Lettre ouverte au Premier ministre : Bon sang ! Arrêtez de menacer et mettez-vous au travail !

Monsieur le Premier ministre,
A la suite des ministres qui sont placés sous votre autorité et qui ont défilé sur les plateaux de la Rts, sans convaincre, vous avez cru devoir monter au créneau pour vous prononcer sur les affaires des contrats pétroliers et gaziers qui empoisonnent votre gouvernance depuis que des gisements de ces ressources naturelles ont été découverts au Sénégal et que des lanceurs d’alertes ont informé les Sénégalais des tripatouillages faits à ce niveau par la famille du président de la République.En convoquant la presse pour faire une déclaration, et non une conférence de presse, vous vous êtes fixé un objectif clair : solder des comptes politiques. Et comme l’a si bien expliqué Malick Gackou, porte-parole du Front pour la défense du Sénégal-Mankoo wattu Séné—­­gaal : «Mouhammed Boun Abdallah Dionne & Co. ont tout fait sauf répondre aux questions essentielles qui les interpellent. Nous ne comprenons pas ce que fait la famille du Président dans la gestion des ressources naturelles.»

Il convient de rappeler ici que ce n’est pas la première fois que vous vous livrez à un tel exercice. En décembre 2014 déjà, après que le Président Abdoulaye Wade a eu à faire des révélations sur Petrotim et Arcelor-Mittal, vous aviez convoqué le corps diplomatique accrédité à Dakar pour descendre en flammes le prédécesseur de votre chef. Dans un one man show de triste mémoire, vous aviez dit ce jour-là qu’il fallait «arrêter la rigolade». Mon œil ! Plus rigolo que vous, tu meurs ! En effet, comment pouvez-vous déclarer dans vos élucubrations puériles que «Wade est mon père, j’ai beaucoup de respect pour lui», pour ensuite, dans la foulée, le traiter publiquement de menteur ? Mais le plus rageant dans ce grand ratage de fin d’année 2014, c’est que vous avez ameuté toute la planète, avec l’attelage gouvernemental au grand complet, pour finalement esquiver les vraies questions, à travers des numéros d’acrobaties dignes d’un funambule.
Quant aux menaces (déjà) que vous aviez proférées à l’époque contre le Président Abdoulaye Wade, on attend toujours qu’elles soient mises à exécution.

En rameutant donc la presse et le corps diplomatique, vous n’aviez fait que singer votre mentor, Macky Sall qui, le 26 juillet 2005, alors… Premier ministre, avait convoqué le corps diplomatique accrédité à Dakar, à l’hôtel Méridien Président (actuel King Fahd Palace), pour mettre en accusation son prédécesseur Idrissa Seck, relativement à l’affaire des chantiers de Thiès, en violation flagrante du principe de la présomption d’innocence.

Deux ans après que vous nous avez présentés votre numéro, bis-repetita. Le samedi 17 septembre 2016, vous avez convoqué de nouveau le même genre de public pour faire votre cinéma et vous répandre en menaces contre les diffuseurs de «fausses nouvelles». Là-dessus, vous avez fait chou blanc, car l’intimidation ne passera pas. Les internautes ne s’y sont pas trompés d’ailleurs, car ils ont posté des commentaires qui disent tous la même chose : «Même pas peur !». Ce rendez-vous avec la presse s’est donc soldé par un bide total. Echec et mat ! Même la mise en place du présidium a été d’une nullité effarante. Sinon, quelle gaffe que d’avoir la pauvre idée de placer aux côtés du Premier ministre un Abdoulatif Coulibaly dont l’image ne passe plus dans l’opinion ! Tous les germes d’un fiasco annoncé et qui a effectivement eu lieu. D’aucuns disent que vous avez tutoyé ce jour-là le niveau zéro de la communication ou que vous avez même été pire que votre propre caricature.
Certes, on peut bien comprendre qu’un Premier ministre joue pleinement son rôle de fusible pour le président de la République, soit prêt à aller au charbon pour protéger le chef de l’Etat et lui servir de bouclier. Sauf que vous n’avez pas la carapace aussi solide pour que les banderilles envoyées à votre patron puissent y ricocher sans grand dommage. Vous n’en avez pas l’étoffe.

De fait,beaucoup de Sénégalais s’accordent à dire que vous êtes le Premier ministre le plus nul de toute l’histoire du Sénégal. Même Mimi Touré a fait mieux que vous. Alors que le Sénégal bruit de scandales à nuls autres pareils, vous restez en état d’hibernation prolongée. Normal, vous êtes le Premier ministre d’un… lion qui dort. Quand vous sortez de votre torpeur, c’est pour menacer et intimider au lieu de travailler comme vous y aviez invité les Sénégalais dans la foulée de votre arrivée à la Primature, le 6 juillet 2014, avec votre fameux mot d’ordre («Au travail»). Seulement, comme l’a si bien fait remarquer Ousmane Sonko : «La menace d’Etat est l’apanage des faibles à court d’argument». Aujourd’hui, le Sénégal est confronté à d’énormes problèmes dont nous n’en citerons que les plus récents : l’écoulement de carburant toxique, les inondations dont le point d’orgue se trouve dans la ville de Touba littéralement sous les eaux, la dizaine de milliards que votre gouvernement a privés le Trésor public au profit de la Sonatel, la mainmise de la famille présidentielle sur les ressources pétrolières et gazières du pays, et la mutinerie de Rebeuss avec son bilan très lourd.

Pourtant, pour ce dernier évènement malheureux, tout le monde avait vu venir sauf votre gouvernement qui s’est complu dans un ponce-pilatisme inexplicable, mais auquel les Sénégalais sont maintenant habitués. La responsabilité du garde des Sceaux, ministre de la Justice, Sidiki Kaba, est largement engagée. Vous devez proposer son limogeage par le chef de l’Etat, s’il ne veut pas rendre sa démission. Son incompétence est avérée, ajoutée à son manque d’humanisme. Voilà quelqu’un qui se réjouit publiquement du malheur d’autrui. Tout le monde l’a entendu exprimer sa béatitude devant les journalistes après l’annonce par la Cour suprême de la condamnation et de la saisie des biens de l’ex-sénatrice libérale Aïda Ndiongue. Quel sinistre personnage !

Au lieu de vous atteler à apporter des solutions à ces problèmes évoqués plus haut, et à tant d’autres qu’il serait fastidieux d’énumérer ici, vous marchez sur les plates-bandes du procureur de la République, seul habilité à s’autosaisir de cas de «diffusion de fausses nouvelles» et d’engager des poursuites. Pourtant, les lanceurs d’alertes qui empêchent les tenants de votre régime de dormir n’ont fait que se mettre en conformité avec la nouvelle Constitution votée lors du référendum du 20 mars dernier qui stipule que «l’exploitation et la gestion des ressources naturelles doivent se faire dans la transparence (…)» et que «tout citoyen a le devoir de défendre la patrie contre toute agression et de contribuer à la lutte contre la corruption et la concussion». Mais votre credo c’est : «Silence, on prévarique !»

Pour un ancien directeur de Cabinet de Macky Sall, Premier ministre ou président de l’Assemblée nationale, vous qui vous plaisiez à dire que «Dc veut dire «Dèl seey«» (Dc veut dire «Efface-toi«), vous avez raté une belle occasion de vous taire et donc de vous effacer de la scène, plutôt que de faire cette sortie désastreuse.
Monsieur le Premier ministre,

Le problème avec le gouvernement que vous dirigez, c’est qu’il est fâché avec la vérité et excelle dans le mensonge d’Etat, mais cette fois-ci le Peuple sénégalais vous attend au tournant. Plus rien ne vous sera toléré dorénavant. Les limites du stoïcisme des Sénégalais sont atteintes. Incapable de respecter les engagements faits devant le Peuple sénégalais, le régime dit de la seconde alternance essaie de faire dans la diversion et s’illustre plus dans les dérives monarchiques et le recul démocratique que dans les réponses à apporter aux interpellations légitimes du Peuple.

Les Sénégalais attendent du chef du gouvernement qu’il veille à l’exécution d’une politique pour l’amélioration des conditions des Sénégalais et non qu’il se fasse l’avocat du diable…, pardon, l’avocat d’un Aliou Sall qui, quoique frère du chef de l’Etat, n’en demeure pas moins un simple citoyen qui, plus est, ne peut pas revendiquer le statut de membre du gouvernement. Vous avez beau protéger Aliou Sall, c’est peine perdue. Tôt ou tard, il sera attrait devant la justice de son pays. Certainement après que son frère de président de la République quittera le pouvoir. Mais «le président de l’Etat décentralisé» répondra de ses actes, sans cruauté inutile ni faiblesse coupable.
Pour votre part, c’est comme si vous n’avez pas grand-chose à faire sinon que de jouer à faire peur au moment où tout est urgence dans ce pays. Le cas échéant, vous n’avez qu’à rendre le tablier. D’ailleurs, le poste de Premier ministre n’est pas une nécessité absolue au Sénégal. Cette fonction que d’aucuns ont considérée comme tout à fait inutile dans un régime de type présidentiel n’est pas incontournable. En effet, dans l’histoire politique du Sénégal, ce poste a été supprimé à deux reprises par le régime du Parti socialiste. Une première fois, par le Président Léopold Sédar Senghor, de 1962 à 1970, suite au conflit né du bicéphalisme au sommet de l’Etat qui avait culminé avec ce qu’il était convenu d’appeler «les évènements du 17 décembre 1962» l’ayant opposé à Mamadou Dia, alors tout-puissant président du Conseil du gouvernement (équivalent de Premier ministre). La deuxième fois, c’était avec le Président Abdou Diouf entre 1983 et 1991. A noter que pendant ces deux intermèdes, on n’a jamais senti une seule fois l’absence d’un Premier ministre dans le fonctionnement normal de l’Etat. Déduction logique et qui coule de source : Le Sénégal peut bien se passer d’un Premier ministre. Royalement même.

A vous donc de prouver l’utilité de votre fonction dans l’architecture institutionnelle de la République, faute de quoi la station primatoriale sera logée à la même enseigne que tous les autres bidules et sinécures qui encombrent aujourd’hui l’ossature étatique, grèvent gravement le budget national et ne servent finalement que les veinards qui sont nommés pour les diriger.
Au travail !

Pape SAMB – papeaasamb@gmail.com

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