Rohingyas violées: vague de naissances attendue

 

Neuf mois après le début de la campagne de l’armée birmane contre la minorité musulmane rohingya, qui a provoqué son exode massif au Bangladesh voisin, les camps de réfugiés se préparent avec anxiété aux naissances d’enfants issus de viols de soldats. Une course contre la montre est engagée.

Dans ces cités de tentes recouvrant à perte de vue des collines rasées de leur végétation, soignants et volontaires rohingyas doivent trouver les femmes cachant leur grossesse, par honte de l’opprobre au sein de cette société très traditionnelle.

Les travailleurs sociaux craignent, au cours des prochaines semaines, des abandons de nouveaux-nés et la mort de femmes en couches dans le secret du plus grand camp de réfugiés au monde.

Elle-même réfugiée rohingya, Tosminara a passé des mois à aider dans l’ombre des femmes enceintes à la suite d’un viol. «Nous leur donnons un mot de passe qu’elles peuvent utiliser lorsqu’elles arrivent à l’hôpital ou au centre de soins. Le garde envoie alors directement la femme au bon endroit», raconte-t-elle.

«Frénésie de violence sexuelle»

«Elles sont souvent timides. Parfois elles ont peur de faire le pas en avant.» Les violences de l’armée birmane, consécutives à des attaques d’une rébellion rohingya, ont poussé une marée humaine de 700’000 personnes à fuir au Bangladesh. Les réfugiés ont apporté avec eux des récits en nombre de massacres, tortures et viols en réunion.

Le nombre de grossesses résultant d’agressions sexuelles contre des Rohingyas est inconnu. Une hausse des naissances dans les camps semble cependant «inévitable» au vu de «la frénésie de violence sexuelle en août et septembre de l’année dernière», a estimé le représentant de l’ONU Andrew Gilmour, sous-secrétaire général aux droits de l’homme.

Un «certain nombre de grossesses» sont en effet attendues, confirme Marcella Kraay de l’organisation Médecins sans frontières (MSF). Au-delà des viols, on estime que 48’000 femmes devraient au total donner la vie cette année dans l’océan de misère des camps du sud du Bangladesh.

Le responsable communautaire rohingya Abdur Rahim dit connaître personnellement deux femmes agressées qui arrivent à leur terme ce mois-ci. «L’armée birmane les a violées. Ces enfants sont de solides preuves de leurs crimes», déclare-t-il à l’AFP.

«Tu seras humiliée»

Dans leur quête pour trouver ces femmes en détresse, les humanitaires se heurtent aux tabous qui dissuadent nombre d’entre elles de venir bénéficier d’un accompagnement. «Parfois les voisins leur disent: ‘Ne te manifeste pas, tu seras encore plus humiliée’. Donc, elles ne veulent pas venir», témoigne Nurjahan Mitu, une médecin formant des aides-soignantes pour le compte de l’ONU.

Certaines femmes se sont présentées dans des cliniques pour avorter, ce qui est légal au Bangladesh jusqu’à 12 semaines. D’autres ont tenté de mettre fin à leur grossesse avec les moyens du bord, aboutissant à des «avortements compliqués, incomplets», explique Daniela Sofia, sage-femme pour MSF.

Selon Andrew Gilmour de l’ONU, qui a visité les camps du district de Cox’s Bazar en mars, des filles jeunes de parfois 14 ans tentent d’interrompre leur grossesse. Daniela Sofia a elle-même aidé une jeune femme de 16 ans à avorter après que l’adolescente se fut présentée en secret à sa clinique, terrifiée que ses proches ne découvrent sa condition. La fille, relate-t-elle, était tombée enceinte après avoir été victime d’un viol collectif de soldats. «Personne ne savait pour ce viol. Sa famille n’était pas au courant», témoigne-t-elle.

Adolescentes invisibles

Dans les allées de terre du campement, les enfants sont partout, mais les adolescentes restent presque invisibles, claquemurées par conservatisme à l’intérieur des huttes par leur famille. Le manque de bras fait qu’il est difficile de savoir combien de femmes souffrent en silence dans les camps. «Il nous est impossible de faire du porte-à-porte», déplore Emu Roy, une sage-femme bangladaise.

La communauté humanitaire craint que les familles ne marient les filles de force pour dissimuler la grossesse, ou que le bébé ne finisse abandonné. «Non seulement vous êtes face à une femme qui a été traumatisée, mais peut venir s’ajouter un enfant qui n’est pas désiré», explique Marcella Kraay de MSF.

Entre août 2017 et mars 2018, l’ONG française s’est occupée de 311 victimes de viol – âgées de neuf à cinquante ans – estimant toutefois que cela ne représente que «la pointe émergée de l’iceberg».

(nxp/ats)