Vous n’osez pas fermer la 2Stv par Madiambal Diagne

 

Quelle responsabilité le gouvernement du Sénégal peut-il avoir dans la diffusion de propos hostiles à un gouvernement étranger, tenus par des citoyens lambda et à travers une chaîne de télévision, de surcroît privée ? Aucune ! Dans une telle situation et devant des protestations officielles d’un gouvernement étranger effarouché, l’attitude qui sied est d’user des voies de droit pour mettre en œuvre les procédures légales pour sanctionner les dérives. Mais le gouvernement du Sénégal, devant les hurlements de colère du Président Mohamed Ould Abdel Aziz de la Mauritanie, n’a rien trouvé de mieux à faire que de servir une mise en demeure à la chaîne de télévision de El Hadj Ndiaye, la menaçant de fermeture. La démarche procède d’une vulgaire gesticulation ou même de la fanfaronnade. Le Sénégal n’est plus un pays où on s’aventurerait à fermer des télévisions. Combien de fois une telle menace a été brandie contre les chaînes Walfadjri ou Sen Tv ? Jamais la menace ne saurait être mise à exécution. C’est dire qu’en menaçant la 2Stv de fermeture, le gouvernement se couvre de ridicule, d’autant qu’il n’a même pas suivi les procédures régulières pour en arriver à une sanction aussi extrême. Le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra) a été, une fois de plus, royalement ignoré par le gouvernement dans son élan de faire taire la 2Stv. Pourtant, l’ambassadeur de Mauritanie à Dakar a, lui, pris la précaution de saisir le Cnra. En agissant de la sorte, à savoir snober le Cnra, le gouvernement rend précaire l’autorité de cet organe de régulation qui pourtant est dirigé par un certain Babacar Touré, celui que j’appelle «le meilleur de nous tous», même si cette appellation ne plairait pas à tout le monde.

La panique, un mauvais réflexe pour un gouvernement
Encore une fois, le gouvernement du Sénégal cède à la panique, née de la colère d’un chef d’Etat étranger et verse dans une émotivité coupable. Dans de telles situations, nul ne cherche à calmer le jeu, à réfléchir sur la meilleure façon de gérer une situation délicate, mais tout le monde voudrait se montrer plus fâché que le chef. En Conseil des ministres, aucune voix ne se lève pour tempérer, pour dire comment arriver à calmer la Mauritanie tout en évitant de verser dans des excès coupables. Le chef est en colère et chacun voudrait lui donner des gages de fidélité et d’engagement. Il faudra alors réagir en lui proposant sur un plateau la tête de l’impertinent. Ce n’est pas une bonne façon d’aider un chef. Bien au contraire ! En langage militaire, on indique que «le cheval de cavalerie doit être aussi intelligent que son cavalier…». C’est en quelque sorte une traduction, en matière de droit administratif, de la théorie de la «caquette intelligente» qui voudrait que les ordres doivent être appliqués avec clairvoyance et discernement. Et puis, on a vu comment ont fini les serviteurs les plus zélés du régime de Abdoulaye Wade, quand ce dernier avait basculé dans la répression et l’autocratie. Les Ousmane Ngom et les Serigne Mbacké Ndiaye par exemple font partie des premiers à tourner le dos à Abdoulaye Wade après la perte du pouvoir.
Quelle est l’idée pour le régime de Macky Sall de se mettre à dos la 2Stv dans un contexte d’année électorale ? Il faudrait vraiment chercher à se tirer une balle dans le pied que de s’aliéner la 2Stv dans un tel contexte où le régime de Macky Sall est en conflit ouvert avec les groupes de médias Walfadjri et D-Média, encore que les faveurs du Groupe de médias de Youssou Ndour pourraient être sujettes à caution.
Les autorités sénégalaises ont voulu croire que c’est l’émission «Grand rendez-vous» de la 2Stv, du 20 janvier 2017, qui avait poussé les garde-côtes mauritaniens à tirer sur des pêcheurs sénégalais. Cela frise la naïveté, comme si en 1989, les garde-frontières mauritaniens avaient tiré à Doundé Khoré sur des agriculteurs et éleveurs sénégalais, en réaction à une émission de radio ou de télévision. On peut s’étrangler que le gouvernement du Sénégal n’envisage même pas l’hypothèse que les tirs essuyés par les pêcheurs de Guet-Ndar traduiraient le courroux du régime mauritanien quant à la façon dont la crise gambienne a été dénouée.
Il s’y ajoute que certains matamores devraient se regarder dans une glace. En effet, ils se faisaient financer la création de leur journal par le Président Abdoulaye Wade, quand par exemple un certain El Hadji Ndiaye ouvrait les studios de la 2Stv à l’opposant Macky Sall un soir du 31 décembre 2011, pendant plus de 2 tours d’horloge, avec le journaliste Papa Alé Niang sur le plateau. Ce fut la meilleure tribune jamais offerte à l’opposant Macky Sall. Il est heureux que la colère passée, le Président Macky Sall, dès le lendemain de la réunion du Conseil des ministres de la colère, se soit souvenu de la qualité de ses relations avec El Hadji Ndiaye pour lui rendre un hommage bien mérité le jeudi 2 février 2017, à l’occasion de la Rentrée citoyenne organisée par la jeune et dynamique patronne d’Intelligences Magazine, Amy Sarr Fall. Mine de rien, les responsables des médias peuvent avoir tous les défauts et être voués aux gémonies, mais ils ne manquent pas de mérites. La plupart d’entre eux sont partis de rien et arrivés à se faire respecter par leurs belles réalisations. Comment peut-on envisager un seul instant de compromettre tout le patrimoine bâti laborieusement par El Hadji Ndiaye à la sueur de son front, simplement à cause de peccadilles ou de turpitudes d’un de ses employés ? L’animateur de l’émission en cause a sans doute dérapé, en suggérant manifestement aux militants anti esclavagistes de recourir à la lutte armée, mais il n’a point tort de qualifier la Mauritanie d’Etat esclavagiste. L’organisation des Nations unies continue de considérer la Mauritanie comme le dernier pays esclavagiste au monde.

Un nouveau paradigme diplomatique
Devrait-on fermer la 2Stv pour les beaux yeux de Mohamed Ould Abdel Aziz ? Le chef de l’Etat mauritanien s’emploie régulièrement à déstabiliser le Sénégal et à saper ses intérêts. Mais le Sénégal veut se montrer frileux à l’égard des gouvernements étrangers. Le Président Macky Sall continue de s’interdire de recevoir des opposants mauritaniens, guinéens, gambiens ou burkinabè, du temps de Yahya Jammeh ou de Blaise Compaoré. Pourtant, ce serait un moyen pour lui de mieux cerner les évolutions politiques dans ces pays et même de pouvoir intervenir pour aider à faire la paix dans ces pays. A l’opposé, la Mauritanie ne se prive pas d’aider les opposants et les adversaires du Sénégal. Il est de notoriété publique que certains fonds pour financer des campagnes électorales de l’opposition au Sénégal sont passés par la Mauritanie, précisément à la Banque nationale de Mauritanie. C’est la même Mauritanie de Mohamed Ould Abdel Aziz qui envoyait des navires pour approvisionner le régime de Yahya Jammeh, l’année dernière, au moment du blocus des frontières entre la Gambie et le Sénégal. Le régime du Président Macky Sall s’impose une consigne de ne permettre à aucun opposant étranger de séjourner tranquillement au Sénégal. C’est dans cet esprit qu’il ferme les écoles turques proches du Mouvement Gülen, à la demande de l’autocrate Recep Tayyip Erdogan. C’est au nom de ce principe fort contestable qu’en 2013, l’opposant, journaliste-blogueur tchadien Makayla Nguebla avait été expulsé du Sénégal vers la Guinée, à la demande du régime de Idriss Deby Itno. Quelques semaines auparavant, l’opposant gambien Kukoy Samba Sanyang avait été expulsé vers le Mali. Il était incompréhensible que le Sénégal offre ainsi et à son propre détriment le statut de havre de démocratie et de liberté d’expression à des pays comme la Guinée et le Mali. Le président Abdou Diouf avait beaucoup regretté d’avoir expulsé, le 1er novembre 1993, l’opposant gabonais Pierre Mamboundou. A ce propos, j’avais publié une tribune dans le journal Walfadjri intitulée : «Expulsion de Pierre Mamboundou, un rôle peu honorable pour le Sénégal».
L’attitude du régime de Macky Sall constitue une aliénation de la personnalité diplomatique du Sénégal. Notre pays s’est toujours illustré comme un refuge pour des opposants victimes de violation de leurs droits et de pratiques aux antipodes de la démocratie. Le Sénégal jouit de cette belle tradition d’hospitalité pour des opposants persécutés. Léopold Sédar Senghor s’était illustré notamment, en abritant des Haïtiens pourchassés par le régime des Duvalier. Abdou Diouf a aidé les militants anti-apartheid d’Afrique du Sud, jusqu’à affréter un avion spécial pour un voyage express de Nelson Mandela à Dakar, et le Président Diouf avait participé à financer la première campagne électorale de Nelson Mandela et de l’Anc. Abdou Diouf avait affrété des avions pour tirer l’actuel Président guinéen, Alpha Condé, des griffes du général Lansana Conté. Le Président Abdoulaye Wade avait abrité les opposants ivoiriens au régime de Laurent Gbagbo et cela lui avait permis de mieux peser sur le cours de l’histoire en Côte d’Ivoire. Cette attitude donnait les coudées franches au Sénégal pour impulser une dynamique de paix dans ces pays. Mais en choisissant le paradigme d’une diplomatie qui évite soigneusement de s’impliquer dans le jeu politique des autres pays, le Sénégal se prive de toutes possibilités de jouer les grands rôles. Et puis, cette passivité nous rattrape, car on a bien vu comment la Mauritanie, la Gambie de Yahya Jammeh, le Tchad ou la Guinée nous ont payé en retour. Nous avons bien vu comment la fermeté, finalement adoptée vis-à-vis de Yahya Jammeh, a fini par payer. Le régime de Mohamed Ould Abdel Aziz est en difficulté. Le mandat du chef de l’Etat mauritanien est en passe d’arriver à expiration et il n’a aucune possibilité légale de rempiler, et la situation politique, économique et sociale en Mauritanie est des plus périlleuses sinon catastrophiques. Le Sénégal n’a aucune raison d’aider Mohamed Abdel Aziz à se sauver.

Madiambal Diagne

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