Une tribune signée par une cinquantaine de personnalités pour une révision du procès de Thiaroye (1944).

 

Il y a 70 ans, des tirailleurs « sénégalais » ont été condamnés à tort pour couvrir le massacre de
soldats africains à Thiaroye, le 1er décembre 1944
La révision collective du procès s’impose
Le 5 novembre 1944, plus de 1600 ex-prisonniers de guerre qui avaient passé, pour le plus grand
nombre, quatre années de captivité dans les Frontstalags en France après s’être battus contre
l’ennemi allemand, ont quitté Morlaix pour rejoindre leur terre natale. C’était le premier contingent
de tirailleurs dits « sénégalais » à rejoindre l’Afrique occidentale française (AOF) pour être
démobilisés. Après s’être évadés, certains avaient rejoint les rangs de la Résistance (Forces
françaises de l’intérieur).
Le 1er décembre 1944 à la caserne de Thiaroye au Sénégal, ces rapatriés qui avaient réclamé leur
rappel de solde de captivité ont été rassemblés sur ordre des officiers devant les automitrailleuses,
qui ont tiré faisant officiellement 35 morts alors qu’il manque, selon les sources, plus de trois cents
ex-prisonniers de guerre, entre l’embarquement et le débarquement. Les enquêtes diligentées par les
ministères de la Guerre et des Colonies ont conclu à l’époque à la nécessité de la riposte lourde suite
à une rébellion armée et au caractère illégitime des revendications.
Le 5 mars 1945 à Dakar, trente-quatre « mutins » rescapés du massacre ont été condamnés à des
peines pouvant aller jusqu’à dix années d’emprisonnement avec dégradation militaire, interdiction
de territoire, amendes pour rébellion armée, refus d’obéissance, outrages à des supérieurs. II fallait
faire taire ceux qui revendiquaient l’égalité des droits et pouvaient perturber un ordre colonial déjà
chancelant à la sortie de la guerre.
Le travail des historiens a fini par révéler des documents falsifiés et montrer que le récit officiel est,
en réalité, un mensonge d’État qui a permis de camoufler la spoliation des soldes de captivité, le
massacre prémédité, le nombre exact de victimes et de faire condamner des innocents.
Il a fallu attendre soixante-dix ans avant qu’un président de la République n’évoque cet événement
et ne se montre disposé à reconnaître la réalité des faits. Le président Hollande, dans son discours
en hommage aux tirailleurs « sénégalais » prononcé le 30 novembre 2014 au cimetière de Thiaroye,
a exprimé clairement « son refus de poursuivre un déni officiel de plusieurs décennies » et a salué
« la mémoire d’hommes qui portaient l’uniforme français et sur lesquels les Français avaient
retourné leurs fusils. » Il a annoncé solennellement sa volonté de réparer une injustice sans pour
autant évoquer la saisine de la commission permettant d’innocenter ces hommes condamnés pour
un crime ou des infractions qu’ils n’ont pas commis.
Le procès du 5 mars 1945, entaché d’irrégularités, avec une instruction à charge pour accréditer la
version de ceux qui donnèrent l’ordre d’ouvrir le feu, a lourdement contribué à produire une histoire
falsifiée de cet événement. Ces prétendus « mutins » ont bénéficié des lois d’amnistie en 1946 et
1947 mais demeurent coupables.
Le doute sur leur culpabilité est désormais acquis et rien ne peut s’opposer à ce que ces hommes
bénéficient à titre posthume de l’article 622 du code de procédure pénale prévoyant la révision du
procès lorsqu’après une condamnation, vient à se produire un fait nouveau ou à se révéler un
élément inconnu de la juridiction au jour du procès. La ministre de la Justice, doit, par souci
d’équité, saisir la commission d’instruction pour que la formation de jugement de la cour de
révision et de réexamen puisse annuler les condamnations qui lui paraissent non justifiées et
décharger la mémoire des morts.
Saluer la mémoire de ces hommes c’est veiller, à présent, à rétablir dans leurs droits ceux qui ont
été injustement condamnés.
Ces tirailleurs ex-prisonniers de guerre doivent être réhabilités, les familles ont droit à une
réparation, nous avons tous besoin de cette justice exemplaire.
Liste des soldats, rescapés du massacre, qui ont été condamnés par le tribunal militaire de Dakar, le
5 mars 1945 : Paul Niagne, Baraky Yoro, Ibou Senghor, Bakar Amat, Doudou Diallo, Antoine
Abibou, Foromo Toubadolo, Gaston Ouerou, Sami Béavogui, Araba Koné, Foromo, Seydouba
Camara, Ouli Keita, Tandaogo Belem, Koundiagne Keita, Karimou Sylla, N’Gor Diouf, Fasseri
Coulibaly, Koyale Boyagui, Nyagha N’Gom, Foune Sissoko, Kotou Diakhité, Albert Nyacha, Kaba
Kone, Gopou Kamara, Victor Donoule, Bouton Taraore, Samba Naoma, Timbela Belem, Tangara
Dangeli, Kemisse Dembele, Soungalo Taraore, Tiedam Taraore, Amadou Diop.
Nous, signataires de cette tribune, demandons à Madame la Garde des Sceaux, ministre de la Justice
de prendre toutes les dispositions nécessaires pour permettre la révision du procès tendant à
l’annulation des condamnations. Nous demandons également aux institutions compétentes de mettre
tout en oeuvre pour que les documents permettant de mettre un nom aux victimes soient accessibles
et d’accorder les moyens d’investigation nécessaires pour s’approcher encore plus de la vérité.

Liste des personnalités signataires
Armelle Mabon, Maître de conférences, France,
Pr Babacar Diop Buuba, Professeur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Sénégal
Pr Sylvain Lazarus, Professeur Emérite à l’Université de Paris 8, France
Dr Dialo Diop, Secrétaire général du RND (parti fondé par Pr Cheikh Anta Diop), Sénégal,
Cheikh Tijaan SOW, écrivain musicien, Bègles, France,
Boubacar Boris Diop, Ecrivain, Sénégal
Ben Diogaye Bèye, Cinéaste, Sénégal
Didier Daeninckx, Ecrivain, France
Olivier Le Cour Grandmaison, Universitaire, France
Jean-Claude Fournier, Auteur de Bandes Dessinées, France
Daniel Attala, Maître de conférences, France
Mamadou Sy Tounkara, Enseignant à l’UCAD, Sénégal
Raphaël Baldos, Journaliste, France
Emmanuel Tchumtchoua, Enseignant-chercheur, Université de Douala, Cameroun
Yves Abibou, fils d’Antoine Abibou
Sabrina Parent, chercheuse, université libre de Bruxelles, Belgique
Maïté Diallo-Renan, fille de Doudou Diallo, condamné à Thiaroye
Régis Thiébaud, psychologue, France
Violaine Dejoie-Robin, Cinéaste / Plasticienne, France
Christelle Taraud, Historienne du Maghreb contemporain, France.
David Murphy, Professeur à l’Université de Stirling, Royaume Uni.
Dominique Thébaud, photographe et Sophie Bernard,illustratrice.
Véronique Mercier, Chargée d’études documentaires (ministère de la Culture) en détachement aux AD 46, France
Medhi Lallaoui, réalisateur et président de Au Nom de la Mémoire, France.
Joël Delhom, maître de conférences, France
William Gallois, Enseignant-Chercheur, université d’Exeter, Royaume-Uni
Marie Mouchel-Blaisot, Productrice, France
Hosni Kitouni, chercheur, Algérie
Patrick Cabouat, Cinéaste, France
Pascal Ndjock, Enseignant-Chercheur, Université de Douala, Cameroun
Patrice Salomon, Travailleur Social, France,Citoyen de PARIS 15°
Idrissou Alioum, Chercheur, Cameroun
Odile Hanquez Passavant, Enseignante – Doctorante en anthropologie, France
Fabio Viti, Anthropologue, Italie
Myron Echenberg, Pr Emerite de l’Universite McGill, Canada
Roger Little, Pr Emérite, Trinity College Dublin, Irlande
Sophie Bernard, dessinatrice.
Kris, scénariste, France
Mona BRAS, conseillère régionale de Bretagne (UDB)
Catherine Coquery-Vidrovitch, Professeur des Universités, France
Jean-Michel Le Boulanger, Vice-président du conseil régional de Bretagne, France
Philippe Grand, Archiviste, France
Farès Ben Mena, enseignant, France
Gérard Mordillat, écrivain et cinéate, France
Amaury Lorin, enseignat-chercheur en histoire contemporaine, Birmanie.
Sette Diop, PIT-Sénégal (Parti de l’indépendance et du travail – Sénégal)
Florence Gourlay, Maître de conférences, France
Babacar Diallo, Sénégal
Association pour la réhabilitation des condamnés de Thiaroye

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