Macky Sall : « Démocrate dur ou dictateur mou »

 

« Le 12 mai 2002, dans un bureau de vote quelque part au Sénégal. Les témoins de la scène qui s’y passe en sont restés coïts. Certains n’en reviennent pas toujours pas, d’autres en rient encore. Un rire jaune. Mais à la révélation de l’affaire, c’est tout le Sénégal qui est sous le choc. Ce jour là, un ministre de la République a commis ce qu’aucun homme politique sénégalais n’avait osé jusque là faire: voter sans pièce d’identification, en forçant quasiment les portes d’un bureau de vote. Dans n’importe quelle démocratie, l’auteur d’une telle forfaiture serait tout simplement retirer de la circulation politique pour infraction grave au code de conduite républicain. Pas au Sénégal, décidément pays de toutes les exceptions hideuses et lumineuses, qui a poussé son particularisme jusqu’à confier la conduite de son Etat à ce même chauffard de l’éthique républicaine. Élu Président de la République douze ans plus tard, Macky Sall roule toujours en contresens d’une démocratie qu’il veut aujourd’hui mettre en circulation alternée.

Le Président et la tentation du tout autoritaire

Dépassé par la complexité de la fonction présidentielle, plombé par l’hégémonie de son impopularité et assommé par la succession de sondages confidentiels qui le placerait loin voire très loin derrière Karim Wade, Macky Sall est un homme seul face à un immense abîme. Il est cerné de toutes parts par des difficultés dont l’accumulation l’entraîne chaque jour un peu plus, dans l’engrenage d’une radicalisation politique. Depuis plusieurs mois, les dérives se multiplient. Au moment où vous lirez ces lignes, des opposants et leurs proches sont en prison tandis que d’autres sont placés son contrôle judiciaire. Un tribunal d’exception, décrié par presque toutes les organisations de défense des droits de l’Homme, a été exprès réactivé pour les juger. Au moment ou vous lirez ces lignes, un des plus virulents adversaires du président Sall a été à arrêté et inculpé pour avoir, sur un réseau social, parlé de l’inexplicable et intraçable fortune présidentielle. Il risque jusqu’à 6 mois de prison pour ce crime de « lèse-Macky », maquillé en offense au Chef de l’Etat. Au moment où vous lirez ces lignes, les rassemblements politiques des partis d’opposition sont systématiquement frappés d’interdiction. Au moment ou vous lirez ces lignes, le représentant d’Amnesty international au Sénégal est victime d’intimidations d’Etat pour avoir mis en cause le pouvoir dans la mort par balle d’un jeune étudiant lors de manifestations violemment réprimées par la police.

Les images insoutenables d’étudiants aux crânes sanguinolents et bras fracturés ont ému et choqué le Sénégal et révèlent la violence gratuite et disproportionnée des forces de l’ordre.

Les Sénégalais attendent qu’on leur dise la vérité sur les donneurs d’ordre de cette innommable barbarie. Car il y a bien eu un idiot zélé qui à un moment, a donné aux policiers l’ordre de réprimer les étudiants jusqu’au sang. Certainement pas jusqu’à ce que mort s’en suive, mais hélas le fait est là. Ce jour là, Bassirou Faye, un jeune étudiant paisible qui ne faisait que réclamer dix mois d’arriérés de bourses a péri sous les balles d’un assassin. Une mort qui était aussi prévisible qu’elle était évitable si la police n’avait pas été autorisée à s’installer dans l’enceinte même du campus universitaire voire à l’intérieur de certains amphithéâtres. Cette tragédie survenue au cœur même d’une institution universitaire ne concerne pas que le présumé meurtrier qui a froidement abattu un probable futur brillant scientifique sénégalais. Il porte aussi la marque d’un régime qui est incontestablement en train de basculer dans une dérive sécuritaire et autoritaire sans précédent au Sénégal. Le sanglant et mortel saccage du campus de Cheikh Anta Diop risque de saccager ce qui restait d’espoirs à Macky Sall d’apaiser un climat social et politique déjà bien tendu. Aurait-il voulu compromettre sa désespérante et improbable reconquête de l’opinion qu’il ne s’y serait pas pris différemment. Et même si l’ordre présidentiel règne en ce moment dans les universités sénégalaises, la déflagration engendrée par la mort de l’étudiant Bassirou Faye est loin d’être maîtrisée.

Le président et ses fabricants de bêtisiers

Les lacunes du Président sont nombreuses. Son niveau de culture démocratique est la principale. Aucun Chef d’Etat sénégalais avant Macky Sall, n’avait à ce point, osé mettre la justice sous aussi forte pression. L’ensemble du système judiciaire sénégalais est aujourd’hui verrouillé et sa magistrature placée sous le haut et très agissant patronage de la présidence de la République. Abonné aux bourdes en série, n’est ce pas le Chef de l’Etat en personne qui avouait il y a quelques semaines avoir volontairement « mis sous son coude plusieurs dossiers de justice. » Est ce donc lui qui a, au mépris de toutes les procédures démocratiques, décidé de sortir de l’autre coude présidentiel, les « dossiers Karim Wade et Abdoulaye Baldé », pour les placer entre les mains de ce peloton d’exécution politico judiciaire qu’est devenue la Cour de répression de l’enrichissement illicite? Les Sénégalais ont élu un président à la tête de leur République un soir de mars 2012. Deux ans plus tard, c’est un régent absolu, absolument enfermé dans sa tour d’ivoire clanico-familiale et solidement arcbouté sur ses propres incompétences qui gouverne le pays, épaulé par son inégalable duo de fabricants de bêtisiers: Mame Mbaye Niang et Abdoul Mbow. La vulgarité qui a propulsé ces deux là au cœur de l’appareil d’Etat leur tient lieu de compétence. Ils sont les plus flamboyants spécimens de la misère intellectuelle et républicaine qui règne au sommet de notre République.

Le Sénégal a connu quatre alternances, mais Macky Sall fait comme si rien n’avait changé depuis cinquante ans. Il est le premier président sénégalais né après les indépendances mais ses méthodes de gouvernance restent verrouillées sur l’ère du parti unique avec une industrie de l’intimidation politique et judiciaire qui tourne à plein régime. Les manifestations politiques de l’opposition sont presque toutes systématiquement interdites. Ceux qui n’applaudissent pas le président sont fichés comme des adversaires voire des ennemis qu’il faut stigmatiser, qu’il faut harceler et qu’il faut faire taire. Pour avoir oser dénoncer certaines dérives du régime Sall, le représentant d’Amnesty international a été insulté et menacé physiquement par les « commandos d’élite » du parti présidentiel. Un député utilitairement proche du président est même allé jusqu’à demander son emprisonnement. Une stratégie de la terreur n’a qu’une seule finalité: mettre le Sénégal en liberté surveillée.

Le président, les parasites et la dictature

Mais il y a pire encore. Lorsque le président assimile publiquement certaines revues de presse à « une dictature » et compare certains journalistes à des « parasites », il expose certains membres de la profession à la vindicte partisane. La dictature commence toujours avec les mots et le vocabulaire utilisé par le président est révélateur de sa volonté de museler et d’intimider les journalistes non alignés. Lorsque l’on prend l’opinion publique à témoin pour stigmatiser les médias, c’est que l’on est aux abois. La sortie de Macky Sall n’est pas une bourde mais un dérapage symptomatique d’un président affaibli, qui veut neutraliser ce qu’il appelle la « dictature des revues de presse » au profit de la dictature de la pensée unique médiatique « pro-Macky. » L’objectif du Palais est clair. Après avoir pris le contrôle de la totalité du pouvoir absolu, exécutif, législatif et judiciaire, le président veut mettre la main sur la totalité du pouvoir médiatique.

Le Sénégal rêvé de Macky Sall est un pays où l’on peut réquisitionner par décret les micros, les plumes et les esprits. Le pays rêvé de Macky Sall est un Sénégal ou l’on peut asphyxier les esprits libres et rebelles! Alors monsieur le Président, les parasites dont vous parlez ne sont pas ceux que vous stigmatisez et ne sont pas là où vous croyez. Ils sont autour de vous, vous ceinturent et vous leurrent. Les parasites sont tous ces journalistes et patrons de presse, sonnant et trébuchant qui utilisent leurs médias comme arme de culpabilisation et d’exécution politique de votre principal adversaire politique, Karim Wade. Les parasites sont ceux qui se servent de votre impopularité et de la fragilité de votre pouvoir pour se servir. Les journalistes qui vous critiquent ne sont pas vos adversaires, les marchands d’articles qui vous encensent ne sont pas vos amis.

Votre destin politique ne se décrétera pas dans une salle de rédaction mais dépendra de vos capacités à vous révolter contre vous même et contre vos geôliers politiques et médiatiques.

Les Sénégalais ne sont pas dupes et perçoivent chaque jour votre lente dérive vers un régime autoritaire qui a pour finalité d’effrayer et d’intimider tout ce qui pense et réfléchit librement dans notre pays. C’est le processus de verrouillage de nos libertés qui est en cours comme si tous les pouvoirs au Sénégal ne devaient avoir qu’un seul nom : Macky Sall ».

Malick SY Journaliste