Retour de la Mecque ou «Ganalé maka»: entre ripailles et festivités

11 heures tapantes, nous sommes à  Sacré cœur 3, derrière la boulangerie jaune. Bâches et chaises bien en vue font croire à un mariage ou un baptême mais il faut croire que non car à la place du « Mbalakh » ou autres rythmes habituels, c’est du Coran qu’égraine la chaîne à musique. Ceci, au moment où des hommes notamment des femmes parées de leurs  plus beaux atours, vont et viennent.  Renseignements pris, il s’agit bien d’un «Ganalé».

La « Adja » en question, toute de blanc vêtue, parée de bijoux en or, est assise dans son salon. Chapelet en main,  elle explique à ses invités,  comment s’est déroulé son voyage. Auprès d’elle, une jeune fille sert du « zam zam », l’eau bénite en provenance de la Mecque que tout pèlerin se doit de distribuer aux proches et parents qui ne manqueront pas de se présenter à elle.

Sur la terrasse, des femmes s’activent à la préparation des mets. Un bœuf et un mouton achetés pour le déjeuner, du riz et le dîner, couscous traditionnel, sont prévus pour la réussite de la cérémonie pour laquelle, toute la maisonnée s’est réveillée à l’aube pour les derniers détails de la fête afin d’accueillir la foule.

Ce, pour dire que, jadis réputé pour son aspect sobre et discret, le «ganalé» se fait maintenant en grandes pompes. Les Sénégalais réputés pour leurs largesses («xeurr») ne se privent et effectuent des dépenses ahurissantes pour des repas gargantuesques auxquels tous les parents et proches sont conviés. L’occasion est aussi toute trouvée pour se livrer à des «ziarras» d’une autre trempe.  Cinquième pilier de l’Islam, le pèlerinage à La Mecque est devenu au Sénégal un véritable phénomène social où se mêlent business et festivités, généralement sans rapport avec l’Islam.

La nouvelle « Adja », fraîchement débarquée de La Mecque, affirme que ces faits sont «des réalités auxquelles, on est obligé de se soumettre, pour éviter la marginalisation». Il est normal qu’on distribue des présents aux parents et amis au retour de La Mecque», se défend cette dernière tout en requérant l’anonymat.

Ce sont deux (2) heures de temps plus tard que le déjeuner est servi. Les commérages vont bon train. Pis, vu que la belle-famille sera  présente, c’est le lieu pour la «Adja» de démontrer sa «force» et de faire bénéficier à ses beaux-parents de ses largesses ou plus communément appelé, « Yebbi ». Une expression lourde de significations qui sous-entend, offrir des présents (qui se résument en termes de grosses enveloppes d’argent ou de tissus) à ses «Njekké» (belles sœurs) et à ses «Goro» (beau-père ou belle-mère).

De l’avis de N. Sambou, une invitée, «c’est devenu presque une obligation de gratifier sa belle-famille de cadeaux, tissus ou argent quand on revient de La Mecque. C’est un devoir au risque de devenir la risée aux yeux de sa belle-famille». Elle dit avoir dépensé une importante somme dont elle ne saurait nous fixer le montant, rien que pour pouvoir satisfaire à cette exigence. Coumba Sow, la soixantaine révolue, pense, quant à elle, que ces histoires de «Yebbi» sont des futilités et dépossèdent le «hadj» de son côté sacré et sacralisé.

«Les gens n’ont qu’à se ressaisir et revenir à l’orthodoxie. Quand un pèlerin revenait de La Mecque, sa famille se réjouissait d’abord de le revoir en bonne santé, sain et sauf car le pèlerinage n’est pas aisé. On peut y laisser sa vie», sermonne-t-elle. Rappelant les Sénégalais à la raison, elle les exhorte à plus d’humilité et de mesure. La mort du pèlerin d’Ousmane Birama Diallo ce 7 octobre à Mouna, en est l’exemple patent.

En lieu et place, aujourd’hui, le pèlerin reçoit des sommes avant de partir, pactole qu’il doit doubler à son retour. Sans compter, ce qu’il doit dépenser pour la fête c’est-à-dire le « Ganalé ». Pour beaucoup, c’est devenu un impératif. Car, si l’on veut se faire respecter, gare à ceux ou celles qui dérogeraient à la règle. Pis, certains vont même jusqu’à rendre leur billet, préférant repousser le “Hadj” car n’ayant pas encore “réuni assez d’argent” pour un bon “ganalé” où les griots comme dans les mariages ou baptêmes, chantant les louanges  du pèlerin. Par ces temps de crise, on aurait pensé que le gaspillage en aurait pris un sacré coup. Mais, il n’en est rien.

Alors que ces formes de gaspillages sont interdites par la loi. Dans ce domaine, la société passe outre. Dès lors, a-t-on le droit de parler de développement au Sénégal avec toutes ces dépenses anormales ? Dans tous les cas, les mentalités devraient changer surtout que dans des cas, ces actes frisent l’indécence, au regard des voisins ou des proches qui sont, eux, dans des situations précaires.

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