LA HAVANE: «A Cuba, le mur de Berlin n’est pas encore tombé»

 

 

Roberto de Jesùs Guerra Pérez vit plié en deux. «Je te considère désormais comme mon ami», dit ce journaliste de 36 ans au visiteur qui vient de se taper la tête au plafond de 1,40 mètre de sa chambre. L’homme vit dans une pièce de 4 mètres sur 6, construite sur le bureau qu’il utilise pour son agence de presse. «Je fais tout cela pour la liberté d’expression», glisse celui qui s’est fait arrêter plus de 180 fois depuis 2004 et a passé plus de trois ans dans les prisons cubaines. «Le gouvernement n’autorise pas la location de bureaux pour créer une agence de presse. J’ai donc dû improviser et construire un faux plafond pour couper la pièce en deux.»

Pouvoir renforcé
Dans son petit espace du cœur de La Havane, Roberto Guerra Pérez craint que l’accord entre les Etats-Unis et Cuba ne renforce le régime castriste. «Beaucoup d’opposants ne sont pas d’accord avec l’approche de Barack Obama parce que l’assouplissement de l’embargo va donner beaucoup d’argent au pouvoir en place et lui permettre de continuer à réprimer la population», explique-t-il. «Je considère que le régime castriste est très malin et très habile.»

La Place de la Révolution avec la gigantesque statue de José Marti et le portrait de Che Guevara est à quelques centaines de mètres de chez Roberto. Au bas du modeste appartement, la rue cubaine vaque à ses occupations quotidiennes sur un rythme de salsa s’échappant de l’une des maisons décaties du quartier. «Je n’ai personnellement pas vu beaucoup de joie dans les rues le jour de l’annonce de l’accord entre les Etats-Unis et Cuba», poursuit-il. «Le régime a fait des petites réformes qui n’ont pas bénéficié à tout le peuple cubain.»

A 46 ans, Eduardo Enrique Herrera, chirurgien, a vu passer de nombreux patients. L’état du système de santé de son pays l’a incité à parler alors que ses confrères ont choisi de se taire. «Il y a de sérieux problèmes. Ils disent aux gens que la santé est gratuite ici, mais le personnel médical est très mal payé. Un médecin gagne 60 dollars par mois ici. Et souvent les patients ne sont pas soignés comme ils le devraient. Mais comme les gens ici ne savent pas comment les hôpitaux marchent dans le reste du monde, ils sont très reconnaissants envers le régime pour les soins gratuits.»

Avenir sombre
Lorsqu’il a appris la nouvelle de l’assouplissement de l’embargo, Eduardo Enrique Herrera n’a pas sauté de joie. Le médecin, qui a été arrêté plusieurs fois, craint comme Roberto que la Maison-Blanche n’ait renforcé le pouvoir des frères Castro. «Je considérais Obama comme un grand homme d’Etat», glisse-t-il. «Il avait gagné le Prix Nobel de la paix à juste titre, mais ce qui s’est passé ces derniers jours me laisse songeur à cause de sa décision de libérer les trois espions cubains et de reprendre les relations avec Cuba sans demander quoique ce soit en retour.

Pour pouvoir rester au pouvoir, le gouvernement a besoin de l’argent étranger car l’économie de notre pays est très mal en point.» Il poursuit: «Le futur de mon pays est sombre parce qu’Obama a donné la possibilité au gouvernement de dire que les Etats-Unis avaient tort et ça lui donne un peu plus de force pour faire taire ceux qui protestent. Les Etats-Unis ne se trompaient pas.»

Dans le minuscule espace de liberté d’expression que lui concède le régime castriste, Roberto de Jesùs Guerra Pérez va continuer à oeuvrer pour un changement qui paraît à la fois à portée de main et encore bien loin. Car pour lui et pour Eduardo Enrique Herera, la «barrière idéologique» évoquée par Barack Obama mercredi lorsqu’il a annoncé le dégel des relations entre les Etats-Unis et Cuba mettra encore du temps avant de s’écrouler.» «Pour moi, le mur de Berlin n’est pas encore tombé à Cuba», glisse encore Eduardo. «Il faudra attendre encore un peu. Mais j’ai l’espoir que je le verrai un jour.»

(24 heures)