Tambacounda : 45 ans après son relogement, Damantang toujours dans la précarité.

 

A Damantang, village situé à une dizaine de kilomètres de Missirah, déguerpi du parc de Niokolo Koba, en 1972, la vie suit son cours. Si les souvenirs de ce déguerpissement restent toujours gravés dans les mémoires, ce village qui manque de tout, espère toutefois se construire.

Sur la gauche de l’axe Tambacounda-Dialacoto, à quelques 17 kilomètres de la commune de Missirah, un petit bourg composé de quelques dizaines de concessions attire l’attention du visiteur. Un petit minaret en construction, des exploitations familiales, des habitats en majorité construits en argile avec des toits en paille font l’essentiel de l’architecture de ce hameau. Damantang est un village qui a été créé, il y a environ près de trois siècles par Fodé Saloum Niabaly, un ancien guide religieux venu du royaume du Gabou. Après avoir passé par les localités de Kamalé, Youkoukou, Wouraké et Néma, il finit par trouver sa terre promise, au milieu de la forêt vierge du parc national de Niokolo Koba. Cette découverte a eu lieu au terme d’une retraite spirituelle de 40 jours. En compagnie de quelques proches, le marabout s’y installa. Mais sur place, il fallait donner, en guise de sacrifice au crocodile blanc, un mouton de la même couleur, tous les premiers lundis de chaque mois. Une façon d’assurer à ce hameau protection et sécurité. A l’arrivée des blancs, Fodé Saloum Niabaly demanda au mythe protecteur de mettre fin à ses jours pour échapper au commandement des Français. « Son vœu sera exaucé car, il est décédé une semaine après sa rencontre avec le crocodile blanc», raconte Sankou Niabaly, chef du village et par ailleurs khalife général de Damantang. Aujourd’hui, cet endroit situé dans le parc Niokolo Koba est devenu un lieu de pèlerinage, un espace de dévotion qui mobilise, chaque année, des milliers de pèlerins venus presque de tous les pays de la sous-région dont la Guinée-Bissau, la République de Guinée, la Gambie et le Mali.

Damantang est un village mythique et mystique avec une histoire tout à fait singulière. Cette localité aura vu défiler plusieurs personnalités politiques de notre pays parmi lesquelles, Léopold Sédar Senghor, Lamine Guèye, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade… et même Macky Sall à une époque où il était ministre. «Alimou Niabaly, héritier de Fodé Saloum Niabaly avait prédit la victoire à Senghor lorsque celui-ci effectuait une tournée de propagande dans la localité. Il avait vu, dans un rêve, les génies du fleuve prononcer les noms de Senghor et de Sékou Touré comme respectivement les futurs hommes forts du Sénégal et de la Guinée», relate-t-il, les yeux jetés au plafond comme pour davantage se rappeler, dans les détails, toute l’histoire.

En cette matinée de mardi, la triste bruine d’octobre menace. Dans le village, le ciel est alourdi par des amas nuageux. Il règne une ambiance monotone et douillette. Le temps semble s’arrêter…

Un déguerpissement qui fait toujours mal
A Damantang, la fragilité des habitats en dit long sur une histoire qui aura bouleversé complètement les esprits. Un épisode de vie dont les souvenirs sont encore gravés dans les mémoires et palpables au coin de chaque ruelle. Selon le Khalife général, Sankou Niabaly, depuis 1972, Damantang, le village de naissance de ses cinq pères «Waliw», a été sorti puis déplacé du Parc de Niokolo Koba. Cela, à la suite d’une décision gouvernementale. «A l’époque, l’Etat du Sénégal avait introduit une demande pour inscrire le Parc de Niokolo Koba sur la liste du patrimoine mondiale de l’Unesco et sur celle du Réseau mondial des réserves biosphères. Cela se fera en 1981», laisse-t-il entendre. D’une superficie de près d’un million d’hectare, le Parc était devenu l’un des précieuses réserves d’Afrique de l’Ouest.

En 1972, pour ficeler un tel projet d’envergure internationale, le Conservatoire nationale du Parc avait fait déguerpir une quinzaine de villages dont celui du Khalife de Damantang. C’est ainsi que le site situé sur l’axe Missirah-Dialacoto a été retenu pour accueillir les populations déguerpies de Damantang. « Ce fut une étape d’une longue galère qui s’obstine à vouloir se pérenniser. Un lot de difficultés et de frustrations anime, au quotidien, l’existence d’une partie des populations ayant accepté la mesure administrative. L’autre partie se sentant humiliée, a quitté le Sénégal pour aller s’installer en Gambie, en République de Guinée ou au Mali pour certains», fait-il savoir avec un brin d’émotion. Le Khalife dit choisir de rester au Sénégal malgré les efforts des pays voisins qui, à l’époque, voulait l’accueillir.

A cette époque, explique Sankou Niabaly, les conditions de départ étaient «très» difficiles. L’administration n’avait offert ni cases, ni vivres, ni puits encore moins de matériaux de construction. Aussi, aucune structure sanitaire n’a été envisagée. On remettait à chaque père de famille 5000 F Cfa et par case. «Nous avons reçu aucun accompagnement, ni d’indemnité à l’époque. On nous a jeté sur ce site sans pour autant nous demander notre avis», regrette-t-il.

Malgré cette situation difficile, Damatang l’éternel, a choisi de conserver son nom. Ce petit village peuplé d’environ 1 000 âmes, se heurt, aujourd’hui, à plusieurs défis dont l’un des non moins importants constitue l’appauvrissement des sols mais aussi l’accès à l’eau portable. Si le temps ne semble pas encore effacer les souvenirs des conditions de déguerpissement du Parc de Niokolo Koba dans la mémoire collective, à Damantang les gens attendent toujours la réparation de ce qu’ils considèrent comme une «injustice». Le chef du village est très remonté contre le pouvoir de Senghor. Il a fallu de beaucoup de médiations pour que son défunt père lâche du lest.

Damantang veut des infrastructures
45 ans après le déguerpissement, à Damantang, la vie continue son cours. Et comme toute cité religieuse, la localité veut se moderniser. Cela, en se dotant de certaines infrastructures et équipements socioéconomiques de base (pistes rurales, eau, énergie et équipements). Le village veut également disposer d’un réseau téléphonique pour réduire son enclavement. «Nous voulons la réhabilitation de la piste qui traverse un affluent du fleuve Gambie, l’obtention d’un groupe électrogène pour les besoins du pèlerinage à l’intérieur du parc. La fourniture en eau potable des pèlerins durant le Ziara ainsi que la dotation en vivres alimentaires…», soutient le Khalife, qui a, aujourd’hui, choisi de rester sur les lieux pour pérenniser l’œuvre de ses ancêtres.

Un différend foncier qui perdure
Si une partie des populations a accepté de rester sur le site où «l’administration lui avait forcé de s’installer à l’époque », cela ne semble pas pour autant régler le problème, pour le moment. En effet, un grand différent foncier oppose, ces dernières années, les habitants de Damantang à un Libanais du nom de Gilbert Khayat. Ainsi, l’épisode de ce déguerpissement ne semble pas encore connaître son épilogue. «La plus grande erreur que l’administration a commise, c’est de nous installer sur un domaine d’un titre foncier datant avant les indépendances et appartenant à un tiers nommé Gilbert Khayat. Ce Libanais d’origine aurait hérité ce titre de son père qui fut ami des colons français», avance Sankou Niabaly. Ainsi, la superficie en question pourrait englober toute une circonscription administrative. «Depuis que cette nouvelle est tombée, plusieurs années après notre installation, ce fut la désolation totale à travers tous les villages concernés. Chaque année, des affrontements sont enregistrés entre nos populations et les ouvriers de Gilbert qui est revenu pour exploiter ses terres. Les populations ont mis hors usage plusieurs de ses engins, véhicules ou autres tracteurs et matériels agricoles», informe le Khalife, qui souhaite attirer l’attention de l’État sur les conséquences que pourrait avoir cette confrontation.

Par Eugène KALY, Ibrahima BA (textes) et Assane SOW (photos)