Tambacounda : trois ans de prison ferme contre un garde pénitentiaire pour homicide involontaire

Le garde pénitentiaire Salif Diouf de la maison d’arrêt de Kédougou, reconnu coupable d’homicide involontaire sur le fugitif Mamadou Doudou Diallo, a été condamné mercredi à trois ans de prison ferme par la chambre criminelle du Tribunal de grande instance de Tambacounda. L’accusé devra aussi payer plus d’un million de francs CFA à titre d’amende et de dommages et intérêts. Le garde pénitentiaire Salif Diouf qui venait de reprendre service, après son congé, a été envoyé le 27 septembre 2014 avec son collègue Adama Diakham dans une opération de capture d’un fugitif, dans le village de Sinthiou Rougui à 5 km de Kédougou.

Suite à un renseignement obtenu par le régisseur de la prison, de la part de villageois sur la présence du prisonnier évadé Mamadou Doudou Diallo, Salif, en compagnie d’Adama, un agent qui fraîchement affecté à la maison d’arrêt de Kédougou, partirent à moto, à Sinthiou Rougui.

Arrivés sur les lieux, ils se rendirent au terrain de football du village, sur la base d’une information selon laquelle la personne recherchée était en train d’arbitrer un match. Selon leur modus operandi, Salif qui était connu du fugitif, qui avait séjourné à deux reprises à la maison d’arrêt, devait se cacher dans un buisson non loin de l’aire de jeu, tandis que le nouvel agent non encore identifiable, sur la touche opposée, en attendant le moment opportun.

Quand Mamadou Diallo s’approcha de sa cachette, Salif en sortit brusquement pour se diriger vers lui. Le reconnaissant, Mamadou prit la fuite. Après deux coups de sommation tirés, durant leur course poursuite qui s’est terminée dans la forêt environnante, un troisième coup l’atteint sur le côté droit de la nuque. Devant la barre, l’accusé a raconté qu’arrivé à hauteur d’une flaque d’eau, le fugitif, plus élancé que lui, avait pu l’enjamber, et lui, en tentant d’en faire autant, avait glissé pour tomber dans la boue. Il a ajouté que le choc de son coude de la même main droite tenant son pistolet automatique, avait déclenché le coup fatal.

A quelques exceptions près, la version de son collègue témoin Adama Diakham était identique. Sauf qu’Adama a précisé ne pas pouvoir en dire plus puisqu’il n’avait pas encore rejoint les deux hommes quand partit le troisième tir.

A la différence de Salif Diouf qui a soutenu qu’il suffit d’appuyer une seule fois sur la gâchette d’un pistolet automatique pour que plusieurs balles en sortent, son collègue a relevé que ce type d’arme n’a besoin d’être armé qu’une seule fois, mais pour chaque tir, il faut appuyer sur la gâchette.

Cette précision a été bien accueillie par l’avocat général Demba Traoré qui avait regretté l’absence d’un expert en balistique pour éclairer la lanterne de la chambre criminelle sur la trajectoire supposée de cette balle qui, tirée à partir du sol par quelqu’un qui tombait, a pu atteindre précisément la partie droite de la nuque d’un homme situé à moins de 100 mètres. Pour lui, cette version des faits est ‘’inconcevable et indigeste’’.

Le représentant du ministère public a aussi déploré la “mauvaise foi” de l’accusé qui, profitant, d’après lui, du fait que les membres de la chambre ne sont ‘’pas des initiés’’ en maniement des armes, a essayé de leur faire croire que le seul fait de tomber peut déclencher le tir d’un pistolet automatique quand il est armé. Cette attitude de l’accusé, a-t-il ajouté, l’amène à ne plus croire aucune de ses déclarations. “Je suis plus fondé à asseoir la thèse de l’homicide volontaire”, de la part du garde pénitentiaire qui voulait ‘’coûte que coûte’’ mettre la main sur le fugitif. Il a précisé que même si les règles de leur profession autorisent aux gardiens de prison de faire usage de leur arme, elles leur fixent des conditions bien précises, comme l’a expliqué Salif Diouf lui-même.

L’agent poursuivant un fugitif doit tirer trois coups de sommation, le poursuivre et s’il ne peut le rattraper, de l’immobiliser en lui tirant sur les jambes, avait-il expliqué. Au vu de ces éléments, l’avocat général a demandé à la chambre de choisir le minimum de la peine sur la fourchette de 10 à 20 ans et au besoin de descendre jusqu’à cinq ans.

Pour l’avocat défenseur Me Malick Diouf, même si la victime et l’accusé étaient “seuls avec le Bon Dieu” sur les lieux au moment du tir fatidique, sa version est bel et bien plausible. “Quand on tombe sur son côté droit, le coude le premier, alors qu’on tenait dans cette même main droite un pistolet, le canon de l’arme à feu est pointé vers le haut, et le choc causé par la chute peut amener le doigt à appuyer sur la gâchette”, a-t-il fait valoir.

Pour lui son client a plutôt fait preuve d’ “inattention, (d’imprudence et (de) maladresse”, puisqu’il aurait pu s’entourer de toutes les précautions pour éviter que cela n’arrive. Il a demandé à la chambre, en l’absence de l’élément intentionnel pour établir le meurtre, de requalifier le chef d’accusation en coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Il a mis en exergue le fait que son collègue l’avait trouvé en pleines lamentations, juste après le drame, et du fait qu’il connaissait le défunt et sa famille qu’il a eu à fréquenter.

La défense a, en outre invité la juridiction à déclarer irrecevable le million de francs de dommages et intérêts réclamé par la partie civile, en l’absence de pièces d’état civil attestant que les personnes qui se sont présentées devant la barre représentaient effectivement les héritiers de la victime.

La défense a aussi souhaité une “application bienveillante” de la loi à l’endroit de l’accusé qui a fait preuve de “conduite exemplaire” et de ‘’dévouement’’ dans la prison où il servait comme celle où il est en détention.

Après en avoir délibéré, la chambre a condamné Salif Diouf à trois ans ferme, dont deux déjà purgés, et à payer une amende de 100.000, ainsi que plus d’un million de francs CFA de dommages et intérêts.

ADI/ASB / APS /