CPI: Laurent Gbagbo plaide non coupable à l’ouverture du procès

Cinq ans après les violences post-électorales qui ont déchiré la Côte d’Ivoire, le procès pour crimes contre l’humanité de Laurent Gbagbo s’est ouvert ce jeudi 28 janvier devant la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye. L’ancien président ivoirien a choisi de plaider non coupable, comme son ancien ministre Charles Blé Goudé, qui comparaît à ses côtés.

C’est souriant et vêtu d’un costume bleu foncé que Laurent Gbagbo, 70 ans, s’est présenté ce jeudi matin à l’ouverture de son procès. Visiblement détendu, il a serré la main de ses avocats puis est allé s’asseoir au fond à droite, derrière son équipe de défense dans la partie réservée aux accusés, dans les tout nouveaux locaux de la Cour pénale internationale de La Haye.

Mais c’est d’une voix faible et calme que Laurent Gbagbo a pris la parole peu après 10h30 (heure locale) ce jeudi matin. « Comprenez-vous les charges qui vous sont imputées?? », lui demande le président de la Cour. « Oui, je les comprends », répond-il après quelques instants d’hésitation, comme s’il était ailleurs. Puis, se levant, il s’adresse à la Cour : « Monsieur le président, je plaide non coupable. » Et de se rasseoir tout aussi calmement.

Même stratégie pour Charles Blé Goudé, à sa gauche. « Je ne reconnais pas les charges, par conséquent je plaide non coupable », déclare l’ancien ministre. Peu d’interactions entre les deux hommes jusqu’à présent. Les attitudes sont très différentes : Charles Blé Goudé est attentif, prenant des notes soigneusement, tout au long de l’audience, tandis que Laurent Gbagbo s’est déjà éclipsé à plusieurs reprises quelques instants depuis le début du procès.

La défense a une nouvelle fois critiqué le travail de la procureure de la Cour pénale internationale, Fatou Bensouda. Dès le début, l’un des avocats de Laurent Gbagbo a déposé de nouvelles requêtes, estimant notamment que la défense n’avait pas eu assez de temps pour se préparer, compte tenu de la taille du dossier.

Mais surtout, les conseils de l’ex-président accusent la procureure d’avoir sciemment écarté du dossier certains éléments de preuve à décharge pour son accusé, et ce en violation du statut de Rome qui régit la CPI. « Depuis quatre ans maintenant, a dit l’un des avocats, le procureur adopte une certaine vision de la crise ivoirienne. À ce niveau, nous sortons du domaine du droit pour rentrer dans celui de la croyance, qui n’a pas sa place dans ce prétoire. »

La ligne de défense de Laurent Gbagbo et de ses avocats

On peut s’attendre à ce que la défense de Laurent Gbagbo essaie de faire traîner les choses en longueur, comme elle l’a toujours fait d’ailleurs depuis le début de cette procédure. Ensuite, plusieurs axes de défense sont à prévoir. D’abord, accuser la procureure de parti pris, on vient déjà d’en entendre un exemple, pour tout simplement contester la légitimité même de ce procès.

Deuxième axe de défense : nier purement et simplement l’existence d’un plan destiné à maintenir les deux hommes au pouvoir. On se souvient des propos, mercredi 27 janvier, de l’avocat de Charles Blé Goudé au cours d’une conférence de presse : « Je suis ici pour venir défendre un homme de paix ». Charles Blé Goudé s’est d’ailleurs toujours montré confiant dans le fait qu’il rentrerait bientôt dans son pays pour peut-être y exercer à nouveau des fonctions politiques.

Les avocats de la défense, enfin, tenteront-ils de prouver que Laurent Gbagbo est le véritable vainqueur de l’élection, comme il l’a toujours clamé?? C’est probable, mais sur ce point ce matin le président de la Cour a fait une mise en garde : « Ce procès n’est pas une manifestation politique ; la Chambre ne permettra pas une instrumentalisation politique de ce procès. »

On ne sait pas encore si l’ancien chef de l’État ivoirien s’exprimera demain vendredi. Son avocat a pour le moment décidé de garder la surprise. En soutien avec la défense, pour les partisans de l’ancien président ivoirien ce procès est inique injuste. Et devant la CPI à La Haye ils sont 1 000 à 1 500 Ivoiriens de la diaspora à avoir fait le déplacement, militants du Front populaire ivoirien, parti que Laurent Gbagbo a créé avec sa femme Simone Gbagbo dans les années 1980.

Les faits reprochés

Il y a quatre chefs d’inculpation retenus contre les deux hommes : meurtres, viols et autres actes inhumains, persécutions. Ils sont accusés d’avoir tous les deux conçu et mis en œuvre un plan meurtrier, destiné à maintenir Laurent Gbagbo coûte que coûte au pouvoir, en menant des attaques qualifiées de systématiques et généralisées contre des civils, partisans — supposés ou avérés — de son adversaire Alassane Ouattara.

Des violences commises par l’intermédiaire d’une véritable organisation mise en place par les deux hommes et d’autres proches, une organisation qui comprenait l’armée ivoirienne, mais aussi des milices et des mercenaires totalement acquis à la cause de Laurent Gbagbo.

Vu du sommet de l’UA

Le sommet de l’Union africaine doit s’ouvrir samedi à Addis-Abeba, mais les ministres des Affaires étrangères des pays membres sont déjà présents.

« Il est insultant de voir des présidents en exercice poursuivis par la CPI, la Cour pénale internationale, mais comme Monsieur Gbagbo n’est plus un président en fonction, nous n’avons pas d’avis sur ce procès, simplement nous le suivons avec beaucoup d’attention », a déclaré, ce jeudi matin à Addis-Abeba, Aisha L. Abdullahi, la commissaire des Affaires politiques de l’Union africaine.

Pour l’instant, c’est la seule réaction officielle à ce qui se passe aux Pays-Bas. Mais dans les couloirs de l’Union africaine, le sujet est largement débattu. Pratiquement toutes les délégations sont d’accord pour tomber à bras raccourcis sur la CPI : « Pourquoi ce tribunal ne s’intéresse-t-il qu’aux Africains??, demandent de nombreux ministres des Affaires étrangères. Pourquoi y a-t-il deux poids, deux mesures?? »

Beaucoup de délégués se disent solidaires du Soudanais Omar el-Béchir et du Kényan Uhuru Kenyatta, les deux présidents en exercice qui ont eu maille à partir ces dernières années avec la CPI. En revanche, les délégations sont beaucoup plus divisées sur le cas particulier de Laurent Gbagbo. D’abord parce que comme le dit la commissaire des Affaires politiques de l’UA, il s’agit d’un ancien président et qui plus est, d’un chef d’État dont l’Union africaine a refusé de reconnaître la réélection de décembre 2010. Au contraire, trois mois plus tard en mars 2011 lors d’une réunion à Addis-Abeba, l’Union africaine a reconnu la victoire d’Alassane Ouattara.

Et puis les délégués du continent sont divisés sur le cas Gbagbo en fonction de leurs affinités politiques avec précisément le régime d’Alassane Ouattara. Yoweri Museveni, par exemple, qui dirige un pays très éloigné de la Côte d’Ivoire, ne cache pas ses sympathies pour l’accusé Gbagbo. Depuis quatre ans il se dit prêt à accueillir l’ancien président si celui-ci est remis en liberté provisoire. En revanche, les voisins de la Côte d’Ivoire ne trouvent rien à redire à ce procès. « Notre hostilité à la CPI ce n’est pas pour Gbagbo, c’est contre le fait que seuls des Africains soient poursuivis par ce tribunal », a confié ce jeudi matin un diplomate guinéen.

Rassemblement au « Baron »

À Abidjan, au « Baron », un lieu de réunion du FPI de la tendance « Gabagbo ou rien » et il y avait du monde à l’ouverture du procès : entre 400 et 500 supporters, militants, partisans de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé. Au premier rang des sièges, face à l’écran qui projette le procès de la CPI, étaient présents, entre autres, Aboudramane Sangaré, l’un des fondateurs historiques du FPI, et le fils de l’ex-président, Michel Gbagbo. Celui-ci a trouvé son père en forme, combatif et prêt à en découdre avec les contradicteurs.

D’ailleurs, dès que Laurent Gbagbo puis Charles Blé Goudé ont pris la parole pour plaider non coupables, des cris d’encouragement et de soutien, suivis de chants « Libérez Gbagbo, libérez Gbagbo ! » ont fusé.

C’est une retransmission que l’on vit ici un peu comme un match : on moque les arguments du procureur, on applaudit et on ovationne les répliques de la défense; on fait preuve donc de soutien moral à l’égard de celui que beaucoup considèrent encore et toujours comme le vainqueur d’une élection présidentielle de 2010.

Dans les autres partis ivoiriens, il y a plusieurs cas de figure. Les victimes directes, les associations de victimes, comptaient bien suivre le procès pour que la vérité soit établie et que justice soit faite. Côté partis politiques, on joue la discrétion. Pas de retransmission, on se borne le plus souvent à dire qu’il s’agit là du procès d’un individu, d’un simple citoyen ivoirien, ex-chef d’État, certes, qui est accusé de grands crimes, mais, explique-t-on dans le QG politique de la majorité, c’est à la CPI de faire son travail et ici en Côte d’Ivoire, l’heure est à la réconciliation nationale.

Auteur: RFI – RFI