ETRE FEMME EN SYRIE: “Le régime nous viole, Daech nous réduit en esclavage!”

Ne vous laissez pas tromper par son foulard et sa voix douce! Du haut de ses 26 ans, Noura al-Ameer a le regard des révolutionnaires qui en ont trop vu. Un regard aussi profond que le drame syrien. Elue en janvier vice-présidente de la Coalition nationale syrienne, c’est-à-dire de la principale composante de l’opposition politique au régime de Bachar el-Assad, elle est aujourd’hui de passage à Genève à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. A l’invitation de , l’association Femmes pour la Démocratie, elle témoigne des atrocités vécues au quotidien dans son pays.

Comment une jeune femme comme vous s’est-elle retrouvée dans les instances dirigeantes de cette coalition anti-Assad?

Il n’y a là rien d’étrange. Cela tient à la nature de la révolution. D’innombrables Syriennes se sont soulevées pour réclamer leurs droits, totalement bafoués par le régime. Moi-même, j’en ai fait l’expérience. A 18 ans, alors que je venais de m’inscrire à l’Université de Homs, un «infiltré» des Moukhabarat (services de renseignement, ndlr) m’a fait des avances trop appuyées. Je l’ai giflé. Peu après j’ai été arrêtée. Détenue. Torturée. Pendant six mois. Les hommes du régime pouvaient abuser de nous en toute impunité. Aucune loi ne défend les femmes. Des violeurs échappent à la condamnation en épousant leur victime. Des pères, frères ou maris commettent des «crimes d’honneur» (contre une femme qui aurait «fauté», ndlr) sans jamais être jugés. Des divorcées sont privées de leurs enfants. Dans une société moyen-orientale déjà machiste, tout était fait pour aggraver encore la situation.

Qu’en est-il depuis la révolution et le début de la guerre civile?

Le régime terrorise les femmes pour les décourager de soutenir la révolution, mais aussi pour atteindre les hommes. Dès le début, en mai 2011, lors du «vendredi des femmes libres» organisé par les manifestants, une femme a été enlevée avec sa fille et détenue pendant 20 jours. Victime d’atroces tortures, elle a aussi des viols collectifs. A sa libération, elle a raconté qu’elle avait vécu dans un sous-sol avec une vingtaine de femmes. Toutes étaient nues. Toutes avaient été violées et portaient sur le corps des traces de brûlures de cigarettes. C’était là le fait des chabiha (milices pro-Assad, ndlr). Parfois, il ne s’agissait pas de manifestantes mais de la mère, la sœur ou l’épouse d’un activiste.

Vous dites qu’il y a 7500 cas confirmés de viols. Il s’agit donc d’une véritable arme de guerre?

Bien sûr! Pour faire parler un révolutionnaire, ils l’attachent sur une chaise puis font entrer dans la cellule une femme de sa famille et lui font subir un viol collectif. Quand il n’y a pas de proche à disposition, ils se servent d’une amie. Je le sais, puisqu’ils m’ont moi-même utilisée pour faire craquer l’un de mes camarades en menaçant de me violer sous ses yeux. C’est aussi une redoutable arme de terreur. Ainsi, un commerçant de Damas était connu pour soutenir la révolution. Les Moukhabarat ont arrêté sa femme, puis l’ont fait venir, lui, chercher son épouse dans un sous-sol parmi une quarantaine de détenues complètement nues. Quand il ressortait avec elle, il a juré à un officier qu’il se tairait désormais. L’officier lui a répondu: «Au contraire! Je veux que tu racontes à tout-le-monde.»

Et dans les territoires conquis par le groupe «Etat islamique» (Daech)?

Pour tous, les libertés sont limitées. Mais les femmes, en particulier, subissent des contraintes dans leur travail, leurs déplacements, leur habillement… Daech a créé une brigade féminine pour les surveiller, les fouiller, les arrêter. En détention, elles subissent aussi la torture et des viols. Autre forme de violence: les jeunes sont forcées de se marier, souvent avec des membres de Daech. Certaines se suicident. Et n’oublions pas les yazidies (minorité religieuse, ndlr) enlevées en Irak et littéralement vendues en Syrie.

Souffrent-elles moins dans les zones tenues par les Kurdes ou par l’Armée syrienne libre?

Personne n’en parle, mais les milices du parti kurde YPD ont également commis des exactions. Quant à l’Armée syrienne libre, il faut bien reconnaître qu’elle est responsable d’enlèvements de femmes pro-Assad, dans le but de les échanger contre celles détenues par le régime. C’est inacceptable, même si nous n’avons pas entendu parler de cas de violence sexuelle. Par contre, il a bien entendu des abus commis dans la société, sans qu’il y ait de motivation politique.

Vous dites que la révolution a cassé le moule social qui limitait les femmes. Qu’entendez-vous exactement par là?

Dans des régions agricoles, plutôt reculées, il y avait une séparation totale entre hommes et femmes dans la sphère publique. A chacun son rôle, ils ne se croisaient pas. Avec la révolution, les femmes se sont mises à manifester, à participer aux comités de coordination locale, à prodiguer les premiers soins sur les blessés, à prendre des photos et les diffuser sur les médias sociaux… Autant de fonctions autrefois réservées aux hommes. C’est un changement de fond qui s’est produit. Elles ont brisé les chaînes. Il n’y a pas de retour en arrière. Et puis, avec la guerre, beaucoup d’hommes sont absents: au combat, en fuite, en détention, disparus ou morts. Les Syriennes portent seules leurs familles. Sans elles, la révolution n’aurait pas survécu. Et celles parties en exil ne sont plus des femmes au foyer, il leur a bien fallu trouver un travail rémunéré. Mais beaucoup sont restées au pays malgré les atrocités, pour continuer à résister. A Daraya, dans la région de Ghouta, même quand il n’y avait presque plus d’hommes, les forces d’Assad n’ont pas réussi à faire taire les manifestantes. Cela, on n’en parle jamais dans les médias internationaux. Les femmes, c’est notre armée silencieuse.

(24 heures)