Lettre ouverte N°5 adressée au Président de la République, Macky SALL

 

Excellence, Monsieur le Président

 

Depuis le début de ce mois, l’actualité sénégalaise est agitée par une affaire d’Etat autour d’un document qui a permis la signature de l’Accord portant création des Chambres Africaines Extraordinaires, par Mme Aminata Touré alors Ministre de la justice.

Monsieur le Président, est-il possible de nier Votre engagement, Votre mobilisation dans ce que l’on a appelé l’affaire Habré ? Nous avons relevé que dans un subtil jeu de distribution des rôles, Mme Aminata Touré s’est positionnée pour dérouler sa partition, multipliant les fortes déclarations, elle a, avec hostilité, montré sa détermination à jouer un rôle de premier plan dans l’opération de liquidation du Président  Habré.

 

Aussi, il est important que l’opinion soit informée de tous les actes significatifs qui ont été posés par Mme Touré contre le Président Habré. Tout d’abord, bien avant la signature de cet accord portant création des CAE, elle s’est penchée sur les termes de cet accord et le contenu du statut des CAE, proposés à Votre attention par l’Union Africaine. De connivence avec les ONG et la partie tchadienne, elle a supprimé les articles suivants :

 

Premièrement, un article du statut des CAE prévoyait que : “le Président du Sénégal pouvait, – après que le condamné ait purgé les 2/3 de sa peine, et après consultation des Chefs d’Etat de l’UA, pour des raisons humanitaires- prononcer une grâce”, a été supprimé purement et simplement. Mme Aminata Touré a donc supprimé ce droit de grâce qui n’était pourtant qu’une possibilité soumise comme chacun peut le constater à de nombreuses conditions. Un acte chargé, grave, qui porte son ADN. Pouvons-nous l’oublier?

 

Deuxièmement, toujours sous les directives de Mme Touré, le texte disposant que “les juges, avant de prononcer leur verdict, peuvent entendre l’accusé, s’il a quelque chose à leur dire et au besoin, tenir compte de ses déclarations” a, lui aussi, été balayé. Quelle férocité! Oh! My God, comme diraient nos enfants.

 

La détermination de Mme Touré et son engagement assumé à agir contre le Président Habré ont été parfaitement perçus par les parties tchadiennes qui voyaient en elle, non pas une ministre de la République du Sénégal, agissant dans l’exercice normal de ses fonctions, mais plutôt une alliée, à qui, il fallait  apporter un soutien quand les problèmes ont commencé.

 

 

Par rapport à l’affaire du faux document, permettez-moi, Monsieur le Président, de dire que tous les actes qui encadrent, en amont, la signature de cet accord baignent dans un univers de faux, de faux en écriture publique.

 

Nous avons présenté ce document à un expert sénégalais, parmi ceux qui réalisent les audits dans l’administration, et qui ont également l’expertise de démanteler les faux documents administratifs. Le papier de Mme Touré est un faux tant dans sa présentation (absence de l’en-tête spécifique dudit ministère); que dans sa rédaction simpliste et erronée en parlant de “pleins pouvoirs”. Aucune référence à des textes législatifs et/ou réglementaires qui autorisent la supposée délégation n’y est faite. Il est faux également par l’absence des principes de sécurité des documents administratifs importants au Sénégal. Nous avons, à la suite d’une interpellation devant le peuple sénégalais, écouté et enregistré les précisions du Ministre des Affaires Etrangères de l’époque. Le document en possession de l’ancienne Ministre de la justice n’est pas authentique, puisqu’il a affirmé ne l’avoir jamais signé. Faut-il ajouter que les délégations sont encadrées d’un formalisme rigoureux qui exige des précisions sur le domaine et le champ d’application, la période de celles-ci et que concernant les accords internationaux, ces délégations sont soumises à une publication au Journal Officiel.

 

M. le Président, pour que le Ministre des Affaires Etrangères puisse déléguer un pouvoir, encore fallait-il qu’il eût cette délégation, au préalable, du Président  de la République? De surcroit, le Ministre des Affaires Etrangères pouvait-il déléguer ce pouvoir à Mme Touré? Non, malheureusement pour Mme Touré.

Le Ministre des Affaires Etrangères délègue à son intérimaire, c’est-à-dire le Secrétaire Général du ministère des Affaires Etrangères, son pouvoir de signature et ce, par arrêté publié au Journal Officiel du Sénégal; pour, par exemple, signer une convention à sa place. C’est dire que ce document de Mme Touré qui ne respecte aucune des formalités qui régissent la matière relève d’un amateurisme coupable dans la conduite des affaires d’Etat.

 

Nous sommes désormais, M. le Président, face à une affaire d’Etat opposant deux anciens ministres de la République au sujet d’un accord international signé avec l’Union Africaine. Et pourtant, l’Etat sénégalais n’a pas dit un mot, il retint son souffle, tétanisé par l’enjeu.

 

M. le Président, la démocratie sénégalaise présente à l’opinion internationale un visage craquelé par le scandale d’un faux en écriture publique fabriqué par un ancien ministre pour mettre en prison un ancien Chef d’Etat à qui, Votre pays a accordé l’asile, il y a 24 années. Le Droit peut-il primer sur les intérêts politiques et financiers liés à l’affaire Habré? La nullité de toute la procédure qui a conduit le Président Habré en prison, étant l’enjeu de cette affaire de faux ; voilà ce qui a paralysé les cercles du pouvoir.

Mme Aminata Touré, ministre de la justice de l’époque a, dés sa première réaction, dans un réflexe défensif, pointé le doigt vers Vous, M le Président. Quel aveu! Mieux, elle précisa avoir agi “sur instructions du Président”, plutôt avec votre acquiescement, dirais- je.

 

Mutisme calculé d’un côté mais aussi précipitation irréfléchie et impulsive de l’autre, par la publication, dans un second temps, du faux document pour semer la confusion dans l’opinion. La manœuvre soutenue par une grosse  opération de communication, cherchait à faire croire que la publication du document litigieux constituait en soit, une preuve comme si le débat portait sur une absence de document!

La publication du faux document aura, ainsi, permis aux fonctionnaires sénégalais, à l’ensemble du corps diplomatique, ainsi qu’aux organisations internationales présentes au Sénégal de savoir qu’il y a eu un faux, dans la mesure où ces institutions sont tenues dans leurs échanges avec la haute administration sénégalaise et avec les services centraux de l’Etat, de savoir reconnaître les documents administratifs authentiques respectant les conditions de légalité interne et externe.

 

M le Président, cette logique implacable qui a poussé Mme Aminata Touré à franchir toutes les lignes jusqu’à faire un faux, est la même que celle qui a animé la caste politique intéressée par l’affaire Habré et qui est à l’origine de la mise en place de cette stratégie de contournement des décisions de justice pour arriver à mettre la main sur nous.

La déportation et l’africanisation de l’affaire Habré participaient aussi de cette logique. Le fameux mandat de l’UA est un acte illégal et illégitime, de même les soi-disant pleins pouvoirs de Mme Touré sont un faux en écriture publique.

 

Par ces rappels importants, je tenais tout simplement à attirer, une fois de plus, Votre attention sur la gravité des faits rappelés ci-dessus, et à informer l’opinion de l’implication personnelle de Mme Touré pour exécuter le contrat sur le Président Habré. Tout a été fait dans “les règles de l’Art” et dans le doux confort de ses “certitudes inébranlables” nous a t-elle lancé. Tout a été fait avec cynisme, froideur, ambition pour en tirer le maximum de profit médiatique, politique et financier. Elle a eu votre oreille et fut votre partenaire dans l’action que vous avez mené contre nous. Et pourtant, très vite, elle a voulu dérouler le fil qui l’a soudée et attachée à vous, lui procurant pouvoir et avantages. Cette chaîne dont elle s’est targuée, en la tirant, d’amener à elle tous les Dieux, elle cherche aujourd’hui à la briser, réalisant un peu tard que le papillon qui, attiré par le feu qui brille, s’y jette en espérant jouir de plaisirs, réalise qu’il a aussi le pouvoir de brûler.

 

M. le Président, l’enjeu de cette affaire de faux est la question de la liberté du Président Habré, l’enjeu de la démocratie sénégalaise, c’est le Droit.

 

Un État de Droit est un Etat qui est gouverné par le Droit, qui se soumet au Droit. Mais, Monsieur le Président, un régime qui met en place une stratégie de contournement de l’Etat de Droit, un circuit parallèle, un circuit “Bison Futé”, des documents tripatouillés, pour installer une procédure dérogatoire du droit commun, un Etat qui organise la suspension de l’Etat de Droit, le temps de liquider un homme, est-il réellement une figure d’un Etat de droit! Une élite qui déploie ses tentacules comme une pieuvre pour enserrer et étouffer les voix critiques, un pouvoir qui s’organise “in the shadow” et met en place, une juridiction politisée par le jeu des poursuites sélectives devant laquelle, seul le Président  HABRE est tenu de comparaitre… Qu’on l’accepte ou pas, un tel système est en train de poser les jalons d’un naufrage de l’Etat de Droit au Sénégal. Un État de lois n’est pas forcément un État de Droit, M le Président.

Mme Fatimé Raymonne HABRE