Laser du lundi : 8 mars et zéro marche ou les grimaces d’une démocratie qui patine dans la glu (Par Babacar Justin Ndiaye)

 

« Si Dieu m’avait fait femme, il n’aurait pas fait la fleur » écrivit – dans un style mixé de talent et de perspicacité – Victor Hugo. Ce vieil hommage rendu poétiquement aux femmes, au 18e siècle, par un monument de la littérature française et universelle, prend un supplément de relief, à l’occasion de la célébration de la date mémorable du 8 mars. Au Sénégal, la femme-citoyenne a été fêtée et magnifiée. En revanche, la femme-citoyenne-opposante a été interdite de manifestation puis « lacrymogénee » et embarquée dans les voitures de Police. La députée Marie Sow Ndiaye ne me démentira pas. Même des gamines du cycle primaire (futures femmes et citoyennes de demain) n’ont pas été épargnées par la tornade policière abondamment chargée de grenades. La patrie des héroïnes de Nder – également pays d’Aline Sitoé Diatta – a réussi un inqualifiable tour de force : magnifier effectivement la femme, au cours de la symbolique journée du 8 mars, et la maltraiter fermement, dès le lendemain.

En fait, la classe politique est, à la fois, tendre et cynique avec les femmes. On les célèbre, on les fête, on les finance, on les magnifie – les malmène à l’occasion – et, surtout, on les manipule avec une dose d’habileté insoupçonnée. L’arme impeccable et imparable de la manipulation a pour nom : la séduisante parité. Le virtuose Abdoulaye Wade avait forgé et constitutionnalisé la parité à dessein. Jamais rigoureusement appliquée à l’Assemblée nationale qui est pourtant le berceau et la couvaison des lois, la parité était et reste une offensive de charme en direction de la fraction la plus militante, la plus mobilisable et la plus passionnée sur l’échiquier politique (la gent féminine) que le père du Sopi voulut endormir puis embarquer électoralement dans son schéma de dévolution mi- démocratique et mi- dynastique du pouvoir. On disait à l’époque que la Vice-Présidence de la république (poste créé et non immédiatement pourvu) était réservée à une Sénégalaise. Son successeur, le Président Macky Sall, n’abroge pas la parité juridique mais ne pratique pas la parité mécanique. Il la vante éloquemment dans les discours et lui imprime concrètement un prolongement socio-économique par des financements à profusion. Avec, bien entendu, des arrière-pensées subsidiairement voire principalement électorales.

Malheureusement, les Sénégalaises n’ont pas flairé le piège. Elles ont embrassé cette fausse aubaine. Car, une revendication rageuse de la parité mène tout droit vers la « sexocratie » qui, elle, est aux antipodes de la démocratie par le mérite et dans le mérite. Le mérite est, en effet, sans sexe. La bonne et vraie parité passe par des préalables porteurs de discriminations positives, dans moult domaines et non par le vote hystérique et brutal d’une loi. Par ailleurs, la parité enflammée – sans transition ni assouplissement – casse inévitablement les Partis politiques en deux, en créant le Parti des militantes et le Parti des militants, dans chaque Parti. Qu’on ne mette pas en avant et en exemple la parité rwandaise ! Au Rwanda, c’est le génocide de 1994 qui a accéléré et installé la parité. La guerre et les massacres ciblés ont tellement décimé les hommes (notamment les hommes de l’ethnie tutsie) que la parité a résulté autant de la contrainte démographique que de la loi. A la limite, la parité rwandaise est inversée ; puisqu’elle est en faveur des hommes numériquement et drastiquement réduits, au pays de Paul Kagamé. Bref, la parité d’essence génocidaire n’a aucune teneur pédagogique pour le Sénégal.

Vingt-quatre heures après les festivités du 8 mars, la marche de l’opposition a été interdite et violemment enrayée par les forces de l’ordre. Preuve qu’il existe encore et toujours des haies juridiques, politiques et, singulièrement, des murailles psychologiques en face desquelles, la démocratie sénégalaise, jusque-là coulante et entraînante, patine dans la glu. Personne ne fait l’apologie de la violation des arrêtés et des interdits portant le sceau d’une autorité habilitée. Tout comme personne ne possède un double décimètre, pour mesurer la sincérité du Préfet dans sa marge légale d’appréciation du potentiel de troubles à l’ordre public. Par contre, tous les micros-trottoirs faits par les radios et télévisions ont révélé que beaucoup de citoyens demeurent convaincus que le génie sénégalais peut rendre compatible le respect des dispositions légales et la préservation voire le renforcement des acquis démocratiques. Ces derniers ayant toujours été, à la fois, notre arme diplomatique et notre levier magnétique pour capter les investissements.

Le Talon d’Achille de la vie politique, en général et du système démocratique, en particulier, pivote autour du déficit de confiance entre les acteurs et l‘évaporation des principes chez les élites. Voilà le fâcheux phénomène qui fige le Sénégal dans un surplace inquiétant. Entre 1974 et 1980, Maitre Wade était sûr – c’est lui qui l’a dit sur les antennes de Sud FM – que le Président Senghor (son vrai adversaire) ne le poignarderait jamais dans le dos. Par conséquent, les coups bas ou les coups fourrés de Collin et consorts ne l’inquiétaient pas trop. Psychologiquement, Abdou Diouf n’était pas la copie conforme de Léopold Sédar Senghor. Face à Wade, Diouf coaché par Jean Collin, fut nettement plus rude et rigide. Toutefois, la vérité historique commande de rappeler que nous devons au deuxième Président du Sénégal, un Dialogue politique qui a accouché d’un Code électoral globalement accepté et porteur d’alternance pacifique à l’honneur de sa patrie et de l’Afrique, dans un continent où les successions démocratiques et douces étaient, en 2000, des évènements rarissimes. Dieu sait que les décennies Senghor-Diouf furent très tumultueuses et, parfois, assez houleuses ! Cependant les principes non encore orphelins et l’éthique non encore évacuée du champ du politique cimentaient la confiance sans laquelle, aucun bond qualitatif n’est possible dans une démocratie.

Aujourd’hui, le Sénégal baigne dans une ère de cabrioles politiques et juridiques sans fin. C’est le long printemps de la parole donnée avec emphase puis bafouée avec aplomb : le fameux et contagieux « wakh-wakheet » en langue Ouolof. On brûle, aujourd’hui, ce qu’on a adoré, hier, à la Place de l’Obélisque. Certains qui bouclent maintenant le centre-ville de Dakar, au nom de l’Arrêté Ousmane Ngom, avaient affronté les policiers, au-delà de la Poste de Médina. N’est-ce pas sur ses artères que Moustapha Niasse avait perdu sa chaussure sous les coups des forces de l’ordre ? Toujours au chapitre des postures et des discours modulables à l’infini, le candidat Macky Sall (ancien ministre de l’Intérieur et ancien Premier ministre) avait argumenté avec brio, en faveur de la nomination d’une personnalité indépendante en charge des Elections. L’émission co-animée par Mamadou Ibra Kane et Barka Ba, est récemment postée sur le site Leral.net

Le retour aux principes et le réarmement éthique chez les acteurs politiques et chez les élites de tous bords, constituent indissociablement la planche de salut du Sénégal et son parfait rempart contre les dangereux dérapages. A cet égard, on comprend difficilement que des héros et des pionniers encore vivants de la démocratie (Majmout Diop, Cheikh Anta Diop et Babacar Niang sont morts), qui ont payé physiquement, socialement et professionnellement un lourd tribut à la défense et à la fidélité aux principes de progrès, gardent le silence. Sur le terrain de l’arbitrage entre un pouvoir arc-bouté sur la légalité et une opposition envahie par une colère légitime, on aimerait entendre les voix historiquement et héroïquement autorisées de Landing Savané, Abdoulaye Bathily, Iba Der Thiam, Mamadou Ndoye, Maguette Thiam etc. Avec leurs âges au-dessus de tout plan ou de tout rêve de carrière, avec leurs brevets de persécutés et d’embastillés des dures années de plomb (1970-1980), leurs points de vue et leurs exhortations naturellement vierges de tout parti-pris, stopperont la folle machine de la spirale manifestation-répression qui balafre l’image du pays, casse en deux le potentiel des forces vives et, in fine, hypothèque l’émergence. L’émergence sans concorde nationale étant une utopie.

PS : « La plus cruelle manifestation de désapprobation d’un peuple, c’est son absence des rues. Qu’il siffle mais qu‘il vienne ! ». Cette leçon de Marcel Achard enseigne que le peuple barricadé silencieusement dans les maisons et les salons, est terriblement plus à craindre que les grappes de manifestants marchant et hurlant pacifiquement leurs griefs. Dommage qu’un gouvernement de nains politiques (je ne parle pas de la coalition Benno Bokk Yakaar qui renferme des poids lourds, donc lourds d’expériences, comme Niasse et Tanor) ne soit pas en mesure de se hisser à une telle altitude de lucidité stratégique et de clairvoyance politique, pour le comprendre et aviser en conséquence !

Dakaractu/