Contribution: Ne pas se tromper d’ennemi (Par Tariq Ramadan)

Il ne s’agit pas d’avoir les mêmes idées, les mêmes idéaux, les mêmes espoirs. Dieu a voulu la diversité?; pluralisme et respect mutuel, il doit donc y avoir. Il est urgent d’exprimer ce que l’on refuse, de circonscrire ce qu’est pour nous l’inacceptable en nous engageant à tout faire pour qu’il ne soit, effectivement, accepté, normalisé, banalisé.

Dans un monde où l’économique a pris le pas sur le politique, où l’intérêt financier et commercial fait la raison d’État, où les valeurs ne sont convoquées que si elles ne portent pas préjudice aux plus obscures tractations ou contrats. Il ne faut pas se tromper d’ennemi et faire alliance avec tous ceux pour qui la vie d’un homme a un sens et une valeur. Ceux qui refuseront la folie meurtrière pour défendre la foi, le respect, la dignité, la fraternité et l’amour. Ceux enfin qui, portés par leurs convictions, sont décidés à y engager leur vie entière en acceptant de faire face à tous les écueils, à toutes les souffrances, à toutes les trahisons.

Tant au Nord qu’au Sud, jamais l’urgence d’un engagement total, organisé, unifié, n’a été aussi patente. Chaque « communauté » humaine de religion, de spiritualité ou de conscience, doit trouver les moyens de vivifier l’énergie de ses références pour donner force et vigueur à l’impératif de l’action de bien et de justice. Dans la diversité des croyances, le témoignage de sincérité est dans l’acte : « […] Si Dieu l’avait voulu, il aurait fait de vous une seule communauté. Mais il a voulu vous éprouver par le don qu’il vous a fait. Cherchez à vous surpasser les uns les autres dans les bonnes actions. Votre retour, à tous, se fera vers Dieu?; il vous éclairera, alors, au sujet de vos différends. »

Avant que ne vienne le jour où nous serons tous éclairés sur nos différends, il n’est qu’une seule action possible : faire le bien et lutter contre ce qui s’y oppose.

À un compagnon qui lui demandait ce qu’était le bien, le Prophète (PBSL) répondit : « Tu es venu t’informer sur le bien?? – Oui, répondit Wâsiba. – Consulte ton cœur, dit le Prophète, car le bien est ce qui apaise ton âme et calme ton cœur. Le péché est ce qui te trouble intérieurement et suscite dans ton cœur de l’embarras, de la gêne et ce, même si les gens te livrent toutes les justifications juridiques possibles. »

La tension morale participe de la nature humaine. La paix du cœur ou son agitation témoigne des chemins empruntés, mais le choix reste toujours le propre des hommes. De la liberté naît la responsabilité : il faudra rendre compte de notre attachement à la morale. Pour nous-mêmes, en notre cœur, dans le silence et la solitude de notre intimité, comme dans nos relations avec nos parents, nos frères, nos amis, nos ennemis, l’étranger, le collègue, l’employé, le vieux, le handicapé, le pauvre ou l’exilé?; comme encore avec la nature, les arbres, les forêts, l’air, la mer et tous les éléments?; comme enfin la totalité du règne animal. La tradition rapporte que le paradis fut promis à une prostituée qui avait donné à boire à un chien assoiffé : un geste simple porteur de l’essentiel de la morale qu’on enseigne aujourd’hui, en référence au message de l’islam, du Maroc à l’Indonésie… « réformer son caractère et faire le bien. »

Être musulman, c’est d’abord vivre l’expérience de piété : « Le meilleur d’entre vous (entre les gens) auprès de Dieu est le plus pieux […] »

Le témoignage de cette piété est essentiellement, sur les plans social, politique et économique, de nature morale : « Ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre appartient à Dieu. Toute chose revient à Lui?! Vous formez la meilleure communauté suscitée pour les hommes : vous ordonnez ce qui est convenable, et vous interdisez ce qui est blâmable et vous croyez en Dieu. »

Dans le miroir de la nature et de son ordre, et dont tous les éléments appartiennent à Dieu et retourneront à Lui, la meilleure des communautés est celle qui respecte l’harmonie par son engagement pour le bien et sa lutte contre le mal. Le passage commence et finit par la référence divine : l’acte moral est témoignage de la foi, il est à l’homme ce que voler est à l’oiseau. Aussi, une communauté, quelque majoritairement musulmane qu’elle puisse être, qui alimente l’injustice, la laisse se propager et détruire ainsi le tissu social, n’est en rien « élue » : au contraire, elle prouve chaque jour son manquement à l’exigence du message auquel elle dit se référer. Le Prophète (PBSL) avait pourtant recommandé la vigilance : « Soutiens ton frère qu’il soit juste ou injuste?! » Des compagnons s’étonnèrent : « Lorsqu’il est juste, cela est compréhensible, mais comment cela peut-il être quand il est injuste?? » – Le Prophète répondit : « En mettant un terme à son injustice?! »

Tariq Ramadan – Webnews