Grande interview d’Ousmane DIA par le journal Le Témoin: « Il est temps de mettre en place nos propres concepts..»

 

Produit de l’Ecole des Beaux Arts de Dakar, Ousmane Dia mène aujourd’hui un parcours exceptionnel en Suisse où il vit depuis plus d’une quinzaine d’années. Dans ce pays, il a réussi à se faire un nom et sa palette reconnue par les critiques. Ce qui lui a valu tout dernièrement une exposition individuelle à New York à la prestigieuse Ray Gallery. Natif de Tambacounda, il mène dans sa ville natale des actions artistique et sociale. Dans cet entretien, il se prononce sur la récente sortie du ministre de la Culture et de la Communication qui compte doter Tambacounda d’un studio d’enregistrement. En plus d’autres sujets. Entretien…

Le Témoin : M. Dia, vous êtes artiste plasticien, originaire de la région de Tambacounda et vivant aujourd’hui en Suisse. Vous avez dû parcourir un long chemin, pour en arriver là ?

Le chemin de Tambacounda à Genève fut très long, parsemé non seulement d’embûches, mais aussi de beaucoup de bonheur. Vous savez, il est extrêmement difficile, pour un Tambacoundois, d’avoir des conditions optimales à Dakar, pour poursuivre ses études, surtout lorsque l’on n’y a pas d’attaches. Je n’ai pas échappé à la règle, car j’ai fait mes études à l’Ecole nationale des Beaux-Arts de Dakar dans des conditions très difficiles. Mais je m’étais armé de principes comme le travail, la volonté, le courage et la persévérance, pour avoir des chances de réussite. Lorsque j’étais en quatrième année, j’ai commencé à sentir l’air de la réussite. Un jour, le Réseau International de Cadres Africains et Européens (ICARE) devait exposer un jeune artiste dans trois villes françaises (Paris, Tours, Lille), dans le cadre d’un programme. Ils sont venus à l’école pour visiter les ateliers des étudiants du département Arts Plastiques. À la fin de la visite, ils ont porté leur choix sur mon travail. Malheureusement, le projet ne s’est jamais concrétisé pour des raisons dont je tairai les détails.

Ce qui était frustrant, c’est qu’en 1993, j’étais le quatrième Tambacoundois à faire des études à l’Ecole nationale des Beaux-Arts de Dakar, pour une école qui existait depuis 1960.

Ensuite, vint la période des études en Suisse. Je venais tout juste de perdre mes deux parents. Mon père, le 1er novembre 1997, et ma mère le 23 novembre 1997. Au début, ce n’était pas du tout facile en Suisse car je devais faire le deuil de mes parents et m’adapter rapidement à d’autres réalités, notamment culturelles, sociales et économiques. Je me suis battu corps et âme pour réussir. J’ai pu, à certains moments, compter sur des personnes-ressources qui m’ont aidé à aller de l’avant. Il faut dire que la Suisse est un pays très accueillant, à l’image du Sénégal. C’est un pays qui peut beaucoup apporter à un ressortissant africain par ses valeurs et par sa démocratie directe qui est unique au monde. Ce pays m’a donné les moyens et l’opportunité de m’intégrer et la possibilité de jouer pleinement mon rôle de citoyen responsable. J’ai pu combler beaucoup de mes lacunes par le biais de formations de qualité. Voilà un pays qui pourrait inspirer le Sénégal dans plusieurs domaines, si nous avons le courage de remettre en cause le modèle de la France qui semble être notre référence à tous les niveaux. Le président français est en visite en Suisse ce 15 avril 2015 pour s’inspirer du modèle économique, écologique et de formation de la Suisse. Même les Américains veulent adopter le système dual de la formation professionnelle suisse. Pourquoi pas le Sénégal ? À méditer.

Le Témoin : Vous êtes à l’origine de quelques initiatives pour Tambacounda, dont le projet artistique TGD (Tambacounda-Genève-Dakar) ?

Le projet TGD est né d’une frustration. Comme je l’ai dit plus haut, en 1993, j’étais le quatrième Tambacoundois à faire des études à l’Ecole nationale des Beaux-Arts de Dakar. Or, Tambacounda est le grenier culturel du Sénégal et regorge de beaucoup de jeunes talents qui manquent de formation, tant au niveau artistique qu’au niveau artisanal. Il fallait mettre en place un programme artistique et culturel pour essayer de palier ce manque. C’est dans ce sens que j’avais fondé le Collectif Artistes Plasticiens (CAP), en 2000, pour concevoir et réaliser des projets d’échange entre la Suisse et le Sénégal, dont TGD (Tambacounda-Genève-Dakar) a été la première initiative. Elle s’est révélée fédératrice, puisqu’à ce jour, 10 éditions ont été réalisées et plus de 1’800 artistes, étudiants d’écoles d’art ou collégiens, originaires de plus de vingt-six pays ont pris part à ces échanges, soit à Tambacounda, à Genève ou à Dakar.

Un des problèmes de Tambacounda en matière de culture est l’accès à l’information et une politique d’encouragement pour stimuler les populations à entreprendre des études artistiques. Les projets d’échanges artistiques TGD ont permis à beaucoup de jeunes de la région de prendre conscience de la richesse culturelle de notre chère Tambacounda afin de promouvoir leurs talents artistiques. Quatre jeunes Tambacoundois ont étés admis à l’Ecole des Beaux-Arts de Dakar grâce à la sensibilisation et à l’aide que je leur ai apportées. Douze jeunes de Tambacounda ont eu l’occasion de montrer leurs œuvres à Genève dans des lieux reconnus et ont également participé à des workshops sur place lors des éditions TGD. Une potière tambacoundoise a pu avoir une galerie à Genève et a déjà fait trois expositions individuelles en Suisse.

Je reste persuadé, encore aujourd’hui, que le développement de la région de Tambacounda passera par la culture. J’ai toujours été actif dans le milieu culturel tambacoundois (théâtre, ballets, musique, arts plastiques…). Il y a tellement de choses à faire dans le domaine de la préservation, de la formation et de la diffusion de cette richesse unique. Malheureusement, il n’y a pas une volonté politique saine de développer et de sauvegarder le patrimoine culturel tambacoundois. C’est là que les acteurs culturels tambacoundois ont un défi à relever pour sortir Tambacounda de sa situation actuelle, qui est chaotique.

Il faut reconnaître que les objectifs que je m’étais fixés pour Tambacounda sont encore loin d’être atteints. J’avais réussi à renforcer le patrimoine artistique tambacoundois par des réalisations concrètes : le défunt monument du rond-point de la police en sous-verre ; les décorations de la salle de conférence de la Gouvernance et celles du cercle mess des officiers ; les installations (disparues depuis) sur le mur et dans le jardin la mairie ; des fresques au Centre culturel régional et au collège Moriba Diakité ; une salle d’activités créatrices moderne de 200m2, équipée, offerte au collège Moriba Diakité en 2010, qui porte le nom du plasticien tambacoundois, feu Jacob Yacouba, d’une valeur de presque 20 millions de francs CFA ; des livres et du matériel artistique offerts au Centre culturel régional ; 400 poubelles de rue offertes à la mairie de Tambacounda en décembre 2004. Malheureusement, il n’y a pas eu de suite favorable quant à l’utilisation des poubelles car la mairie les a très mal gérées. Néanmoins, je continue d’y croire et d’autres projets plus ambitieux suivront.

Le Témoin : Tambacounda, votre ville natale, manquait donc de tout au plan culturel ?

Oui, encore aujourd’hui, Tambacounda manque de tout sur le plan culturel. La situation de l’art et de la culture à Tambacounda est chaotique comme pour plusieurs régions du Sénégal. Tout est concentré à Dakar. Il n’y a aucune volonté réelle de décentralisation de la part de l’Etat ; aucune politique d’encouragement; aucune structure de formation pour les artistes et les acteurs culturels ; aucun lieu de diffusion digne de son nom. Les artistes sont pleins de bonne volonté et de créativité, mais avec le manque de moyens ou de formation, ils finissent par se décourager et abandonner ou émigrer vers Dakar.  Les deux seuls lieux culturels qui existent à Tambacounda sont le CDEPS (Centre Départemental d’Education Populaire et Sportive) et le Centre culturel régional. Ces structures ont des moyens financiers dérisoires qui ne leur permettent pas de mener à bien de véritables projets culturels pour la jeunesse tambacoundoise.

Pierre Bourdieu nous enseigne qu’ « en matière de culture, on a affaire à des besoins secondaires. Ce sont des besoins, dont la privation ne nous donne pas le sentiment de la privation parce qu’on n’a pas créé cet horizon d’attente chez nous. ». Mais, on peut considérer que le rapport à l’imagination et à l’imaginaire est une chose capitale d’un point de vue démocratique comme d’un point de vue existentiel. Il n’est pas possible de se représenter le réel sans imagination car c’est une chose complexe. Et c’est parce qu’on a des clefs de lecture et des concepts qu’on va réussir à organiser ce réel et qu’il deviendra ce qu’on appelle la réalité. Le réel est un désordre confus qui submergerait nos sens et par l’imagination on va en faire une réalité sur laquelle on peut avoir prise. L’imagination a une autre faculté qui est de nous permettre d’imaginer un autre monde que le nôtre, le dépassement d’une réalité qu’on trouverait insuffisante d’un point de vue existentiel, d’un point de vue social.

Le Témoin : Le ministre de la Culture et de la Communication, qui a séjourné récemment à Tambacounda, compte doter votre ville d’un studio d’enregistrement, lequel d’ailleurs existerait mais souffrirait d’un défaut d’entretien…

Vous savez très bien que le ministre de la Culture est parti à Tambacounda pour faire de la politique et rien d’autre. Et oui, son passage à Tambacounda était éminemment politique. Il a passé l’essentiel de son temps à s’aventurer sur le terrain glissant des rapports détériorés entre Le Garde des Sceaux, ministre de la Justice et le député maire de Tambacounda, pour dire après qu’il a été le pompier qui a pu éteindre les flammes qui dévoraient leurs relations. Et pourtant, tous les deux soutiennent œuvrer pour le plein épanouissement des populations d’une région qui mérite bien mieux que cela. Le développement de cette région reste le dernier souci de ces politiciens. Ils ne pensent qu’à ce qu’ils peuvent y prendre, jamais à ce qu’ils doivent y faire. Sa promesse de doter Tambacounda d’un studio d’enregistrement prouve qu’il ignore nos besoins primordiaux. La priorité de la région de Tambacounda en matière de Culture n’est pas l’installation d’un studio d’enregistrement. Réduire les besoins de cette région (la plus pauvre économiquement du Sénégal) à un studio d’enregistrement montre son manque notoire de respect et son mépris à l’égard des populations de cette région.

Le Témoin : Et pourquoi cela ne vous parait pas être une priorité ?

Ce qu’on attendait de lui, c’est un vrai projet de société pour le développement de cette région. La vérité, c’est que Tambacounda n’est rien d’autre, au regard de nos hommes politiques, qu’une vache à lait qu’ils n’hésitent pas à traire jusqu’à la dernière goutte, surtout à la veille des joutes électorales. La culture peut être un véritable levier de développement sur lequel Tambacounda peut s’appuyer pour décoller. Tambacounda attend de l’Etat une Ecole Supérieure Sous-régionale d’Arts-Visuels et Appliqués, pour former les artistes, les acteurs culturels et les artisans. En effet, au-delà de produire des professionnels, ce projet aura un impact avéré tant au plan national qu’international. National car tous les Sénégalais désireux de poursuivre une formation artistique professionnelle, surtout ceux des régions de Tambacounda, Kaolack, Kédougou, Kolda, Sédhiou, Kaffrine, Ziguinchor, Matam, pourraient rallier Tambacounda pour ce faire. International, car nos voisins immédiats de la Gambie, de la Mauritanie, des deux Guinées, et du Mali pourront aussi y poursuivre des formations artistiques de haut niveau et cet établissement serait la première pierre d’une intégration sous-régionale et africaine. Vous imaginez l’impact économique qu’un tel centre de formation pourrait avoir sur les populations tambacoundoises ?

Cette Ecole pourrait même accueillir des étudiants du monde entier pour des formations postgrade. Toujours sur le plan culturel, Tambacounda mérite d’avoir le deuxième Conservatoire national. C’est la seule région du Sénégal où l’on retrouve toutes les ethnies du Sénégal. Tambacounda mérite aujourd’hui d’avoir une école de stylisme, une bibliothèque régionale digne de son nom, des espaces culturels comme lieux d’expression à l’image du Grand Théâtre et de la Galerie nationale de Dakar.

Le président Macky Sall et son gouvernement doivent avoir une vision avant-gardiste non seulement pour cette belle région qui leur a tout donné mais aussi pour le Sénégal. Il est vraiment temps de mettre concrètement en application un véritable plan d’action pour la région de Tambacounda dans le domaine de l’agriculture, de l’élevage, de la gestion des ressources naturelles, de la culture, de l’éducation, de la santé, de l’environnement et de la sécurité.

Tambacounda mérite une université non seulement pour désengorger Dakar et Saint-Louis mais aussi pour permettre aux étudiants de la région, des régions environnantes ainsi que ceux de la sous-région de pouvoir y poursuivre leur cursus universitaire dans des conditions optimales. Nous voulons une école de formation hôtelière et touristique, un aéroport moderne qui demanderait juste un peu de travaux – car l’aéroport de Tambacounda dispose déjà de la deuxième piste du Sénégal -, ainsi qu’une politique d’encouragement destinée aux compagnies aériennes afin qu’elles puissent desservir régulièrement la région. Transair, qui avait commencé à desservir Tambacounda en janvier 2015, vient de suspendre ses vols depuis avril 2015 car selon eux la ligne n’est pas rentable.

Il faut renforcer les capacités des producteurs de coton en leur proposant des prix corrects. Il faut valoriser le fonio à la place du riz thaïlandais qui n’a aucune vitamine. Il faut financer les groupements féminins de la région qui sont de vrais acteurs de développement. Il faut aider les éleveurs à faire évoluer leurs pratiques. Il faut encourager la fabrication du pain à base de mil et non de farine de blé blanche qui est importé et n’a pas de valeur nutritive. Il faut mettre en place des dispositifs pour permettre aux producteurs de bananes non seulement de pouvoir facilement exporter leurs récoltes sur le plan national et sous-régional mais aussi d’avoir des unités de transformation. Il est temps de concrétiser le projet ‘’Vallées fossiles’’ par le biais du « Mamacounda », qui est une vallée sèche au cœur de la ville. Tambacounda doit avoir aujourd’hui un port sec qui créerait non seulement des emplois mais contribuerait à décharger la route avec les camions maliens et ainsi diminuer les risques d’accident. Il faut une politique d’accompagnement de la mairie pour mettre en place un plan d’éclairage public des communes de la région. Il est urgent de construire d’autres postes de police modernes à Tambacounda et renforcer les moyens humains, matériels et techniques des forces de l’ordre à Tambacounda, pour garantir la sécurité des populations et de surcroit des Sénégalais, vu la position géographique de la région, etc.. Voilà certaines priorités et urgences pour la région de Tambacounda.

Le Témoin : Lors de sa visite, le ministre de la Culture et de la Communication a promis d’instruire le responsable du Centre culturel de Tambacounda d’élaborer un programme de formation de tous les acteurs cultures, assurant qu’il va présider l’ouverture des sessions, en compagnie du directeur des Arts. N’est-ce pas une avancée ?

C’est tout sauf une avancée car la délégation n’est pas pertinente vu les besoins de cette région et du pays en matière de culture. La première interrogation se pose sur les compétences des directrices et directeurs des centres culturels régionaux du Sénégal. A Tambacounda, on a même eu droit à une directrice qui n’avait suivi aucune formation pour pouvoir diriger une structure culturelle, c’était une fonctionnaire au ministère de la Culture qui a été parachutée à Tambacounda je ne sais comment et pourquoi.

Donc ce n’est pas au responsable du centre culturel de Tambacounda d’élaborer un programme de formation pour les acteurs culturels mais au ministère de la Culture. Ce programme doit être élaboré soit par les conseillers techniques du ministre, soit par mandat confié à des personnes ou structures compétentes, sur la base d’un cahier des charges que le ministère devra de toute façon mettre sur la table. J’ose espérer que le ministre de la Culture est bien entouré.

Le problème au Sénégal en matière de Culture, c’est que depuis l’alternance qui avait porté Abdoulaye Wade au pouvoir, nous n’avons pas eu un ministre de la Culture qui est venu avec un programme culturel clair, ambitieux et avant-gardiste qui ne tient compte que de l’intérêt du Sénégal et des Sénégalais.

Citez-moi un seul ministre qui est venu avec un programme de politique culturelle novateur ? Le ministère de la Culture est devenu un ministère pour caser les politiciens en quête de postes. Cette situation est regrettable et doit cesser. Reprenez tous les discours de politique générale de tous les Premiers ministres depuis 2000, la politique culturelle tient en quelques lignes. Même dans le document du PSE (Plan Sénégal Emergent), téléchargeable sur Internet, sur les 167 pages, la Culture occupe tout au plus une page. Le contenu est louable mais largement insuffisant pour un pays comme le Sénégal. C’est inadmissible car ce n’est pas les compétences qui manquent au Sénégal.

Je reste persuadé que la culture est un des rares domaines transversaux qui peut accompagner tous les autres domaines de notre organisation politique actuelle. Par exemple, une des solutions pour la relance de notre tourisme est la culture. Si des villes comme Paris, Kingston, Rome, Venise, La Havane, New York, Tokyo, Rio de Janeiro, Londres, etc. attirent un nombre impressionnant de touristes c’est en grande partie grâce à leur culture. Le soleil et la mer ne suffisent plus pour faire décoller le tourisme au Sénégal. Regardez, malgré l’insécurité qui gangrène l’Egypte, des touristes y vont grâce à la culture.

Le ministère de la Culture doit pouvoir travailler en étroite collaboration avec celui de la Santé dans la cadre de prévention et de la sensibilisation par exemple. Le ministère de la Culture doit pouvoir proposer au ministère de la Justice des programmes culturels et artistiques pour le bien-être et la réinsertion des détenus. Le ministère de la Culture doit pouvoir proposer au ministère des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur des attachés culturels dans toutes les représentations diplomatiques du Sénégal à l’étranger afin de promouvoir et de diffuser les créations sénégalaises. Le ministère de la Culture doit pouvoir proposer au ministère de l’Intérieur et de la Sécurité publique des programmes de prévention car beaucoup de délits sont commis au Sénégal par ignorance. Le ministère de la Culture doit pouvoir proposer au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche des programmes de formation duale dans le domaine des arts et de l’artisanat, etc..

Il est vraiment temps d’organiser les assises de la Culture au Sénégal et de mettre en place une vrai politique culturelle viable qui sera appliquée et respectée par tous les ministres qui auraient la responsabilité de ce secteur. Les cerveaux ne manquent pas au Sénégal et dans la diaspora sénégalaise.

Le Témoin : A vous suivre, c’est une manière pour le ministre de fuir ses responsabilités ?

Je ne dirais pas fuir ses responsabilités mais plutôt un manque de compétences et de vision pour faire rayonner la culture de notre pays. Je peux affirmer qu’il n’est pas coopté pour ses compétences car lui-même a dit devoir sa nomination à la première dame…. Pauvre Sénégal !

Son prédécesseur, M. Abdoul Aziz Mbaye, avait trois axes pour sa politique culturelle : La société de gestion collective, qui est en réalité un besoin d’une minorité qui le crie sur tous les toits depuis longtemps ; et lorsque, l’un des initiateurs de ce projet a pris fonction au ministère de la Culture, ce projet est revenu sur la table du ministre ; ensuite la tournée de la diversité culturelle qui était éminemment politique, c’est la raison pour laquelle elle n’a pas fait long feu ; et enfin le statut de l’artiste qui pour moi et loin d’être une priorité car sur les 14 millions de Sénégalais, les 12 millions peuvent revendiquer le statut de l’artiste.

Il y a un préalable à tout cela et il faut vraiment connaître le milieu culturel sénégalais pour s’en rendre compte. Aujourd’hui, il est plus que important d’assainir le ministère de la Culture ; de recenser tous les occupants, de lister les compétences afin d’éliminer les mauvaises graines pour les remplacer par des sénégalais compétents et capables de mettre en œuvre un cahier des charges. Faites un tour au ministère de la Culture et vous comprendrez aisément mes vœux.

Le Témoin : Justement, votre combat a toujours été la construction et l’équipement d’un « Périmètre d’arts plastiques et appliqués » à Tambacounda. Où en êtes-vous avec ce projet ? Bénéficiez-vous du soutien des autorités sénégalaises ?

Ce projet de création d’un « Périmètre d’arts plastiques et appliqués » à Tambacounda est toujours bien rangé dans un tiroir. Il faut rappeler que c’est un projet que j’avais conçu en 2006 dans le cadre de ma formation en gestion culturelle dans les universités de Genève et Lausanne pour obtenir le diplôme de gestionnaire culturel. Ce projet était le fruit de deux ans d’enquêtes et de recherches à Tambacounda et au Sénégal.

Ce périmètre devrait pallier le manque d’infrastructures et de formations pour les artistes et artisans et servir aussi de lieu de rencontre, de résidence et de diffusion du travail des artistes. Un architecte genevois m’avait d’ailleurs accompagné sur le concept architectural en tenant compte des réalités locales. J’attends d’avoir une oreille attentive pour mettre ce projet sur la table. Ce projet est conçu de telle sorte qu’il est transposable dans toutes les régions du Sénégal et pourrait remplacer les centres culturels régionaux dont les concepts sont un héritage colonial. Il est temps de mettre en place nos propres concepts en s’appuyant sur les compétences et réalités sénégalaises et non françaises.

Le Témoin : Vous avez récemment exposé à New York. Pouvez-vous y revenir ?

New York était une belle expérience, car c’était ma première exposition personnelle dans cette ville américaine. J’ai pu tisser des liens, rencontrer des critiques et des collectionneurs. C’est un succès que je partage avec les peuples sénégalais et suisse.

J’ai présenté des œuvres qui ont mis en relief les tragiques évènements de Paris avec le massacre d’une bonne partie de la rédaction de Charlie Hebdo, la révolution opérée par le peuple burkinabè, tout comme les mutilations génitales féminines malheureusement encore existantes. Je crois dur comme fer que la liberté d’expression est un facteur de développement même si elle doit être encadrée ; le caractère incommensurable du pouvoir du peuple n’est pas à contester sous quelque forme que ce soit et les droits fondamentaux des femmes doivent être promus et protégés.

J’ai seulement regretté l’absence des autorités sénégalaises établies à New-York qui ont toutes étaient invitées par moi-même, par la galerie et par des voies autorisées. Cependant, il y avait la présence de la communauté sénégalaise et surtout celle très remarquée de Monsieur Thomas Schneider, Consul, chef du département de la Culture et de l’Éducation du Consulat général de la Suisse à New-York. Cela m’a réconforté.

 

Propos recueillis par Alassane Seck Guèye / Quotidien Le Témoin /