Vente de migrants: les récits bouleversants des Sénégalais rapatriés de Libye.

 

Comme la majeure partie des immigrés issus de la zone subsaharienne, les Sénégalais n’ont pas échappé à l’enfer libyen. Les témoignages recueillis auprès de ces jeunes sauvés de justesse montrent à quel point leur séjour fut atroce. Récits de quelques-uns des 159 hommes et femmes rapatriés dans la nuit du 4 au 5 décembre dernier.

Macky Aidara, 24 ans (Grand Yoff) : « On ne pouvait ni aller aux toilettes ni prendre un bain »

« On n’était pas allé en Libye pour ne rien faire. On voulait travailler pour soutenir nos parents que nous avons laissés au Sénégal. Nous avons rencontré des difficultés. On nous avait gardés dans des centres de détention appelés « campo », j’ai fait 2 mois jusqu’au jour où nous devions quitter pour une autre étape. Les policiers sont descendus sur les lieux et nous ont embarqués.

Les policiers nous ont amenés ensuite dans un autre centre a Chaba. J’ai quitté le Sénégal au mois de juin dernier. Les policiers nous ont envoyés en prison. Nous avons souffert dans cette prison. Il y avait 1000 et quelque personnes dans la prison. On ne pouvait ni aller aux toilettes ni prendre un bain. On ne mangeait qu’une fois toutes les 24 heures. J’étais élève avant d’abandonner l’école pour me lancer dans le football.»

Youssouf Tounkara, 28 ans (Tamba) : «Mes parents ont dépensé plus d’un million pour me faire libérer »

« Je n’avais pas de travail à Tamba. La situation en Libye est très difficile, surtout dans le désert. Il y a eu plusieurs morts dans le désert libyen. Les personnes tom baient comme des mouches. Ils nous gardaient dans des centres avant de nous mettre sur le marché. On ne mangeait qu’une seule fois dans la journee.

Les conditions dans lesquelles nous étions, étaient très pénibles. J’ai quitté tamba pour aller en Libye. Mes parents ont déboursé plusieurs fois de l’argent pour que je sorte de ces centres. La première fois, ils ont versé la somme de 250.000 FCFA et la deuxième fois 150 000 F CFA et la dernière fois, ils ont payé 350 000 FCFA. »

Samba Ndaw, 22 ans ( Thiès) : « Un policier a tiré sur mon ami à bout portant, devant moi »

« J’ai passé une année en Libye. J’étais mécanicien auto à Thiès. J’ai fait plusieurs fois prison en Libye. Dans la prison de Chaba, nous avons laissé des Sénégalais dans des conditions insoutenables. J’ai payé 200 000 FCFA pour obtenir la liberté. Les policiers passaient tous leur temps à nous frapper. Ils ont tiré une balle et tué un des amis devant moi. Même souffrant, ils ne vous permettaient pas aller vous soigner.

Un autre ami est mort sous mes yeux dans le désert et je ne pouvais rien faire. La voiture est tombée en panne en plein désert et ils nous ont demandé de la soulever. Mon ami était un peu souffrant à ce moment. Le policier s’est débarrassé de lui, en tirant une balle à bout portant. Il y avait 30 personnes dans le pick-up, seules 7 personnes ont survécu. Nous faisons nos besoins sur les lieux où nous couchions. J’ai été sauvé par l’imam du quartier lorsqu’on s’est évadé du centre. Je suis allé me réfugier dans la mosquée et il m’a amené chez lui.»

Abdoulaye Bitèye, 25 ans (Kaffrine) : « Ils nous vendaient comme des moutons »

« J’étais un marchand d’effets de toilette à Kaffrine. Les conditions dans les centres de détention étaient inhumaines. J’ai payé pour la première fois 400 000 FCFA avant d’être a nouveau arrête par les policiers. Ensuite, ils m’ont réclamé 600 000 FCFA. Ils passaient tout leur temps à nous frapper dans les centres, toute la journée.

Parfois, ils battaient à mort certains d’entre nous. C’est pourquoi je refusais souvent d’être près de la porte d’entrée. Lorsqu’ils entraient dans la prison, ils marchaient sur nous. Pour manger, ils nous servaient de la bouillie sans condiments. Ils nous vendaient comme des moutons entre 400 000 et 800 000 FCFA. Ils prenaient des groupes de 1000 personnes pour les vendre. »

Djiby Diop, 25 ans (Fatick) : « On nous servait de l’eau chaude avec du sel pour le dîner »

«J’ai perdu trois de mes amis en cours de route. Nous étions au nombre de 135 personnes dans une embarcation. Seulement 30 ont tenu. J’ai perdu espoir. J’étais parti pour faire sortir mes parents de leur situation. Je ne peux pas rester au pays sans rien faire. Je suis electricien en bâtiment. J’ai passé 2 mois en Libye. On nous a transféré de centre en centre. On mangeait tous les jours de la bouillie. Pour le diner, ils nous servaient de l’eau chaude mélangée avec du sel. Ils nous traitaient comme des esclaves. Certains noirs sont complices avec les Libyens. Ils disaient aux policiers qu’en nous torturant, nous allions appeler nos parents pour leur demander de nous envoyer de l’argent.»

Avec (Observateur) Cheikh Tidiane Sy (stagiaire)