Tambacounda: émigration clandestine à Goudiry, mythes et réalités d’un bassin migratoire

Réussir ou périr. Telle est la devise de nombreux jeunes de la région de Tambacounda, déterminés, au péril de leur vie, à rallier l’Europe à bord d’une pirogue de fortune. Leur principale destination : l’Italie. Le département de Goudiry, qui manque presque de tout, regorge d’un nombre important de ces candidats à l’émigration irrégulière. Mais souvent, l’aventure se termine dans les prisons libyennes ou dans le fin fond de la Méditerranée. EnQuête est allé à la rencontre des ces ex-candidats refoulés.

En 2014, Abdou Thiam, âgé de 24 ans, a vendu 6 bœufs et les bijoux de sa mère pour tenter de regagner l’Europe via la mer. Comme lui, il y en a des dizaines, voir des centaines à Koussan, l’une des 15 communes du département de Goudiry. Peuplée d’environ 8 mille habitants, cette collectivité polarise plusieurs villages perdus dans la savane sèche de la région de Tambacounda. A Toumoughuel et environs, localités situées à 14 km du chef lieu dudit département, les jeunes ne savent plus à quel saint se vouer. A l’instar des autres communes, leur collectivité locale souffre d’un manque criard d’infrastructures publiques. Les rares réalisations faites sur place sont l’œuvre des ressortissants de la localité, établis pour la plupart en France.

L’agriculture et l’élevage, principales activités économiques de la zone, demeurent encore très sous-développés dans la région. Du fait du manque d’opportunités sur place, ces jeunes, laissés à eux-mêmes, décident alors de prendre leur destin en main pour tenter l’aventure clandestine. ‘’J’ai une femme et un enfant à nourrir, en plus de ma famille. Et je n’ai pas de travail. Ce n’est pas en restant dans ce village enclavé que je vais trouver du boulot. A Dakar aussi, les gens n’ont pas du travail. C’est pourquoi, j’ai décidé, avec cinq de mes copains de tenter notre chance en Italie’’ explique, Abdou Thiam, refoulé de la Libye en 2014.

Pression sociale

Dans son village natal de Toumougheul, les émigrés qui reviennent sont perçus comme des modèles de réussite. D’où la détermination des autres jeunes à partir à tout prix en Europe. ‘’Beaucoup de personnes de ce village sont passées par la mer. En moins de trois ans, ils ont construit des maisons et acheter une voiture. Alors qu’on galérait tous ensemble ici’’, ajoute le jeune Thiam. Ces signes extérieurs de richesse poussent ainsi de plus en plus des enfants de cette localité à vouloir s’expatrier.

Issa Thiam, lui, est du village de Galayabé. Mais le souvenir de son voyage restera, sans doute, à jamais gravé dans sa mémoire. ‘’Le moteur de notre embarcation est tombé en panne en pleine mer. Et nous y sommes restés 5 jours durant, à prier et à greloter de froid. C’est un bateau de secours libyen qui nous a trouvé. J’ai été emprisonné ensuite pendant un an dans cinq prisons de ce pays, avant d’être rapatrié par avion jusqu’à Niamey (Niger). De là, j’ai regagné le Sénégal grâce à l’aide de mes cousins qui sont en France’’, raconte d’une voix faible le jeune de 21 ans, tout en exprimant ses regrets. ‘’Je suis devenu davantage pauvre. Car, je n’ai plus de troupeaux. J’aurais dû ouvrir un petit commerce à Tamba où à Dakar’’, confie-t-il tristement.

D’un autre côté, les familles jouent un rôle déterminant dans les projets de voyages clandestins des jeunes ruraux. Pour beaucoup de parents, financer le voyage de leurs enfants est en effet synonyme d’investissement. C’est pour cela qu’ils sont prêts à s’endetter, à vendre des bœufs, des moutons, des bijoux… Bref tout objet de valeur pour aider les candidats à l’émigration à réaliser leur rêve. ‘’Mon jeune frère âgé de 25 ans est partie en 2015 avec plusieurs de ses camarades.

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