Ousmane Dia “Le Sénégal m’a forgé, mais ce que je suis, c’est aussi la Suisse qui me l’a donné”

 

L’exposition Oùlà de la Nef traite de l’immigration à travers le regard de quatre artistes d’origines diverses vivant en Suisse. Ousmane Dia, sculpteur sénégalais vivant à Genève, est l’un d’eux. Cet artiste revient sur son intégration en Suisse et sur l’impact de ses origines dans ses sculptures.

Propos recueillis par MARIE BOILLAT / Le Quotidien Jurassien

Le Quotidien Jurassien: – Comment êtes-vous arrivé en Suisse?

Ousmane Dia: – J’ai grandi et fait mes écoles dans la région de Tambacounda, au Sud-Est du Sénégal. Elle est l’une des plus vastes et des plus pauvres économique- ment. Ayant des frontières directes avec la Gambie, la Gui- née, le Mali et la Mauritanie, il y a un brassage culturel fort.

J’aimais reproduire les œuvres de mon oncle Jakob Yakouba, un artiste de renommée internationale. Quand je lui ai montré, il m’a invité à faire le concours d’entrée pour l’École Nationale des Beaux- arts de Dakar où j’ai été admis d’office. Je voulais ensuite faire un diplôme post-grade. J’ai envoyé mon dossier dans plu- sieurs écoles, en Suisse, en France et en Hollande. J’ai finalement choisi la Suisse sur les conseils de mon oncle.

Quelles ont été vos premières impressions?

Lorsque je suis arrivé en Suisse, il y a 20 ans, j’ai atterri à Sierre, à l’École cantonale d’Arts du Valais. C’était assez difficile de s’intégrer. Mais je me suis rendu compte que c’était à moi de faire des efforts. Quand j’ai expliqué qui j’étais, pourquoi j’étais là, les portes m’ont été plus facile- ment ouvertes.

J’ai aussi été marqué par la neige et le froid. Maintenant j’en garde un bon souvenir. J’ai des amis en Valais et j’ai même tendance à parler de ma Sierre natale. Après une année, j’ai intégré l’École Supérieure des Arts Visuels de Genève et m’y suis installé.

Comment s’est passée votre intégration?

Assez rapidement, je crois. De nature très ouverte, j’allais vers les gens, j’échangeais, je me suis fait des amis, j’ai créé une association pour l’échange artistique entre la Suisse et le Sénégal, me permettant de garder un contact avec mon pays d’origine et de rencontrer des personnes, facilitant mon intégration. J’ai compris avec le temps que les Suisses sont très ouverts, mais c’est un peuple qui prend son temps. Pour l’intégration aussi.

Qu’est-ce qui vous a manqué à votre arrivée en Suisse?

Le mode de vie est totale- ment différent. Les gens sont très sociables au Sénégal. Nous ne restons pratiquement jamais seuls. Cette différence a contribué à ce que je fasse des efforts pour m’intégrer. De grandes différences au niveau de la nourriture et de la température aussi. Tambacouda est la région du soleil, de la chaleur, le thermomètre y monte jusqu’à 45 degrés. Ça m’a beaucoup manqué.

– Vous sentez-vous davantage suisse ou sénégalais?

J’habite à Genève actuellement. Je retourne régulière- ment au Sénégal, une à deux fois par année. Cela me per- met de garder un lien fort avec mon pays d’origine.

J’aurais un énorme problème de choix entre la Suisse et le Sénégal. Je me suis battu pour m’intégrer en Suisse. Je suis naturalisé depuis 2006, j’ai épousé les valeurs suisses. Mais le Sénégal est mon pays d’origine. C’est lui qui a forgé mes premiers pas. Ce que je suis aujourd’hui c’est aussi la Suisse qui me l’a donné. Ce sont mes deux pays.

C’est la raison pour laquelle j’essaie régulièrement de faire le pont entre les deux, les faire découvrir et retirer le positif de chacun. Je suis en recherche permanente d’équilibre pour être suisse et sénégalais.

Comment vos œuvres sont influencées par cette mixité?

J’ai un travail qui est très politique et je travaille beau- coup en fonction de l’actualité. Sur le plan politique, le Séné- gal est cité en exemple pour sa dimension démocratique. Et la Suisse est un des pays les plus démocratiques. Quand on vit dans un pays où la démocratie est forte, en tant qu’artiste, il est important d’alerter les pays où la démocratie est naissante, encore fragile. De montrer qu’il y a des systèmes qui fonctionnent, des outils qui existent pour ex- primer ses opinions sans sombrer dans la violence.

La fragilité du Sénégal et de l’Afrique en général vient de là: les citoyens ne font pas usage des droits que la Constitution de leur pays leur confère. Cette fragilité est aussi due à la pauvreté. La corruption arrache la démocratie, la liberté d’expression. C’est un problème assez global et très complexe. Mon travail est une manière d’alerter et de contribuer à une démocratie plus forte.

Pourquoi la chaise est-elle présente dans vos œuvres?

La chaise, ramenée à son état minimaliste, est mon objet de travail principal. C’est un symbole, une référence à la quête du pouvoir, à la mégalomanie, causes des dysfonctionnements de notre société. La chaise marquant le statut social, je l’utilise pour construire mon discours politique.

Quel message souhaitez- vous transmettre à travers Diversité d’assises, présente à l’extérieur de la Nef?

Chanter le multiculturalisme en Suisse. C’est un pays où il existe un environnement qui permet de vivre en harmonie. Toute personne, quelles que soient ses origines, contribue à la consolidation du pays. In- versement, la croix dans la sculpture, le pays en réalité, est le socle qui soutient toutes ces personnes. Aujourd’hui avec les problèmes dans le monde notamment d’intégration, je trouve important de le chanter, de le matérialiser aussi.

Quel regard portez-vous sur le flux de migration actuel?

C’est un phénomène inquiétant, notamment au Séné- gal. Ils sont nombreux à tenter de rallier l’Europe en pirogue. D’ailleurs on a une expression sénégalaise Barça ou Barsakh, qui signifie Barcelone ou la mort. Cette devise montre que

les gens sont prêts à tout. Tambacounda a payé un lourd tribut face à cette immigration. Les jeunes qui prennent les embarcations de for- tune sont sans espoir. Ils n’ont pour la majorité aucune formation professionnelle, aucun espoir de trouver du travail. Des solutions existent pour lutter contre l’émigration au Sénégal, en passant par la culture et la formation. On attend toujours que la solution vienne d’ailleurs, mais je pense que la solution peut être trouvée à Tambacounda-même.

Les gens partent parfois par curiosité. Au bout d’une semaine, ils ont hâte de rentrer, pour raconter ce qu’ils ont vu. J’ai emmené des gens en Suis- se à travers mes projets d’échange artistique. Pour la plupart, après avoir déchanté du mythe de l’Europe, ils sont heureux de rentrer au pays.

–Exposer dans une église a- t-il influencé vos sculptures?

Je parle de multiculturalisme, de diversité, d’équilibre. À travers A chacun son assise, installée dans l’ancienne église du Noirmont, je pose aussi des questions sur l’idéalisme, les religions. Parler de la liberté autour de la croyance. Musulman, juif, chrétien ou athée, peu importe. En Suisse, l’être humain est mis en avant et non sa croyance. Chacun a la liberté d’être libre, de croire ou de ne pas croire. Le Sénégal est un pays laïque, avec plus de 92% de musulmans. Le dialogue islamo- chrétien est chanté partout dans le monde. Je dirais même qu’on a dépassé cet état de dialogue, c’est de la fraternité. Au Sénégal, chrétiens et musulmans s’entraident. La religion n’a jamais été un frein. Chaque religion a sa place, malgré le poids de l’islam. C’est formidable et fondamental.

Propos recueillis par MARIE BOILLAT / Le Quotidien Jurassien

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