Adama BICTOGO, PDG de SNEDAÏ « La rupture avec le Sénégal est liée à des raisons politiques »

L’indemnisation du groupe Snedaï par l’Etat du Sénégal, à hauteur de 12 milliards FCFA, a suscité beaucoup de commentaires, un tollé presque général. Pour certains, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un scandale. Chacun détenant et débitant sa part de vérité dans cette affaire qui depuisquelque temps, est sur toutes les lèvres. Pour ses lecteurs, L’Obs a pu mettre la main sur celui qu’on accuse, à tort ou à raison, d’avoir accaparé le magot. Adama Bictogo n’a pas mis de gants pour remettre les pendules à l’heure… de vérité. 

Dans cet entretien exclusif, il revient sur les péripéties du contrat de concession entre son groupe et l’État du Sénégal, dans le cadre de la modernisation de la sécurité, par le moyen de la biométrie.

Vous êtes le président directeur général de Snedaï, un groupe aujourd’hui connu des Sénégalais, à la faveur du marché de confection de visas biométriques. Pouvez-vous nous faire mieux connaître Snedaï, ainsi que ses domaines d’intervention ?

Je voudrais profiter de l’occasion qui m’est ainsi offerte pour me présenter aux Sénégalais, dont le pays, le Sénégal, est aujourd’hui mon pays d’adoption, mais aussi présenter mon groupe. Snedaï est une société dont le corps de métier est la biométrie, mais qui ces trois dernières années, s’est développée pour devenir une Holding.

Il dispose de 4 pôles économiques, avec notamment un pôle qui s’active dans la biométrie. Nous sommes implantés en Côte-d’Ivoire, au Togo, au Bénin, au Burkina, au Sénégal, où nous intervenons dans le domaine de la biométrie.

En Côte-d’Ivoire, nous produisons les passeports et les visas. Au Burkina, nous réalisons les cartes consulaires ; au Bénin, nous avons participé à l’organisation des élections de 2010 ; il en a été de même au Togo lors des dernières élections. Snedaï a été créé en 2010 et dispose d’une unité de production de cartes biométriques en Côte d’Ivoire. C’est la plus performante en Afrique de l’Ouest, avec une capacité de production de documents et cartes sécurisées de 30 000 unités par heure. Snedaï est la première société panafricaine qui intervient dans le domaine de la biométrie. Nous connaissons aujourd’hui une véritable expansion, aussi bien en termes de diversité des secteurs que dans le domaine de la biométrie.

Nous intervenons également dans le domaine de la couverture maladie universelle en Côte-d’Ivoire aujourd’hui, ainsi que la dématérialisation des produits. C’est donc sur la base de ces performances, réalisées dans des différents pays, que le Sénégal a signé avec nous, le 4 février 2013, une convention de concession relative à la mise en place du E-visa. C’est une nouvelle solution permettant aux demandeurs de visa, à partir du lieu de départ, de faire la demande par internet. Il faut dire que le groupe Snedaï a commencé à s’intéresser au Sénégal depuis le magistère d’Abdoulaye Wade.

Au lendemain des élections de 2012, nous nous sommes rapprochés du gouvernement de Macky Sall. Le projet répondait alors à un besoin de sécurité, mais pour un pays à vocation touristique comme le Sénégal, il était bon qu’une politique de visas soit mise en place, afin que les recettes des visas soient reversées dans le secteur du tourisme, ou dans un autre secteur, désigné par le Président ou le gouvernement.

Pouvez-vous revenir sur les péripéties de la signature de cette convention ?

Nous nous sommes rapprochés de l’ancien gouvernement, par le canal du ministre Ousmane Ngom et de l’ancien conseiller du Président en Télécommunications, Thierno Ousmane Sy. Le dossier était très avancé et nous n’étions pas loin de la signature.

Lorsque Macky Sall a accédé à la magistrature suprême, nous avons rencontré le Premier ministre Abdoul Mbaye et le dossier a suivi toutes les procédures. Toutes les analyses ont été faites et le Premier ministre a donné son approbation pour la mise en œuvre du projet. Il avait émis une seule réserve : que le tour opérator ne soit pas concerné.

Ce qui créait un manque à gagner de 30 à 40 %. En tant que banquier, il a proposé qu’on fasse un avenant pour que le manque à gagner financier soit compensé par une prorogation de la Convention.

Ce dossier a respecté toutes les procédures qui fondent la signature d’une concession. Je voudrais dire également que lorsqu’il s’agit de visas, un domaine de sécurité, cela relève de la souveraineté de l’État.

Or, pour les questions sécuritaires, tous les États sont en droit de confier leur sécurité à la structure qu’ils considèrent comme la plus performante. Sur cette base, après qu’on a signé cette Convention, nous avons préfinancé l’ensemble des besoins émanant du cahier de charges, dont la réhabilitation des 18 postes consulaires (frontaliers, aéroport, le port, les postes de police, la DST) au Sénégal et dans le monde.

Nous avons aussi préfinancé l’acquisition d’environ 400 véhicules, parce que le parc automobile du ministère de l’Intérieur et de l’Administration était vieillissant. Tous les équipements ont été préfinancés par le groupe Snedaï.

Nous l’avons fait parce que nous faisons confiance au gouvernement du Sénégal et à son Président, dont la crédibilité est reconnue à travers le monde entier. Pour préfinancer, nous nous sommes adressés à une banque. C’est la Banque Atlantique qui nous a accompagnés dans le préfinancement de ce projet. La Convention ayant été signée pour 6 ans et pour des raisons politiques relevant de la souveraineté de l’État, s’il y a une rupture, c’est tout naturellement que le préfinancement de plusieurs milliards CFA engagé dans ce projet devenait exigible.

Donc la rupture était unilatérale ?

Oui, la rupture était unilatérale, du fait de la volonté du prince. Nous avons donc approché les autorités, en l’occurrence, le ministère des Finances, pour faire valoir nos droits, dans le cadre d’une indemnisation. Ce qui est prévu dans les textes et par la loi elle-même. Toutes les procédures ont été respectées, conformément aux règles en vigueur.

Les supports qui ont fondé le règlement de cette indemnisation sont disponibles auprès du gouvernement. Il n’y a eu aucune complaisance dans le règlement de cette indemnisation, d’autant que les concessionnaires qui nous ont permis de livrer les véhicules à l’Etat sont connus, de même que les montants et les prix qui ont été payés ; les certificats de réception par le ministère de l’Intérieur

Sont disponibles. Il n’y a eu aucune forme de complaisance. C’est pour cela que je suis un peu choqué, en tant que président de ce groupe, qui réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires d’environ 70 milliards CFA. Et moi, en venant au Sénégal et ayant été ministre de l’Intégration africaine, le droit pour tout Africain de s’établir dans chaque pays de la Cedeao, a été mon combat. Parce qu’au Sénégal, je suis chez moi. J’ai un appartement ici et j’y ai beaucoup de frères. De la même façon, je reçois mes frères sénégalais en Côte-d’Ivoire. Pour moi, il n’y a pas de frontières, a fortiori des frontières économiques. La seule frontière doit être l’incompétence.

Pour l’heure, j’ai un groupe qui est performant. En plus de la biométrie, nous venons de signer une convention avec le gouvernement de la Côte d’Ivoire pour le transport de bateaux. Nous venons de faire l’acquisition de 45 bateaux pour le transport passager en Côte-d’Ivoire.

Nous avons signé avec la Côte-d’Ivoire une convention pour la réalisation d’une centrale de 700 mégawatts avec Hcsco bank, qui réalise 22 000 milliards de chiffre d’affaires en Espagne, Général Electrique, fournisseur en turbines. Nous sommes également dans l’immobilier haut standing. En Côte-d’Ivoire, nous sommes bien connus. Nous faisons notre travail avec performance. Nous sommes intervenus au Sénégal pour l’émission de visas répondant à une modernisation performante, mais la rupture n’était pas le fait de notre groupe. Cette rupture n’est pas liée à une incompétence technique, mais à des raisons politiques.

À vous entendre parler, on a l’impression que dans cette affaire, vous avez beaucoup plus perdu que l’Etat du Sénégal ? 

Lorsqu’il y a une rupture, le préjudice moral ne peut pas être quantifié, parce que nous sommes un groupe opérant dans plusieurs pays. La rupture au Sénégal aurait pu en entraîner d’autres. Dans d’autres pays. Elle n’est pas due à notre incompétence. C’était la volonté des autorités sénégalaises. Moi je ne dirai pas que j’ai perdu.

Non ! Parce que ce qui me lie au Sénégal est très fort. Le Sénégal est mon pays. En préfinançant, je me suis engagé à apporter une valeur ajoutée à un pays qui est devenu un pays d’adoption pour moi.

Si vous deviez quantifier les financements que vous avez faits, à combien s’élèveraient-ils ?

Je ne vous donnerai pas le montant, je préfère laisser le gouvernement se prononcer sur les différents montants investis. Je peux vous dire que plusieurs milliards ont été mobilisés. La Banque Atlantique est là. J’ai préfinancé pour plusieurs milliards CFA au Sénégal, sans attendre une avance de la part de l’État.

La confiance en l’État du Sénégal était pour moi une garantie suffisante pour m’engager à préfinancer ce projet et l’équipement du ministère de l’Intérieur.

Et ce tollé que l‘affaire a suscité, comment l‘avez-vous vécu ?

Je pense que l’État du Sénégal n’a pas voulu se mêler aux bruits et rumeurs. Je reste convaincu que dans les jours à venir, l‘Etat du Sénégal. Reviendra sur ces dossiers pour éclairer les Sénégalais sur ce que représentait cette convention et montrer que les rumeurs qui circulent sont non fondées. Pour ma notoriété et ma crédibilité, je suis un peu choqué quand je lis une certaine presse, qui n’a aucune information sur ce projet.

Mais je pense que le gouvernement remettra les pendules à l’heure. Notre intervention de ce jour, c’était pour éclairer les Sénégalais sur le fait que nous avons préfinancé. L’intégralité de ce projet et que la rupture s’est imposée à l’État du Sénégal, qui devait nous rembourser au moins le préfinancement qui a été réalisé. C’est ce qui explique le montant qui vous a été indiqué par le ministère des Finances.

Êtes-vous toujours, malgré tout, dans les dispositions de continuer vos activités au Sénégal ?

Je suis choqué par l’attitude de certains journalistes, mais le Sénégal reste mon pays d’adoption. J’aime beaucoup ce pays. Mes enfants adorent le Sénégal. Tous les deux mois, mes enfants. Viennent passer 10 jours ici. J’ai un appartement au Sénégal. J’ai des liens avec beaucoup de Sénégalais et je crois en une Afrique unie, la suppression des frontières économiques dans la zone Uemoa et la zone Cedeao.

Et de plus, le Président Macky Sall est le président en exercice de la Cedeao. Pour le rôle que je joue jusque-là dans la sous-région, je me sens très bien au Sénégal.

Les rumeurs et les bruits ne me feront pas dévier du Sénégal. Mieux, si demain j’ai des partenaires financiers et techniques de rang mondial capables d’apporter une valeur ajoutée à l’amélioration et à l’épanouissement du peuple sénégalais, je serais encore là parce, que je crois qu’il faut qu’on accompagne nos populations.

Vous avez la chance, au Sénégal, d’avoir un Président très crédible, à l‘extérieur comme à l’intérieur. Je pense qu’il faut savoir tirer profit de cette crédibilité, qui est un élément essentiel dans la mise à disposition et la levée de fonds pour le développement du Sénégal. Je voudrais que les Sénégalais me considèrent comme un des leurs et ne voient pas en moi un étranger. Je viens au Sénégal en tant que citoyen engagé pour l’épanouissement et le bonheur des Sénégalais.

Alioune Badara Fall-L’Observateur