Retour des coupures d’électricité : «La situation est devenue alarmante»

Après une «trêve» le temps d’un mois de ramadan, les coupures d’électricité ont repris de plus belle, depuis quelques jours à Dakar. Les populations crient leur ras-le-bol et interpellent la Société nationale d’électricité (Senelec).

Au populeux quartier de Grand Yoff, les activités ont repris leur cours normal après la célébration de la fête de Korité. Électronicien, Baba Sarr tient un atelier de réparation de postes téléviseurs au cœur du marché «Monument» à Arafat. Derrière son comptoir, il taille bavette avec deux amis, faute de clients, laissant la télé allumée. «Le courant vient juste de nous revenir», se plaint l’homme, la quarantaine bien sonnée. Malgré ces nombreuses coupures, l’homme n’a pas cherché d’alternative car les groupes électrogènes «ne fournissent pas une électricité à intensité normale». La principale matière première de cet homme reste l’électricité, sans laquelle son activité est paralysée. «On observe beaucoup de coupures maintenant, et parfois ça peut même durer toute la journée. Certaines fois, elles ne durent pas longtemps. Nous déplorons cela, mais surtout le haut débit avec lequel le courant revient. S’il se trouve qu’on a branché un appareil, il se détériore et devient inutilisable. La situation est devenue alarmante», se lamente-t-il.

Non seulement les coupures font fuir les clients, mais elles abîment le matériel de travail. «Le manque d’électricité fait fuir notre clientèle. Tout le monde n’a pas la patience d’attendre. Et ce n’est pas bon pour nous. Avec des appareils abîmés, nous sommes obligés d’en acheter d’autres, alors que nous ne l’avions pas programmé», se désole Baba Sarr. À peine a-t-il fini ses lamentations que Daouda Sarr, apprenti dans cet atelier, prend le relais. D’un ton sec, il lance : «On quitte chaque jour nos maisons pour venir travailler et on ne trouve pas d’électricité. Il nous arrive même de rester la moitié d’une journée à ne rien faire. Ce qui fait que nous ne travaillons pas beaucoup et ce n’est pas facile pour les chefs de famille que nous sommes.» Dans son atelier, Amadou Barry, un jeune coiffeur, raconte les mêmes peines qu’il endure dans son travail.  Il est condamné à se conformer aux caprices de l’électricité, puisqu’il n’a pas les moyens de se payer un groupe électrogène.

«Je vais vous raconter le drame d’un proche, victime des coupures d’électricité». A 200 mètres, dans le même quartier, Aissatou Gueye, vêtue d’un grand boubou, calebasse de riz à la main, les lunettes bien vissées, discute avec une voisine qui se tenait debout devant une cantine bleue. Chez elle, l’électricité se fait désirer. «C’est vers la fin du ramadan que les coupures ont repris et à un rythme exagéré. Tout ce que nous conservons dans nos réfrigérateurs pourrit. Avec le courant qui part et revient sans arrêt, aucune nourriture ne peut résister longtemps. Nos appareils électroménagers ne sont pas en reste», dénonce la dame. L’autre dame avec qui elle converse abonde dans le même sens, mais avec plus de virulence dans le propos. «Les factures sont restées chères, malgré la consommation très limitée. C’est quand même paradoxal», se plaint Bator Dieng. Elle est vendeuse de glace, mais n’a pu faire de commerce depuis quelque temps à cause de son réfrigérateur abîmé. L’appareil se trouve chez le réparateur à qui la dame doit verser 35 000 FCfa avant de pouvoir le reprendre. Anecdote à l’appui, Bator Dieng narre le calvaire qu’elle vit avec ses proches. «Un frère à ma belle sœur a été victime d’un accident il n’y a pas longtemps à cause des coupures. Le courant est revenu avec une haute intensité et le ventilateur a pris feu. Il a voulu sauver ses enfants qui jouaient à côté, mais il est tombé et s’est cassé la jambe. En plus, quand il a soulevé le matelas en feu où étaient assis les enfants, ses mains ont brûlé. Il a été conduit en France pour des soins médicaux. Il était d’abord hospitalisé à l’hôpital général de Grand-Yoff où on lui demandait une grosse somme», raconte la dame, l’air triste. Désignant du doigt une chambre à l’intérieur de son domicile, elle montre une pièce qui avait pris feu à cause d’un chauffe-eau qu’ils ont oublié de débrancher.

Le jour où le courant est parti en pleine consultation d’un patient. Autre endroit, même situation. Aux Parcelles assainies à l’Unité 13, les boulangers souffrent des coupures d’électricité. Assis dans un bureau trop étroit pour contenir toutes ses affaires, Mamadou Alpha Thiam, propriétaire de la boulangerie Complexe Tafsir Balla, se plaint des dépenses en carburant auxquelles il est confronté pour combler le manque de courant. Il ajoute que «les factures grimpent d’une manière anormale, malgré les coupures». Même s’il dispose d’un groupe électrogène qui «tombe de temps en temps en panne», ses dépenses doublent à cause de l’achat de gasoil pour pouvoir faire fonctionner son entreprise. Et cela peut lui coûter jusqu’à 200 000 FCfa dans le mois, en plus des salaires qu’il doit payer. «Les conséquences des coupures sont pénibles pour nous», résume-t-il.

Non loin de la boulangerie, un dispensaire ophtalmologique. A l’intérieur, un calme plat règne sur les lieux. Seule une jeune maman, un bébé au dos, patientait. Mansour Diouf, Major du dispensaire « Le Baobab », est dans son bureau, en face d’un appareil qui lui permet de «poser des diagnostics sur les malades oculaires», raconte son calvaire. «Une fois, dit-il, je suis venu ici et j’ai trouvé un patient qui avait reçu un coup à l’œil. C’est un soudeur et il est venu vers 6 heures du matin. J’ai démarré ma consultation, un instant après, il y a eu coupure d’électricité. Vu que nous n’avons pas de groupe électrogène, le patient a attendu plus de 3 tours d’horloge avant que le courant revienne. C’est un préjudice pour ce père de famille qui devait se soigner et retourner vaquer à ses occupations», rapporte-t-il. A Liberté 6 Extension, à Sacré-Cœur, partout, la complainte est la même. La Senelec est appelée à fournir plus d’efforts pour une baisse des délestages. Le Premier ministre Mohamed Dionne demande aux Sénégalais de se mettre «au travail», sans électricité.

L’Observateur