FORCES REBELLES: «Etiquetés comme des méchants, ils ont parlé droit humanitaire»

Elisabeth Decrey Warner a cofondé en 2000 l’Appel de Genève, qui vient de tenir la semaine dernière, en toute discrétion, une grande conférence humanitaire réunissant 70 hauts représentants de 35 groupes armés non étatiques (c’est-à-dire des forces rebelles). Ancienne présidente du Grand Conseil genevois, elle a été très favorablement surprise par la qualité des présentations faites par ces signataires des fameux «Actes d’engagement» (contre les mines antipersonnel, l’enrôlement d’enfants soldats et les violences sexuelles).

Etait-il important de faire venir 70 «cadres» rebelles pour une grande conférence à Genève?
Tout d’abord, je souligne que c’est la troisième conférence du genre, mais la première de cette ampleur. Davantage de groupes armés non étatiques ont depuis lors signé «l’Acte d’engagement» contre les mines antipersonnel. Mais aussi, c’est devenu possible dans les deux autres domaines (ndlr: enfants soldats et violences contre les femmes). Enfin, en plus des 24 signataires, nous avons convié à la réunion 11 autres groupes qui entament le processus.

Qu’en retirent les rebelles?
C’est important qu’ils voient qu’ils partagent tous la préoccupation de protéger la population civile. Ils ne sont pas isolés dans cette voie, ils appartiennent à quelque chose de global. Il est aussi essentiel qu’ils s’approprient ces valeurs humanitaires pour qu’elles ne soient pas simplement vécues comme un code moral imposé de l’extérieur. Par ailleurs, être confrontés aux réalités des autres groupes, découvrir les difficultés qu’ils ont rencontrées et voir comment ils ont résolu les problèmes, cela leur est très utile.

Pourquoi donc?
Mais parce qu’il ne suffit pas, par exemple, de prendre l’engagement de démobiliser des combattants adolescents! Encore faut-il savoir comment s’y prendre concrètement, que dire à ces jeunes, comment les encadrer, que leur proposer pour la suite…

Avez-vous eu des surprises?
J’ai été surprise de leur liberté de ton. Ces participants viennent de zones de conflit, ils ont l’habitude d’être étiquetés comme les «méchants», ils n’ont pas forcément l’habitude de s’exprimer devant la communauté internationale. A Genève, ils avaient devant eux des membres d’organisations internationales, ils ont pu leur parler de vive voix, exposer leurs difficultés, demander de l’aide technique pour déminer, pour aider des victimes de mines, encadrer des femmes, des enfants… Certains ont aussi reconnu qu’ils n’ont pas toujours suivi au mieux leur engagement, et c’est important qu’ils l’admettent. C’est le premier pas nécessaire pour s’améliorer. J’étais aussi impressionnée par leur degré de préparation. Nous leur avions bien sûr demandé de venir présenter leur situation, de décrire les mesures concrètes prises pour honorer leurs Actes d’engagement et d’exposer les défis qu’ils ont eu à relever. Mais je ne m’attendais pas à un tel résultat de la part de gens qui vivent dans le maquis.

Depuis la création de l’Appel de Genève en 2000, avez-vous dû dénoncer des violations?
Régulièrement, des cas suspects sont portés à notre connaissance. Après enquête, nous avons pu constater que pour la plupart il s’agissait de cas isolés et que le commandement à chaque fois avait pris des mesures pour punir le ou les responsables du non-respect de l’Acte d’engagement. Un seul cas était plus sérieux. Notre mission de vérification sur le terrain a découvert qu’une partie des combattants n’étaient pas suffisamment informés. Nous avons alors fourni une formation pour 3000 d’entre eux.

Donc aucune dénonciation?
Nous ne procédons pas à une dénonciation publique tant que les instances dirigeantes d’un groupe armé non étatique démontrent clairement leur volonté de respecter les Actes d’engagement. Pour l’Appel de Genève, l’objectif final n’est pas de les condamner mais bien de les aider à mettre en œuvre le droit humanitaire. D’autres ONG ont ce rôle de dénonciation, qui est utile et nécessaire. Quant à nous, notre rôle est d’abord pédagogique.

(24 heures)