’un autre homme peut le défaire ».

Plus sérieusement, tous ceux qui vivent à Tambacounda, et même en dehors, veulent que la ville continue de respirer la paix, le bonheur et la joie d’une vie commune harmonieuse et agréable, bien partagés. Tous veulent faire l’économie des sentiments de chauvinisme, de patriotisme étriqué, d’intolérance, d’exclusion, d’ostracisme, de xénophobie, d’arrogance, d’insanité et de vulgarité, qui troublent la quiétude légendaire de la cité, affectent d’honorables citoyens dans tout leur être, distraient les populations des vrais problèmes et brouillent l’avenir de la ville.

Le bon sens voudrait que l’on n’insulte pas l’histoire, en ne reconnaissant pas l’œuvre méritoire de tous ceux qui ont apporté leur pierre à l’édification de la cité. Si aujourd’hui nous pouvons nous enorgueillir d’être des tambacoundois, c’est parce que ceux qui ont géré la cité, pendant tout ce temps, ne l’ont pas brulé et ne l’ont pas laissé en ruine. Au contraire, dans la mesure de leurs capacités, de leurs visions et des moyens dont ils disposaient, ils ont largement contribué à l’essor du campement qui est devenu un village, puis très vite une ville avec un potentiel de développement prometteur.

Tambacounda a connu un développement appréciable, eu égard au fait que c’est une ville essentiellement rurale, sous équipée, avec peu d’outils économiques, une seule unité industrielle, presque pas d’entreprises créatrices de richesses et pourvoyeuses d’emplois massifs et de haut niveau. Le plus grand employeur de la ville reste l’administration et le commerce informel. Le dynamisme économique de la ville repose en effet, sur les échanges avec les régions et les pays voisins, ainsi que sur le commerce informel tenu essentiellement par les peulhs et les Baol-Baols. L’économie agricole perd de la vitesse, notamment avec la croissance exponentielle de la ville, qui étale ses nouveaux quartiers, ainsi qu’à cause de la mort « programmée » du Mamacounda, le cours d’eau nourricier de la ville qui disparait progressivement et cesse d’irriguer le poumon vert de la cité. L’élevage lutte, tant bien que mal, contre son dépérissement entretenu par l’appauvrissement des pâturages, malgré des projets de développement d’envergure, mais éphémères, ayant vécu dans la région.

L’unique lycée qui y a été construit est l’œuvre d’un citoyen sénégalais de Louga, tombé sous le charme de la ville et pris d’affection pour ses enfants. Certaines écoles de formation professionnelles, essentiellement privées, n’y sont apparues que récemment. Les enfants de la ville et de la région continuent d’accéder à l’enseignement supérieur, universitaire et professionnel dans d’autres villes du Sénégal et à l’étranger. Certains, la mort dans l’âme, finissent par s’installer dans leur lieu d’accueil, faute de débouchés dans leur ville d’origine.

Paradoxalement, sous prétexte qu’ils sont déconnectés des réalités de la ville, beaucoup de ces citoyens tambacoundois expatriés ou installés dans d’autres localités du Sénégal sont également repoussés ou ostracisés. Pour la plupart, ils sont soupçonnés de vouloir venir cueillir le fruit du travail des résidents, pour avoir décidé de venir s’investir chez eux, surtout en politique, afin d’y apporter le savoir et l’expérience, qu’ils ont acquis sous d’autres cieux. Dans le pire des cas, supposés nantis, ils sont sournoisement accueillis à bras ouvert, dans le seul but de les saigner à blanc et ensuite les rejeter. Parce qu’à Tambacounda aussi, les politiciens sont réduits à la fonction de vache à lait, et les populations s’en contentent, en lieu et place de projets d’avenir structurants, en termes de développement économique et de création d’emplois massifs.

Ceux qui sont restés à Tambacounda par choix ou malgré eux, si certains s’en sortent tant bien que mal, d’autres sont confrontés aux rigueurs du manque d’emploisainsi qu’àla dureté de la pauvreté et de la misère, à tel point qu’il leur est pratiquement impossible d’être des acteurs du développement de la ville.Ceux-là deviennent des victimes faciles des politiciens corrupteurs, qui n’ont de considérations que pour leurs intérêts personnels. Cette victimisation s’aggrave quand ces tambacoundois de souche sont réduits à servir de faire valoir, de supporters, d’applaudisseurs ou au pire, de délateurs et d’intrigants pour ceux qui prétendent aux destinées de la cité. Cela, parce qu’ils ont été eux-mêmes incapables de concevoir et de porter des projets d’avenir pour la cité, afin de les faire valoir pour prétendre aux suffrages de leurs concitoyens. C’est tout cela aussi le drame de Tambacounda.

Autrement dit, la politique a ses règles et ses lois valables partout. A Tambacounda, ceux qui sont sur le terrain y ont été forcément acceptés, accueillis, accompagnés, soutenus et ils l’occupent pleinement. S’ils ont été capables d’obtenir l’engagement des populations, alors ils peuvent valablement prétendre à être, et deviennent effectivement, les élites dirigeantes de Tambacounda. Qui qu’ils soient, d’où qu’ils soient, quelle que soit leur personnalité, qu’ils aient des projets d’avenir ou non, s’ils prouvent leur éligibilité, leur poids politique, leur capacité à séduire, convaincre ou à manœuvrer l’électorat, ils passeront. Nul n’est besoin de faire un mauvais procès à qui que ce soit. Il suffit de procéder à une lecture correcte de la situation de Tambacounda, de réfléchir, de comprendre, d’analyser et de tirer les leçons de tous les éléments d’appréciation.

Ce qu’il faut retenir de tout cela, c’est que le choix de l’élite dirigeante de Tambacounda ne doit pas obéir au seul critère de la naissance ou de l’origine. Ce choix n’aurait aucune valeur et aucun intérêt, si l’élu n’est pas en mesure de conduire une dynamique de développement économique et de progrès social, dans la bonne gouvernance, la justice, l’équité et la solidarité. Tout comme il est insensé et improductif de rejeter un ressortissant de la ville ou un non natif, devenu tambacoundois par amour ou par adoption, s’ils sont porteurs d’un projet d’avenir. Quand ces trois catégories de sénégalais se valent en terme de capacité, à conduire les destinées de la ville dans le sens voulu par les populations, celles-ci sont libres, dans ce cas précis, de porter leur choix sur le natif, sans le manifester de façon ostentatoire et incongrue.

Ainsi la réputation de ville d’intégration de Tambacounda serait sauve, eu égard à son histoire, sa situation géostratégique, son appartenance à une organisation comme la SAFRA, (Semaine de l’Amitié et de la Fraternité), dans laquelle elle se retrouve régulièrement avec les villes de Sélibaby en Mauritanie, Kayes au Mali, Labé en Guinée, Bassé en Gambie, et avec lesquelles, elle entretient, depuis des années, des relations de coopération multiforme. Cette réputation de Tambacounda doit surtout être préservée et entretenue, parce qu’elle est un gage et un exemple d’ouverture, d’unité, de cohésion et d’harmonie de la diversité nationale. Dans ce village global, il est inopportun de se rendre vulnérable face aux démons de la division, de la désintégration et de la violence qui rodent non loin. Il y’a des enjeux de développement économique et de progrès social autrement plus importants et surtout plus pressants pour Tambacounda.

Kadialy DIAKHITE, journaliste écrivain

Tambacounda.info /