Babacar Gaye, un vétéran du maintien de la paix

 

Une nouvelle force de maintien de la paix des Nations unies a commencé à se déployer en Centrafrique plongé dans une grave crise depuis dix-huit mois. Le déploiement de la Minusca est considéré comme la mission de la dernière chance pour arracher ce pays aux horreurs de la guerre civile. La communauté internationale mise sur le chef de cette nouvelle force onusienne pour mener à bien sa double mission humanitaire et politique. Portrait.

« Oui, Monsieur Ladsous tient beaucoup à ce que les hélicoptères que nous avons volent lors de la cérémonie de transfert d’autorité, j’espère que le temps sera cléments et qu’ils pourront voler », disait récemment le général Babacar Gaye à l’antenne de RFI. Or contrairement aux souhaits du général sénégalais, patron de la Minusca (acronyme pour la Mission intégrée multidimensionnelle de stabilisation des Nations unies en Centrafrique) qui vient de prendre le relais de la force africaine (Misca), il n’y a eu, ce lundi 15 septembre, ni soleil ni hélicoptères dans le ciel de Bangui lors de la cérémonie de la passation du commandement des opérations de maintien de la paix. C’est en effet sous une pluie battante qu’Hervé Ladsous, le patron des opérations de maintien de la paix de l’ONU, a remis le béret bleu au commandant des soldats onusiens. Une cérémonie symbolique, car les hommes ne changent pas, ne changent que le nom du contingent et la couleur des casques qui passe du vert de l’Union africaine au bleu des Nations unies…

Créée en avril dernier par la résolution 2149 du Conseil de sécurité, la Minusca est composée pour l’instant des hommes issus de la force africaine dissoute. L’arrivée de détachements du Maroc, du Pakistan et du Bangladesh permettra de porter ses effectifs à 12 000 soldats et policiers et de déployer les soldats de la paix à travers tout le territoire. Le déploiement de cette nouvelle force est considéré par les observateurs comme l’option de la dernière chance pour ramener la paix en Centrafrique. Si les violences intercommunautaires massives entre populations chrétiennes et musulmanes ayant fait des milleirs de morts depuis décembre 2013 ont maintenant cessé, la situation  reste toujours inquiétante et « d’une volatilité extrême », au dire même du chef de la Minusca. Dans ce contexte, la mission de cette dernière s’annonce ardue et de longue haleine, mais la communauté internationale mise sur le chef de la force onusienne pour la mener à bien.

Un « do-er »

C’est la riche expérience militaire et diplomatique du général sénégalais qui a conduit Ban Ki-Moon à le nommer représentant spécial des Nations unies en Centrafrique dès juillet 2013, puis chef de la Minusca, il y a trois mois, suite à la décision par le Conseil de sécurité de remplacer la force africaine Misca par une force onusienne. Dans les milieux onusiens au sein desquels ce militaire sénégalais, 64 ans, a effectué une grande partie de sa carrière internationale, il a la réputation d’être un excellent professionnel, un « do-er »,  un homme d’action, un battant.

Le général Gaye a accumulé des années d’expérience en matière de maintien de la paix. Il a été sur le terrain, au Liban, en Iraq, en Syrie, mais aussi en République démocratique du Congo (RDC) où il a officié entre 2005 et 2010 dans le cadre des différentes missions des Nations unies. Il a conduit en RDC le plus grand contingent de maintien de la paix, avec 17 000 hommes de 55 nationalités.

Le plus jeune chef d’Etat-major

Fils d’un ancien ministre de Senghor – le père Amadou Karim Gaye fut ministre des affaires étrangères du poète-président et Secrétaire-général de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) -, Babacar Gaye a suivi sa formation militaire en France, à la célèbre Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr. Issu de la promotion De Gaulle (1970-72), il eut pour camarades de promotion, entre autres, le général congolais Jean-Marie Mokoko et le général ivoirien Mathias Doué. Des camarades qui en ont tous gardé un « très bon souvenir » !

A son retour au Sénégal à la fin des années 1970, au terme de sa formation militaire dont il est sorti lieutenant, le jeune Babacar rejoint tout naturellement l’armée, gravissant rapidement les échelons. Sa carrière domestique d’officier subalterne, puis d’officier supérieur est ponctuée de courtes missions à l’extérieur dans le cadre des opérations de la paix de l’ONU, notamment au Sinaï, au Liban et en Gambie.

En 2000, à la faveur de l’arrivée d’Abdoulaye Wade à la présidence du Sénégal, Babacar Gaye est nommé à la tête de l’armée sénégalaise, devenant ainsi, à 49 ans, le plus jeune chef d’Etat-major des armées. Deux ans plus tard, il sera toutefois contraint de démissionner de son poste suite au nauifrage du navire « Le Joola » qui sombra le 26 septembre 2002 au large de la Gambie et fit près de 2000 morts. Les familles des victimes s’en prirent à l’armée et à ses chefs dont la responsabilité présumée dans l’acheminement tardif des secours était montrée du doigt par l’opinion publique. Babacar Gaye, comme d’autres hauts fonctionnaires sénégalais, demeure toujours sous le coup d’un procès intenté devant des tribunaux en France.

C’est encore Abdoulaye Wade qui vint au secours du général sans affectation, en le nommant d’abord ambassadeur du Sénégal à Berlin, puis en le détachant en 2005 à l’Organisation des Nations unies. Il est rapidement fait commandant de la force de la Mission de l’Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo (Monuc), un poste où le Sénégalais va laisser son empreinte. Babacar Gaye a joué un rôle prépondérant dans la protection de la population civile pendant la crise du Nord-Kivu, mais sous son commandement, la Monuc a dû aussi subir des critiques pour avoir assisté sans réagir aux massacres de civils par des factions armées. Les pairs du général lui reconnaissent toutefois son sang-froid face au rebelle Laurent Nkunda qu’il a empêché de prendre Goma, la capitale du Nord-Kivu.

Au-delà des acronymes

C’est auréolé de toutes ses expériences précieuses de commandement des forces de la paix de l’ONU depuis bientôt dix ans que le général sénégalais arrive aujourd’hui à Bangui. Babacar Gaye ne débarque pas vraiment en RCA ce 15 septembre puisque, avant d’être désigné patron de la Minusca, l’homme a été représentant spécial du secrétaire général des Nations unies en République centrafricaine et chef du Bureau intégré des Nations unies pour la consolidation de la paix en Centrafrique (Binuca).

Depuis juillet 2013, date de sa première prise de fonctions à Bangui, le général parcourt de long en large ce pays, tentant de prendre langue avec les différents acteurs de la crise qui a plongé le Centrafrique dans les horreurs de la guerre civile. Il n’a cessé de rappeler que sa priorité était de promouvoir le dialogue politique, comme il l’a dit encore récemment à l’antenne de RFI où il était interrogé le 15 septembre sur la nature de sa tâche en tant que patron de la Minusca : « Et j’en profite pour dire qu’une mission de maintien de paix est en accompagnement d’un processus politique… » Un processus politique qui, selon le général, a déjà commencé avec la tenue du Forum de Brazzaville et la signature d’un accord de cessez-le-feu le 23 juillet.

La Minusca aura aussi pour mission de protéger les populations dans un pays où la paix reste encore fragile et la situation des droits de l’homme préoccupante. Mais le rapprochement politique des communautés reste « notre atout numéro 1 », martèle le Sénégalais. Tout comme les militaires sous son commandement qui ont délaissé le béret vert de l’UA pour le casque bleu de l’ONU tout en continuant d’assurer la paix, le général sénégalais a, lui aussi, changé de casquette et d’acronymes en passant de Binus à Minusca, sans oublier d’insister sur la primauté de la politique dont il a fait le leitmotif de sa mission à travers ce pays dévasté.