Recul du couvert végétal, dégradation des sols… : A Kédougou, l’orpaillage met en péril l’environnement

 

 

La règle d’or dans la préservation de l’environnement est le respect des écosystèmes. La recherche du gain ne peut avoir une primauté sur la protection des ressources dans la durée. Cupide, la main de l’homme détruit les arbres pour obtenir des moyens de vivre qui, à terme, le pousseront à sa perte. Sur les sites d’orpaillage comme Samécouta, le désastre environnemental est consubstantiel à l’insécurité. Dans sa mission régalienne, l’Etat marque une pause afin de réguler les activités, voire d’orienter vers des ressources alternatives, telles que le beurre de karité. Dans ce tableau contrasté, Sabodala fait figure d’éclaircie avec des efforts de conformité avec le code minier.
Au bout de la visite de travail qu’il a effectuée, du 20 au 22 novembre dernier, dans les régions de Kédougou et Tambacounda, le ministre de l’Environnement et du Développement durable, Abdoulaye Baldé, rappelle le sens de l’action des pouvoirs publics : fermeté face aux périls et dialogue dans la perspective de solutions. Avec, en toile de fond, le respect des textes qui garantissent « des conditions optimales de sécurité environnementale ».

SAMECOUTA, SITE D’ORPAILLAGE

NATURE MORTE ET INSECURITE : L’attrait de l’or plante un décor sombre pour l’écosystème
Sur le site d’orpaillage de Samécouta dans le département de Kédougou, le ministre a pu mesurer l’impact négatif de l’orpaillage sur l’environnement. Selon Abdoulaye Baldé, la situation reste préoccupante.
La nature épanouie dans cette partie du Sénégal perd de sa robe de verdure scintillante depuis des lustres. Tel un écho à la nudité subite qui donne des rides au beau visage du paysage, le soleil s’assombrit comme dans un panorama annonciateur de la pluie. Situé à près de neuf kilomètres de la commune de Kédougou, le village de Samécouta, peuplé en majorité de Bambaras, se découvre à la lisière du site d’orpaillage. L’éclat de l’or, rêve qui habite nombre de chercheurs d’un mieux-être, donne une couleur pâle au chef d’œuvre de la nature. L’écosystème est une ressource en perdition face à l’attrait du métal précieux. La course effrénée vers ce minerai défigure un paysage édénique. Le site a les aspects d’un champ de bataille. Du sol aux arbres, la main destructrice de l’homme est impitoyable sur l’environnement. Le décor renvoie à des tranchées à la vue des larges et profondes excavations aménagées par les orpailleurs. Les arbres perdent pied, coupés de leurs racines, pour faire de la place aux grands trous nécessaires à l’orpaillage. Ce sont les cavernes du désarroi pour la nature, qui, en surface, plantent le décor d’une inquiétante déforestation. Tel un désert, le vide gagne du terrain sur les espaces naguère rehaussés par leur couronne verte. Les marques de l’action de l’homme sont visibles. Le constat est désolant. Un patrimoine s’écroule. Le legs écologique, accumulé pendant des centaines d’années, est dilapidé en un temps record.

Sols détruits, flore malmenée
« Les gros arbres que vous voyez (il montre du doigt des arbres qui ont été abattus par les orpailleurs), n’ont pas moins de 100 ans d’âge. En plus, ici, les orpailleurs cherchent de l’or dans des sols ferrugineux tropicaux. Leur formation prend au moins 400 ans. Ici, nous constatons que leur destruction se fait juste en deux semaines. C’est un problème. Et pourtant, le mètre cube de l’arbre qui a séché et que vous voyez là-bas (le venn) se vend à 400 000 FCfa à  Dakar », explique, avec amertume, le colonel des Eaux et Forêts, Cheikh Tidiane Ndiaye. Outre l’environnement, la vie est également en péril à cause de la récurrence des accidents et du règne de l’insécurité. La note est salée, parce qu’elle s’écrit en perte en vies humaines.
La nature agressée dans sa verte chevelure crie sa colère à travers les mouvements du sol. Dans ces sites d’orpaillage, aussi appelés « diouras », ce ne sont pas les accidents qui manquent. En effet, des éboulements de terrain, entrainant très souvent mort d’homme, y sont fréquents. « Les éboulements se produisent surtout pendant l’hivernage. Il y a même des morts. Des gens perdent leur vie quand ils descendent dans les puits aurifères », ajoute l’inspecteur des Eaux et forêts de Kédougou, Malang Kidiéra. « Le gouverneur de région a pris des mesures de fermeture. Dans le passé, on exploitait en saison sèche et en hivernage. Cette année, on a fermé tous les « diouras », car ils causaient beaucoup de problèmes », fait-il savoir, précisant qu’avant toute reprise de l’exploitation, il y aura des cartes d’orpaillage. M. Kidiéra n’a pas manqué de déplorer le fait que les orpailleurs abandonnent les sites sans restaurer les sols après usage.  «Nous souhaitons que les partenaires nous appuient pour remblayer le sol », dit-il. Selon lui, ses services mènent une campagne de sensibilisation  sur la nécessité de préserver l’environnement par le reboisement.
La pression sur le site a été énorme. Telle une marmite qui bout, l’explosion guette. Les convoitises sont dévastatrices pour la nature et meurtrière pour les hommes. Les pouvoirs publics ne tardent pas à réagir, à la faveur d’un arrêté du gouverneur de région, Moustapha Dieng, qui a suspendu l’exploitation artisanale de l’or au mois d’août dernier. Cette décision matérialise les instructions que le chef de l’Etat, Macky Sall, a données au Premier ministre, en mai dernier, lors de la réunion du Conseil des ministres délocalisé dans la région. A l’en croire, « Il y avait beaucoup de problèmes de sécurité et de salubrité dans les sites d’orpaillage ».

Entre les revenus et les périls
Pendant l’hivernage, il y avait beaucoup d’accidents, surtout des éboulements », souligne le chef de l’exécutif régional. «Aucune activité ne devrait être exercée ici. Ce site est illégal, car il ne fait pas partie de ceux définis par le ministère des Mines pour abriter une telle activité. Les exploitants artisanaux de l’or sont donc dans l’illégalité la plus parfaite », précise Ousmane Cissé, directeur des  Mines et de la Géologie. Il soutient que malgré la détention, par certains, de cartes d’orpailleur, ce site n’est pas autorisé. « Nous avons défini des zones dans lesquelles cette  activité peut se faire. Nous avons également fixé les conditions d’exploitation. Détenir une carte ne suffit pas. Il faut que les populations abandonnent définitivement cette zone », lance-t-il au chef de village.
Ce dernier se fait des soucis. Préoccupé par l’insécurité, Abdoulaye Diakité, chef du village de Samécouta, demande l’aide de l’Etat. « Nous sommes proches du Mali et de la Guinée. Nous demandons à l’Etat de nous aider à sécuriser Samécouta. Partout où il y a orpaillage, il y a délinquance », déplore-t-il. La fermeture des « diouras » commence à se faire ressentir. Le chef du village a même demandé aux autorités de revenir sur leur décision avec, comme mesure d’accompagnement, la réorganisation de l’activité. « Les jeunes ne travaillent pas. L’essentiel de nos revenus sont tirés de l’orpaillage. Si vous nous demandez d’arrêter, nous le ferons. Mais ce que je vous demande, c’est de nous aider à rouvrir ce site », supplie-t-il. Le directeur des Mines qui n’accède pas, pour le moment, à sa demande, renseigne : « L’or, vous n’en voyez pas la couleur, les populations non plus. Les étrangers viennent, exploitent la ressource et s’en vont avec. Donc,  il faut nous aider à vous aider », dit-il au chef de village, lui faisant comprendre que l’Etat, dans sa mission régalienne, s’est retrouvé dans l’obligation de prendre un arrêté pour mettre fin à l’exploitation anarchique, le temps d’y voir plus clair.

CODE MINIER ET NORMES DE L’OMS

La préservation de l’environnement comme une mine de bien-être
Après Samécouta, le ministre de l’Environnement a consacré le deuxième jour de son séjour à Kédougou au site industriel de «Teranga gold corporation» situé à Sabodala. Il s’est félicité des efforts consentis par l’entreprise pour le respect de l’écosystème mais soutient que la vigilance sera de rigueur.
Rallier cette localité située à près de 50 kilomètres de Kédougou relève d’un véritable parcours du combattant. L’axe Kédougou-Bembou est praticable. Mais une fois que ce dernier hameau est dépassé, en allant vers la zone aurifère de Sabodala, la piste sinueuse, longue de 40 kilomètres, éprouve aussi bien l’organisme humain que les organes des véhicules. Avec la délégation ministérielle, nous quittons Kédougou à 9h40 pour arriver à destination aux environs de 11h35. Certains, qui font le trajet pour la première fois, n’ont pu cacher leur étonnement de voir que cette bretelle de la route, ô combien importante, n’a pas été goudronnée.
En entrant dans l’exploitation de Teranga gold corporation (Tgo), la première image qui frappe le visiteur est la présence de lacs et d’arbres morts. Cette eau est utilisée par la société dans l’exploitation de la carrière. Une autre étendue d’eau est située non loin. C’est le bassin de résidu minier. Le responsable « Environnement » de cette société répond sans ambages que ces arbres ne sont pas morts à cause des produits toxiques. « Ces arbres sont morts, parce qu’ils sont noyés par l’eau. Ce sont des lacs d’eau potable, et chaque mois, nous faisons des prélèvements pour des analyses. Ici, nous n’utilisons pas le mercure », explique Christian Mace. Il soutient que sa structure tient compte de la protection de l’environnement. Superviseur des opérations environnementales Tgo, Marième Sène Diène soutient que ce bassin de résidu minier est une zone dangereuse ; d’où la clôture aménagée tout autour. Selon Mme Diène, quand le cyanure est exposé aux rayons du soleil, il se dégrade et sa concentration devient faible. « Le risque zéro n’existe pas, mais il n’y a pas d’infiltration sur la nappe », avance-t-elle. Une plage de taylin se forme sur cette étendue d’eau. 70 % du résidu sont recyclés. D’ailleurs, ajoute notre interlocutrice, un crocodile, des poissons et des oiseaux vivent dans le lac. A sa fermeture, les responsables du site ont prévu, en relation avec le service des Eaux et Forêts, de replanter des bambous.
Les responsables sont conscients des exigences de la règlementation. Ils disent en faire leur bréviaire. « Le code minier exige une étude d’impact environnemental et social. Les populations ont été associées à la réalisation de cette étude », souligne Abdou Aziz Sy, directeur général de Teranga gold corporation. Soutenant qu’une exploitation minière impacte sur l’environnement, il estime qu’il faut atténuer cet effet. «  Le ministre a visité le site, notamment la fosse de la carrière qui fait 200 mètres. Il y a tout un système de préservation de l’environnement. Le bassin de résidus respecte les normes de l’Oms (Organisation mondiale de la Santé, Ndlr) », assure-t-il. M. Sy déclare également que l’exploitation a des effets positifs puisque sa société appuie les populations par la construction d’infrastructures sociales de base.

Un reportage de notre envoyé spécial à Kédougou, Aliou KANDE

le Soleil/