EGYPTE: Ces Frères musulmans qui font le choix de l’exil

Recevant jeudi à l’Elysée son homologue égyptien Abdel Fattah al-Sissi (qui entamait une visite de deux jours en France), François Hollande a appelé l’Egypte à poursuivre son «processus de transition démocratique». De son côté, le nouvel homme fort de l’Egypte a insisté sur l’enjeu de l’activité touristique pour son pays. «Vous n’avez rien à craindre», a-t-il assuré à l’adresse des Français qui hésitent à se rendre au Caire.

A l’heure où les partisans de l’ancien président issu des Frères musulmans, Mohamed Morsi, sont de plus en plus nombreux à prendre les chemins de l’exil, ces propos rassurants du général-président montrent combien l’Egypte est désormais coupée en deux.

Amertume
«Comment pouvais-je rester dans un pays où ton voisin de palier souhaite ouvertement ta mort?» Depuis Istanbul, Mohamed, jeune journaliste, ne cache pas son amertume. Militant des Frères musulmans, il a très mal supporté le soutien de millions d’Egyptiens au coup d’Etat contre Morsi et l’ostracisme anti-islamiste qui a suivi. «Subitement, les gens ont oublié notre travail, les milliers d’écoles et d’hôpitaux que nous avons ouverts, l’aide sociale qui bénéficie à des millions de pauvres, notre lutte contre toutes les dictatures. Je ne me sentais plus chez moi en Egypte.»

Comme lui, les jeunes militants de la confrérie sont de plus en plus nombreux à s’exiler. Ingénieur en télécommunications, Walid, 27 ans, a choisi la Nouvelle-Zélande. «Mon pays et mes proches me manquent, mais je ne retournerai pas dans un pays où je risque la prison simplement pour avoir exprimé mes opinions.»

Un sentiment partagé par son ancien collègue Ahmed, jeune cadre de la confrérie, aujourd’hui en Arabie saoudite: «Je ne suis pas fiché, donc je peux rentrer, mais beaucoup de mes concitoyens m’ont littéralement dégoûté de mon pays en soutenant le coup d’Etat et la répression. Ils ont vécu durant soixante ans sous la dictature et personne n’osait élever la voix. Et ils ont été incapables de patienter un an sous la présidence d’un homme élu démocratiquement. Aujourd’hui, ils sont nombreux à se plaindre de la dictature de Sissi, mais quelque part je me dis que c’est ce qu’ils méritent.»

Le scénario qui fait peur

Espèrent-ils un retour de la démocratie en Egypte? «Pas à court terme, confie Mohamed. Les gens sont fatigués par les années chaotiques de l’après-révolution et ils craignent par-dessus tout le scénario syrien, une menace entretenue par les médias.»

Walid se veut plus optimiste: «De plus en plus d’Egyptiens comprennent que le coup d’Etat n’a fait qu’empirer les choses. Beaucoup ne veulent plus que l’armée gère le pays, c’est déjà un grand pas. Mais la démocratisation n’est pas pour demain.»

«Quoi qu’il en soit, le régime devra compter sur les Frères musulmans, partie intégrante de la nation égyptienne, assure Ahmed. Mais aujourd’hui la question est surtout de savoir si les Egyptiens veulent vivre libres ou sous un régime tyrannique.»

(24 heures)