OIF : pour une francophonie économique

Par Moubarak Lo / Président de l’Institut Emergence

À la veille du Sommet de la Francophonie, il est temps pour l’OIF de revoir ses ambitions et d’intégrer une dimension économique à son champ d’action.

La capitale sénégalaise accueille ces jours-ci le Sommet de la Francophonie, qui se tiendra à Dakar les 29 et 30 novembre. À l’issue du Sommet sera également connu le successeur d’Abdou Diouf au Secrétariat général de l’OIF., qui sera désigné par consensus par les pays membres.

L’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) compte 77 États et gouvernements, membres ou observateurs, répartis sur les cinq continents, soit le tiers des pays du monde, regroupant plus de 890 millions de personnes, et un peu moins de 13 % de la population du globe. En outre, selon les statistiques officielles :

– L’ensemble francophone représente, aujourd’hui, 20 % du commerce mondial

– Les échanges commerciaux entre les pays francophones totalisent le quart de leur commerce mondial total ;

– Les investissements effectués par les pays francophones représentent le quart des investissements mondiaux.

Il s’agit donc d’un ensemble doté d’un poids majeur dans l’économie mondiale, riche de sa diversité géographique et culturelle, et partageant une langue commune.

D’aucuns soulignent l’intérêt de s’orienter vers un espace économique francophone intégré. C’est le sens de la proposition faite par Jacques Attali dans son rapport remis au Président Hollande en août dernier, sur la Francophonie économique, “moteur de croissance durable”.

L’objectif de construire un espace économique francophone intégré doit-il néanmoins recevoir la même priorité que celle conférée à la mise en valeur de l’apport culturel francophone dans l’ensemble mondial ? Tous les pays ayant rejoint l’OIF accepteraient-ils unanimement d’accélérer la marche vers l’intégration économique ?

Car l’OIF est d’abord et avant tout une organisation politique qui œuvre en faveur de la paix, de la démocratie et des droits de l’Homme dans le monde. Mais, elle a également pour mission, en vertu de la Charte adoptée en 2005, de contribuer au “renforcement de la solidarité entre les pays membres, par des actions de coopération multilatérale, en vue de favoriser l’essor de leurs économies”. Cette solidarité entre pays membres est un principe fondateur de la communauté francophone, en raison de la diversité des situations de ses membres.

Pour que les populations africaines, asiatiques ou de l’Europe centrale et orientale, dont la langue maternelle n’est pas le français, s’identifient, sans contrainte et de manière enthousiaste, à l’espace francophone, il y faut donc plus que la promotion du patrimoine culturel et linguistique francophone, en faisant de celui-ci-ci un levier de croissance économique et de développement durable et solidaire. C’est ce qui a fait dire au Secrétaire général de la Francophonie, le président Abdou Diouf, que “la Francophonie est dans son rôle lorsqu’elle s’occupe de l’économie”.

Mais, tout en étant juridiquement et politiquement fondée, la francophonie économique en serait-elle pour autant justifiée du point de vue de l’efficacité économique ? Plusieurs considérations permettent de répondre par l’affirmative. D’abord, la diversité géographique des pays membres de l’OIF est un facteur de compétitivité internationale dans le nouvel environnement de la mondialisation. Car elle développe la curiosité et pousse à rechercher une meilleure connaissance des marchés régionaux qui sont en train de se constituer dans toutes les sphères du globe.

Ensuite, un pays francophone donné, exploitant opportunément les affinités dérivées du partage d’une langue et de l’appartenance à une organisation internationale commune, possède, à priori, dans un autre pays francophone, toutes choses égales par ailleurs, un avantage compétitif par rapport à un pays tiers non francophone, dans la concurrence pour l’accès au commerce et à l’investissement.

Au surplus, l’augmentation des possibilités de commerce et d’investissement que génère potentiellement l’appartenance à l’ensemble francophone améliore le bien-être des pays du Sud comme des pays du Nord, membres de la Francophonie. De surcroit, la présence, au sein de l’OIF, de pays très avancés ou à revenu intermédiaire joue un rôle d’ancrage et exerce un effet positif sur l’amélioration de la gouvernance économique des pays moins développés qui, bon gré mal gré, sont influencés par la diffusion des expériences et pratiques en vigueur chez les premiers.

Enfin, la diversité des pays membres de l’OIF prépare leurs citoyens à mieux tenir compte des relations interculturelles lorsqu’ils font des affaires avec le reste du monde. De ce fait, elle favorise, à travers les échanges économiques, une meilleure compréhension et un meilleur respect entre les peuples du monde, ainsi qu’un meilleur humanisme.

Au total donc, l’appartenance à la Francophonie confère un certain avantage, dans le contexte de la mondialisation. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’attractivité qu’exerce l’OIF auprès des nombreux pays qui veulent la rejoindre. Reste à savoir comment exploiter et optimiser cet avantage potentiel de l’espace économique francophone.

D’abord un constat. Aujourd’hui, beaucoup parmi les pays membres de l’OIF continuent d’être comptés parmi les pays pauvres. Relever ce défi de la pauvreté et du sous-développement est devenu une nécessité, pour permettre aux pays membres de la Francophonie de bénéficier des opportunités nouvelles qu’offre la mondialisation. Dans ce contexte, l’OIF doit non seulement travailler à comprendre les causes profondes de la pauvreté, mais aussi apporter son appui pour leur prise en charge effective. Le document de Cadre stratégique de l’OIF a bien pris en compte cet impératif en insistant toutefois sur le rôle propre des États. Pour sa part, la Francophonie peut et doit agir à plusieurs niveaux :

– Promouvoir la bonne gouvernance et les bonnes pratiques ;

– Soutenir les partenariats d’affaires et l’insertion des pays pauvres dans l’économie mondiale ;

– Appuyer le financement d’initiatives de développement;

– Contribuer au développement de l’entrepreneuriat au sein de la Francophonie.

La mise en œuvre effective des idées ainsi formulées exige que le futur Secrétaire général de l’OIF en soit le champion qui saura favoriser une synergie entre les dimensions culturelle et politique, qui ont, jusqu’ici, été mises en avant au sein de la Francophonie, et la dimension économique devenue incontournable pour préserver l’idée francophone dans l’avenir. Aucun des candidats déclarés ne nie d’ailleurs ce fait. Tout l’enjeu consiste donc pour celui qui succèdera à Abdou Diouf, à pouvoir articuler ces multiples dimensions ; cela demande une personne d’expérience.

À cet effet, nous voudrions relever que, si l’Afrique représente 85 % de la population francophone, le continent est aussi celui qui concentre les défis du monde d’aujourd’hui, auxquels la Francophonie est à même d’apporter sa contribution dans la recherche de solutions.

Or, dans un monde globalisé précisément, où les rapports économiques prévalent de plus en plus, il appartient à l’Afrique de sécuriser sa représentation dans les organismes internationaux. Parce que le continent constitue le vivier de la Francophonie, il serait évidemment préférable que le futur Secrétaire général soit issu de l’Afrique, comme il est de tradition.

En raison de son parcours propre, riche et varié (il a été plusieurs fois ministre de son pays, notamment ministre de l’Éducation, mais également ministre des Finances), M. Henri Lopes, le candidat de l’Afrique centrale, et nous espérons de l’Afrique tout entière, dispose à coup sûr des atouts lui permettant de réussir, harmonieusement, ce grand chantier de la transformation structurelle de l’OIF.