Brexit : Le pari manqué qui met en pièces le Royaume-Uni

C’est un coup de tonnerre que viennent de provoquer les Britanniques! Par référendum, les électeurs se sont prononcés à 51,9% contre 48,1% pour une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE). Cette marge est importante: les 17,41 millions de Britanniques favorables au Brexit se sont révélés 1,26 million de plus que les partisans d’un maintien dans l’UE. Après quarante-trois ans au sein de l’institution européenne, le pays va donc devoir réapprendre à compter sur ses seules forces. La responsabilité de cet épilogue repose principalement sur les épaules d’un homme: le premier ministre et leader conservateur, David Cameron. Il avait initié il y a trois ans cette votation pour marginaliser l’aile la plus eurosceptique de son parti et étouffer la progression du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) du populiste et eurosceptique Nigel Farage. Perdu, son pari s’est retourné contre lui. Il a donc annoncé sa démission dans la matinée. «Le pays a besoin d’un nouveau dirigeant pour le mener dans cette nouvelle direction, a-t-il déclaré solennellement. Je ferai tout ce que je peux en tant que premier ministre pour maintenir le navire à flot ces prochaines semaines et ces prochains mois, mais je ne pense pas qu’il soit juste que je sois le capitaine qui dirige notre pays vers sa prochaine destination.»

Il a divisé son parti et le pays

Comment un dirigeant politique élu il y un an avec la majorité absolue à la Chambre des communes, grâce à une avance de six points et demi de pourcentage sur son adversaire travailliste, a-t-il pu se retrouver dans cette position? Un abus de confiance sans doute, probablement lié au résultat de cette trompeuse élection législative de 2015. Les référendums se révèlent souvent être des plébiscites pour ou contre les responsables politiques en place. Il ne fait désormais aucun doute que les Britanniques n’avaient plus aucune sympathie pour David Cameron. Ils ne l’avaient pas réélu l’an dernier avec enthousiasme, mais par défaut, parce qu’ils n’avaient aucune confiance en son opposant, Ed Miliband. Ils n’ont donc pas cru en sa défense d’une Europe dont il avait été l’un des principaux critiques pendant dix ans.

Enfin, David Cameron n’a visiblement pas bien estimé les dégâts engendrés par sa politique d’austérité. Les votes massifs des bastions travaillistes du nord de l’Angleterre et du centre conservateur en faveur du Brexit en sont les marques. D’une manière générale, la population a utilisé ce référendum pour exprimer sa contestation des élites nationales. Sa colère va bien au-delà de la seule question de l’UE, qui aura juste eu la malchance d’être le bouc émissaire des dirigeants britanniques depuis des décennies. Au final, David Cameron quittera la scène politique nationale en ayant réussi l’exploit de diviser son parti et son pays.

Boris Johnson, grand favori

Son départ ne sera cependant pas immédiat. Afin d’accorder au pays «une période de stabilité», l’élection du nouveau leader conservateur sera organisée au plus tard au début de la conférence du parti, qui aura lieu du 2 au 5 octobre à Birmingham. Le processus n’est pas simple. Les députés conservateurs de la Chambre des communes voteront pour sélectionner les deux candidats jugés aptes à se présenter. Alors seulement les membres du parti éliront celui qui deviendra leur leader, et le nouveau premier ministre.

Le scalp de David Cameron encore chaud, les noms de candidats se murmurent déjà. Boris Johnson, ancien maire de Londres et l’un des principaux partisans du Brexit, apparaît évidemment comme le favori. Par son implication dans cette campagne contre l’establishment, il a assurément gagné la sympathie d’un nombre considérable de conservateurs qui doutaient de celui qu’ils percevaient comme l’homme de la capitale et du monde de la finance. Afin de bloquer une élection quasi certaine au regard de sa popularité, de nombreux députés fidèles à David Cameron chercheront à l’empêcher d’atteindre le dernier stade de l’élection. Plusieurs candidats pourraient se présenter en face de lui: le ministre de la Justice, Michael Gove – qui a fortement soutenu le Brexit –, la ministre de l’Intérieur, Theresa May, le ministre du Travail et des Retraites, Stephen Crabb, et la ministre de l’Education, Nicky Morgan, tous trois favorables au maintien dans l’UE.

Jour d’indépendance pour le UKIP

Le Parti travailliste n’évitera pas non plus les orages. Les députés n’étaient quasi pas divisés sur la question du référendum, puisque seule une minorité d’entre eux n’a pas pris fait et cause pour le maintien dans l’UE. Le Labour a pourtant une nouvelle fois confirmé le décalage considérable entre ses élus de Westminster et son électorat, dont une forte proportion a voté en faveur du Brexit.

Très discuté au sein des parlementaires travaillistes, son leader, Jeremy Corbyn, est à la fois attaqué sur son manque de conviction en faveur de l’UE et pour avoir été désavoué par ses électeurs.

Il était pourtant l’auteur de la campagne la plus responsable de ce référendum, exprimant son rejet du libéralisme économique bruxellois et du lobby des multinationales tout en applaudissant le rôle positif de l’immigration. Une tactique sans doute trop honnête face aux arguments en noir et blanc de ses adversaires. Ces critiques ont du coup initié un vote de défiance à son égard. Ils espèrent sans doute que les membres du parti éliront à sa place un candidat plus centriste. Alors que la rumeur d’élections législatives anticipées pour la fin de l’année se propageait déjà vendredi.

Le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) pourrait tirer profit de ces tumultes des deux grands partis britanniques. Seul parti officiellement favorable à une sortie de l’UE, il a joué sur le message simplificateur de son leader, Nigel Farage. Malgré ses affiches de campagne xénophobes, celui-ci apparaît comme l’un des grands gagnants de cette campagne. «C’est une victoire pour les vrais gens, pour les gens décents, a-t-il lancé vendredi dès 4 h du matin. Nous nous sommes battus contre les multinationales, les banques, les grands partis politiques, les mensonges. L’aube se lève sur un jour historique: notre jour d’indépendance!» Après avoir attiré dans ses filets un nombre considérable d’électeurs travaillistes lors de l’élection législative de l’an dernier, le UKIP a donc répété sa prouesse. Mais le passage du rôle de contestataire à celui de vainqueur s’annonce déjà compliqué pour Nigel Farage: il a admis dès vendredi matin avoir menti sur l’un de ses principaux arguments de campagne.

(24 heures)