Surveillance électronique: L’ONU défend le cryptage au nom des libertés

 

Au nom de la lutte contre le terrorisme, de nombreux Etats ont adopté des législations intrusives qui menacent de porter atteinte à la vie privée de tout un chacun. Sur la base de ces nouveaux textes, les services de renseignement et de police peuvent, en effet, accéder de manière légale à toutes les communications qui passent par Internet. Craquer le code d’accès d’une boîte mail ou d’une messagerie Skype peut être autorisé dès lors que l’on prétend agir au nom de la sécurité nationale.

Les défenseurs des droits de l’homme redoutent que les Etats n’abusent de ce prétexte pour utiliser les moyens de surveillance électronique à d’autres fins. Les révélations de l’Américain Edward Snowden et Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, à propos des informations collectées par la NSA donnent un aperçu des dérives auxquelles chaque citoyen se trouve exposé.

Le droit à l’anonymat

Conscient de la menace que représente cette surveillance sans limites, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU défend le droit à pouvoir échapper à la surveillance des Etats en recourant au cryptage des données. Une position qui, évidemment, est loin de faire l’unanimité. Au nom de la lutte contre le terrorisme, le premier ministre britannique David Cameron a déclaré, en début d’année, vouloir bannir les services de messagerie en ligne qui proposent des fonctions de chiffrement. La France vient, quant à elle, de se doter d’une Loi sur le renseignement. Initiée après les attentats de janvier, elle autorise la collecte des données cryptées, leur stockage et évidemment leur décryptage. En Suisse, la Loi fédérale sur la protection des données (LPD) encourage et protège la cryptographie plutôt qu’elle ne la restreint.

«Les discussions sur le cryptage et l’anonymat en ligne ont trop souvent été axées uniquement sur leur utilisation potentielle à des fins criminelles, dans le cadre du terrorisme. Mais le chiffrement et l’anonymat fournissent la confidentialité et la sécurité nécessaires à l’exercice du droit à la liberté d’opinion et d’expression à l’ère numérique», vient de rappeler le rapporteur spécial sur la liberté d’expression, David Kaye. C’est ce qu’on appelle jeter un pavé dans la mare. D’autant que l’intéressé met en garde contre la tentation que peuvent avoir les États «de porter atteinte à la sécurité numérique en limitant le cryptage et l’anonymat».

Les retombées en ce qui concerne la liberté d’opinion et d’expression pourraient être désastreuses, prévient-il. David Kaye reconnaît que «des restrictions peuvent être légitimes dès lors qu’il s’agit de se protéger d’actes criminels» mais il estime qu’il faut trouver «un équilibre et garder une proportionnalité dans les mesures prises».

L’accès à des moyens de surveillance électroniques sans limites donne aussi aux Etats la possibilité de museler toute opposition ou toute voix dissonante. C’est ce que redoutent de nombreuses ONG qui savent à quel point les représailles visant les dissidents dans certaines parties du monde peuvent être sanglantes. Pour le rapporteur spécial de l’ONU, l’expression d’opinions sur des sites spécialisés devrait être considérée comme se déployant sur des espaces privés pour mettre la Toile à l’abri des lois trop intrusives.

Interdit d’interdire…

Pour alimenter le débat sur le droit au chiffrement des données, David Kaye s’est appuyé sur l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Ces textes protègent chaque individu contre les «immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance» en ajoutant que «chacun a le droit à la protection de la loi contre de telles immixtions». Autrement dit, en vertu de ces textes, protéger ses communications ne saurait être interdit. Les juristes s’attellent déjà à démontrer qu’il est interdit d’interdire… le chiffrement des communications. David Kaye a appelé à un grand débat public sur l’utilité des outils de cryptage et d’anonymat. «Cette utilité doit être reconnue et une information claire doit être disponible à ce sujet», préconise-t-il.

(24 heures)