Billet d’humeur: Le procès indigne fait à Lou Doillon

«Slut-shameuse», «féministe des beaux quartiers», «raciste»… Lou Doillon essuie ces jours une pluie de critiques dans les éditos de certains journaux français en ligne. Pour ceux qui ont raté l’affaire, je vous la fais courte. La chanteuse, actrice et mannequin française, fille de Jane Birkin et Jacques Doillon, a dénoncé il y a quelques jours l’hyper-sexualisation des chanteuses américaines Nicki Minaj et Beyoncé, ainsi que de la starlette de télé-réalité Kim Kardashian, dans le quotidien espagnol El Pais: «Les femmes, nous devons avancer avec prudence pour ne pas perdre de terrain. C’est pour ça que quand je vois Nicki Minaj et Kim Kardashian, je suis scandalisée. Je me dis que ma grand-mère a lutté pour autre chose que le droit de crâner en string. Quand je vois Beyoncé chanter nue sous la douche, suppliant son mari, ivre, de la tirer, je me dis: «On assiste à une catastrophe». Et par-dessus tout, on me dit que je n’ai rien compris, que c’est une vraie féministe parce que dans ses concerts il y a un énorme écran qui le dit. C’est dangereux de croire que c’est cool. Elle n’en reste pas moins une femme qui chante des chansons écrites pour des hommes et qui répondent à un fantasme masculin. Ça me dérange que les gens prennent ça à la légère.»

Pourtant, loin de s’attirer des éloges, Lou Doillon est accusée de «tirer dans les pattes» d’autres féministes. Plus choquant encore, elle est taxée de «raciste» (lire le billet d’humeur sur Libération) , puisque Nicki Minaj et Beyoncé sont noires – la blanche Kim Kardashian étant soigneusement écartée de l’argumentation. Et enfin de «féministe des beaux quartiers». Je me goure, ou les stars visées, multimillionnaires, n’habitent pas exactement des favelas? Et depuis quand n’a-t-on pas le droit, quand on est blanche, de formuler des critiques à l’encontre d’artistes noires?

Plus dérangeant, c’est l’image même du féminisme qui est déformée. Dans une chronique du Nouvel Observateur, la journaliste people Caroline Parlanti en donne une vision très étonnante. «CHACUN FAIT CE QU’IL VEUT, EN FAIT. C’est ça le féminisme. C’est de respecter le choix des gens, des femmes, sans les juger pour autant.» Ah bon? Donc si agiter ses fesses siliconées tout le long d’un clip subtilement intitulé Anaconda en hommage à la sodomie c’est du nouveau féministe, on peut également encourager les chanteurs masculins à faire l’hélicoptère avec leur pénis allongé au bistouri en vidéo. Ben quoi, chacun fait ce qu’il veut, c’est ça le féminisme, non?

En fustigeant Beyoncé, Kim Kardashian et Nicki Minaj, Lou Doillon dénonce l’image que ces stars véhiculent, construite et mise en scène par des équipes dépassant largement leur seule volonté d’artistes. L’actrice française ne tape pas sur les actions féministes où la nudité est utilisée pour choquer et pousser à la réflexion, telle la Marche des salopes ou les manifestations des Femen.

Mannequin, Lou Doillon est accusée d’avoir elle-même posé seins nus, notamment pour Play-boy. Soit. Mais qui sont les lecteurs de ce magasine érotique? Des hommes, adultes. Et quel est le public principal de Nicki Minaj, Kim Kardashian et Beyoncé? Des filles pré-ados, pour qui ces stars sont des idoles. Du coup, l’éventuel message subtilement féministe que véhiculeraient ces stars américaines, du genre «j’ai le droit de montrer mon corps refait et je lutte pour l’émancipation des femmes dans des tenues ultra-sexy et des poses relevant de la pornographie» passe à la trappe.

Sérieusement, avez-vous envie que votre fille de 10 ans grandisse avec l’idée qu’une femme forte et féministe, c’est une femme qui se met à quatre pattes en string (voir le clip de Nicki Minaj), ou supplie, ivre, son homme de bien vouloir la prendre (voir le clip de Beyoncé)? Sans nous scandaliser du fait de porter un string, de boire de l’alcool, de se droguer et d’avoir envie de faire l’amour d’une certaine manière, interrogeons-nous plutôt sur la mise en valeur systématique de ces comportements par l’industrie de la musique. Toutes ces activités relèvent de la vie privée et du choix de chacun. Les ériger en modèle à suivre sous l’étiquette du féminisme me semble intrusif et profondément malsain. (TDG)