UKRAINE: Sur Maïdan, la révolution continue

Ils ne regrettent rien. S’il fallait passer de nouveau de longues nuits dans le froid, sous la neige, dans la crainte d’un assaut policier ou d’un enlèvement, les acteurs de la révolution de l’EuroMaïdan n’hésiteraient pas. «Bien sûr qu’on le ferait de nouveau», répète à qui veut l’entendre Mustapha Nayyem, journaliste militant devenu législateur, initiateur du premier rassemblement sur Maïdan Nezalezjnosti, la place de l’Indépendance à Kiev, le 21 novembre 2013.

Pour la poignée de citoyens qui s’étaient mobilisés ce soir-là, il s’agissait d’exiger du gouvernement de Victor Ianoukovitch qu’il honore sa promesse de signer un accord d’association avec l’Union européenne. Avec en toile de fond l’idée de faire de l’intégration européenne un outil pour lutter contre une corruption endémique, renforcer l’Etat de droit et le respect des droits de l’homme et moderniser une économie moribonde. Et, en cours de chemin, se débarrasser du régime policier et kleptomane de «la famille» Ianoukovitch. Trois mois plus tard, à la fin de février 2014, c’est cet objectif qui a d’abord été atteint, au prix de plus d’une centaine de morts. Tout le reste est encore à faire.

«Nous avons beaucoup souffert», explique Ostap Kryvdiyk, analyste politique et révolutionnaire de la première heure. «Les Russes se servent du prétexte de la révolution pour justifier leur agression en Crimée et dans l’est. Mais nous avions besoin de ces changements. Il y aura encore beaucoup de douleurs, mais nous ne pouvons pas nous arrêter maintenant.»

Dans un contexte de crise généralisée, les chantiers de la révolution restent colossaux. Les réformes économiques? Elles sont timides, paralysées par l’amputation des centres industriels du Donbass. La lutte contre la corruption? Elle est reléguée au second plan, alors que le hryvnia, la monnaie nationale, est en chute libre, que les salaires publics sont gelés et que des millions d’Ukrainiens entament l’hiver dans une approche de survie. Le démantèlement du système oligarchique? La sécurité de Rinat Akhmetov, Ihor Kolomoïskiy ou Serhiy Tarouta est assurée par leur loyauté plus ou moins patriotique.

Une loi votée au début de septembre initie un processus d’épuration de l’administration, brandi comme un succès par les révolutionnaires. Mais les résultats ne seront visibles qu’en 2017. Quant à la réforme du système judiciaire, des ONG comme Amnesty International parlent d’un Bureau du procureur général plus opaque que sous le régime de Ianoukovitch. Même l’enquête, très médiatisée, de la tuerie de Maïdan, le 20 février, serait sciemment entravée par le ministre de l’Intérieur. «Je n’ai aucune confiance dans nos dirigeants», confie Andriy Didenko, engagé volontaire sur le front de l’est. Après treize ans passés à Paris, il a tout abandonné pour «venir construire un nouveau pays. J’ai vu que sur le Maïdan, quelque chose a changé. C’est difficile, ça va prendre du temps, mais j’y crois. La nation est née.»

(24 heures)