«La Kirghizie est une exception en Asie centrale»

«Jusque-là, le parti au pouvoir gagnait les élections avec près de 90% des voix. Cette fois, le parti du président, le SDPK, l’a emporté, mais avec 26,6% seulement. Ce qui prouve que ces élections ont été honnêtes. Et c’est une exception en Asie centrale.» Zenishbek Edigeev est un journaliste kirghiz qui a dû fuir son pays sous la menace en 2008. Jusqu’en janvier dernier, il avait le statut de réfugié politique en Suisse. Il y a renoncé, puisque le Kirghizistan – qui a connu un régime autoritaire au sortir de la période soviétique et deux révolutions depuis 2005 – est aujourd’hui «un îlot de démocratie en Asie centrale».

«Pour la première fois, dimanche dernier, une identification biométrique des électeurs a été mise en place. Mis à part quelques électeurs qui n’étaient pas enregistrés, le vote s’est bien passé. D’ailleurs, il n’y a pas eu les protestations habituelles contestant les résultats, fait remarquer Zenishbek. Après une élection comme ça, on peut espérer que le peuple pourra élire le président qu’il veut, la prochaine fois.»

En attendant, le SDPK, qui soutient le président en place, Almazbek Atambaïev, va devoir former une coalition avec le parti nationaliste Ata-Jourt, arrivé deuxième avec 20,61% des voix. Le premier s’est souvenu «des années où mener des élections honnêtes était un rêve» en glissant son bulletin dans l’urne. Le second, pourtant empêché de se présenter après des accusations de tentative d’agression d’un candidat rival, a salué le bon déroulement des élections, entériné par les 300 observateurs de l’OSCE, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.

«Les six partis qui auront des élus au parlement sont tous prorusses, note encore le Genevois d’adoption. Il n’y a pas d’autre choix. Sans la Russie, ce n’est économiquement pas possible pour notre pays. Et puis les Américains sont partis et ont fermé leur base militaire.»

Un risque islamiste En observateur avisé de la vie politique kirghize, Zenishbek se réjouit aussi de voir que «la minorité ouzbeke du pays, qui votait peu – et avait subi des violences ethniques en 2010 – soit allée voter dimanche dernier». Un autre signe d’apaisement de la vie publique dans son pays.

Cependant, Zenishbek, qui est retourné dans la capitale, Bichkek, et dans son village de Kosh-Dobo l’été dernier, ne compte pas rentrer tout de suite au pays. D’abord parce que ses trois enfants sont scolarisés à Genève. Mais aussi parce que des inconnues pèsent encore sur la vie démocratique kirghize. «Dans les pays voisins, les présidents ont tous plus de 70 ans et dirigent comme des khans. Que se passera-t-il quand l’Ouzbek Karimov, qui a près de 80 ans, disparaîtra?» s’interroge-t-il. «Il y a un risque que l’islamisme l’emporte dans ce pays et que le Kirghizistan, majoritairement musulman, soit emporté avec», explique-t-il.

En attendant, Zenishbek Edigeev va publier un second dictionnaire (thématique celui-là) kirghiz-français. Il a distribué gratuitement le premier dans les universités et les écoles de son pays. «Avant, il fallait passer par le russe ou l’anglais pour apprendre votre langue», sourit-il. Lui ne connaissait qu’un mot en arrivant: «Bonjour.» (TDG.CH)