Kédougou : Les véritables raisons d’une furie destructrice

 

Une altercation et les douaniers tirent sur un jeune orpailleur du nom de Yamadou Sagna. Les faits se sont déroulés le 13 février dernier à Khossanta, une localité de la région de Kédougou. Le jeune homme, atteint mortellement, s’est vidé de son sang avant de passer de vie à trépas.

Très en colère, les populations se sont révoltées et ont incendié les brigades de la gendarmerie et de la Douane de Kédougou, poussant le porte-parole du gouvernement, Seydou Guèye, à sortir un communiqué pour annoncer l’arrestation des deux douaniers mis en cause et l’ouverture, par le Procureur, d’une instruction judiciaire. Le ministre de l’Intérieur, Abdoulaye Daouda Diallo, s’est, ensuite, rendu sur les lieux pour tempérer les ardeurs des populations, annonçant que justice sera rendue. Mais ce genre de promesses, les Kédovins ont l’habitude de l’entendre.

Un remake de 2009

Ces évènements de février 2017 ressemblent à tout point de vue à d’autres survenus en 2009. Le 23 décembre 2009, en effet, une manifestation d’étudiants originaires de Kédougou pour réclamer une meilleure distribution des ressources aurifères avait dégénéré et avait coûté la vie à Mamadou Sina Sidibé, abattu par les forces de sécurité sénégalaises. Les populations s’étaient révoltées, incendiant le tribunal, la gendarmerie, la police, le service des douanes, la mairie… Le gouverneur de la région et sa famille allaient y passer si le Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (Gign), dépêchée sur les lieux, n’était pas arrivé à temps pour faire revenir le calme, de manière énergique… Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Cheikh Tidiane Sy, s’était rendu sur les lieux, une enquête avait été ouverte et puis rien….

Des promesses non tenues

En 2009, les étudiants de la localité avaient tenu une assemblée générale pour, disaient-ils, éveiller la conscience des populations de Kédougou par rapport à leurs conditions et aux promesses qui leur ont été faites. Des promesses non tenues. “Parce que tout ce qu’on nous avait dit par rapport à l’octroi d’emplois est faux. Au début, cette manifestation n’avait aucune coloration violente. Les étudiants voulaient tout simplement marcher pacifiquement, aller présenter au gouverneur leurs doléances. Mais les forces de l’ordre les ont empêchés de le faire. C’est pourquoi, le 23 décembre 2009, ils ont remis ça. Les forces de l’ordre sont encore intervenues et n’ont même pas cherché à comprendre. Ils se sont mis à décharger leurs balles sur les manifestants tuant ainsi le jeune Sina Sidibé. Des lors, les gens n’ont pas pu s’empêcher de laisser exploser leur colère. S’il n’y avait pas mort d’homme, les dégâts ne seraient pas aussi importants”, se rappelle un étudiant qui avait pris part aux manifestations.

Trop de frustrations accumulées

Selon nombre de Kédovins, si ce genre de problème est récurrent à Kédougou, c’est parce que les autorités n’ont pas pris à bras le corps les préoccupations des populations de la localité. “C’est un raz-le-bol général. Le moindre problème peut dégénérer tellement les populations ruminent leur colère. Kédougou a toujours été traité en parent pauvre. On n’a jamais eu de culture de tracts ici. Les seuls tracts qu’on faisait, c’était pour annoncer des soirées dansantes. Mais depuis quelques temps, on voit des affiches qui dénoncent la façon de gérer la localité par les représentants de l’administration. Depuis lors, les autorités devaient se demander pourquoi une ville qui n’a jamais eu de culture de tracts en est arrivée à faire des affiches très virulentes. C’est à partir de ce moment que les autorités devaient prendre conscience et chercher où se situe le problème. Pis, à chaque fois que les gens déposent des mémorandums, ça n’arrive pas à qui de droit. Les populations se sont rendu alors compte qu’on ne les respectait pas. Et lorsqu’on en arrive, non pas à apporter des solutions aux doléances des populations, mais à les tuer, plus rien ne peut retenir les populations. C’est une question de dignité”, pestent certaines populations de la localité interrogées par Seneweb.

Sabodola, la poudrière

La façon de gérer les emplois dans les zones aurifères a grandement contribué à accentuer la colère des populations. Surtout à Sabodala.

Sabodala est un village malinké situé à 123 Km à l’Est de Kédougou. Le sous-sol recèle d’importantes ressources de minerais, notamment l’or. L’Etat du Sénégal, n’ayant pas les moyens nécessaires de l’exploiter, a cédé à des multinationales des titres miniers. Mineral deposits limited (Mdl), une société australienne et Oromin sont les plus en vue sur le site de Sabodala. D’autres sociétés disposent de licences d’exploitation d’or dans la zone.

Mdl, titulaire d’un titre minier d’exploitation, dispose d’un périmètre de plus de 20 Km2 alors que la multinationale canadienne Oromin est détentrice d’un permis de recherche sur une superficie de 230 Km2. La présence de ces multinationales à Sabodala avait suscité un grand engouement chez les populations, particulièrement les jeunes, qui espéraient finalement trouver de l’emploi. Rien que Mdl devait créer 650 emplois directs dont les 600 réservés aux Sénégalais. Mais les populations se sont rendu compte de jour en jour que toutes les promesses qui leur ont été faites par les autorités n’étaient en fait que des leurres. Aujourd’hui, Sabodala et tous les villages environnants ont plus que perdu avec l’arrivée de ces multinationales qui étaient perçues comme des messies au départ. Ici, les sentiments les mieux partagés sont la déception et l’amertume.

“Des gens viennent des autres régions comme embauchés alors qu’ici les jeunes travaillent pendant une semaine pour 15.000 francs. Nous savons que le Sénégalais, partout où il est, a droit à un emploi. Nous n’avons pas dit que les jeunes des autres régions n’ont pas le droit de travailler ici. Nous ne sommes pas régionalistes, mais nous disons que les jeunes de Kédougou ne doivent pas être traités en parent pauvre. Mais ici à Sobodola et dans toutes les zones aurifères, on prend un jeune d’une autre région du Sénégal qui fait le même travail qu’un jeune de Kédougou. On loge et nourri le jeune venu d’ailleurs et celui qui vient de Kédougou on lui demande de se débrouiller pour aller trouver dans le village un logement qu’il paie à ses frais. C’est une discrimination inadmissible. Kédougou ne doit pas être traité comme un terroir pauvre”, explique un habitant de la localité. Un autre de poursuivre : “Le Sénégal n’a pas encore exploité son pétrole découvert récemment. Ses seules richesses actuelles sont des mines qui ne se trouvent qu’à Kédougou. Le Sénégal ne compte que sur l’or de Sabodola et le marbre d’Ibel, la 2e qualité mondiale de marbre. Mais il se trouve que l’exploitation de ces richesses n’est pas profitable aux populations”, pestent nos interlocuteurs.

Moyens de subsistance des populations perdus

Ce qui fait le plus mal, c’est que les populations qui se trouvent dans le périmètre minier ont presque tous perdu leurs champs, confisqués qu’ils sont par les sociétés minières. Selon certaines d’entre elles rencontrées par Seneweb, une grande partie de leur bétail a été décimée par les opérations minières surtout avec la dynamite utilisée lors des minages.

Pour compenser toutes ces pertes, il leur avait été promis de recruter des jeunes dans chaque famille. Mais depuis, ils courent derrière ces emplois. Ceux qui sont dans les sociétés y travaillent par rotation, nous dit un jeune. «Un journalier a droit à 6 jours dans la semaine à raison de 2500 francs par jour. Après, on peut rester deux à trois mois avant d’intégrer à nouveau une équipe. Pendant ce temps, d’autres privilégiés travaillent de manière continue grâce à des bras longs», fulmine-t-il.

Bombe à retardement

Nos interlocuteurs ajoutent que les populations de Kédougou en ont mare d’être bernées. Ils se plaisent à rappeler l’octroi de 80.000 ha de terres à un espagnol du nom de Raoul Barosso. “Ce qui fait le plus mal dans cette affaire, c’est la manière dont les populations ont été bernées. Dans un premier temps, on leur a fait savoir que c’est Raoul, le joueur espagnol, qui venait dans le coin pour faire des œuvres humanitaires, construire des dispensaires, des espaces de jeu pour les populations. Mais de fil en aiguille, les gens se sont rendu compte qu’il ne s’agit pas de Raoul le joueur, mais d’un certain Raoul Barosso Gonzalo qui représente une société anonyme Lanca investissement à qui il a été octroyé 80.000 hectares dans les communautés rurales de Tomboronkoto, Bandafassi et Saraya. L’espagnol compte ériger sur le site un parc animalier, construire un aéroport, des hôtels 5 étoiles…, le tout entouré de grillages avec des pylônes de surveillances et des caméras de surveillance.… Il est aussi prévu l’octroi de 50 millions aux communautés rurales pour un appui budgétaire annuel pendant 5 à 10 ans. Ce qui pose énormément de problèmes de sécurité alimentaire aux populations. Ces populations y vivent s’adonnent à l’exploitation traditionnelle d’or et y tirent tous les moyens de leur subsistance. Si on le leur ôte sans qu’elles ne trouvent du travail comment vont-elles vivre ?”, se demande-t-on.

Pis, alors que ces 80.000 ha sont octroyés à cet espagnol, les populations courent derrière des lotissements à Kédougou., déplore-t-on. Il y a des gens de 45 ans, mariés, qui logent dans la maison de leurs pères, qui vivent là-bas avec leurs épouses et leurs enfants dans une même case. Ils ont déposé énormément de demandes de Parcelles à la mairie, sans suite.

Voilà autant de colère que les gens ont gardé jusqu’ici et qu’ils ont fini par laisser exploser. Et lorsqu’on veuille ôter à ces populations le peu de moyen de subsistances qu’elles ont, bonjour les dégâts. D’où les incessants heurts dans la région de Kédougou…

 

Seneweb