Nicaragua: Ortega et Murillo, un couple «machiavélique»

 

Le 19 juillet 1979, à la tête de l’insurrection qui fait chuter le dictateur Anastasio Somoza, Daniel Ortega devient un héros au Nicaragua. 39 ans après, il s’accroche au pouvoir, avec son épouse Rosario Murillo, réprimant les manifestations qui réclament son départ.

Comparés à Frank et Claire Underwood, duo impitoyable de la série «House of Cards», ou surnommés «Lord et Lady Macbeth», leurs détracteurs dénoncent la dérive autoritaire de ce couple qui gouverne sans partage et veille jalousement sur son image.

Sans surprise, «El Comandante», ex-guérillero aujourd’hui âgé de 72 ans, décroche un quatrième mandat lors du scrutin présidentiel de novembre 2016… dont les principaux partis d’opposition sont tenus à l’écart.

Poignets recouverts de bracelets multicolores et tenues bariolées, sa femme de 67 ans est une poétesse excentrique qui s’affiche en mère du peuple. Après avoir dirigé d’une main de fer la communication et l’agenda de l’exécutif, elle prend à cette occasion la vice-présidence.

Sur les dix enfants élevés ensemble, certains d’union précédentes, la plupart occupent des postes importants dans la politique, l’économie et les médias, de quoi réveiller les mauvais souvenirs dans ce pays habitué aux dynasties familiales.

A partir de 1936, le Nicaragua vit sous la dictature de la famille Somoza, dont le dernier représentant, Anastasio, est renversé en 1979 par la révolution sandiniste, dirigée par Daniel Ortega. Jeudi, en pleine crise, les sandinistes au pouvoir en célèbrent le 39e anniversaire.

Au fil du temps, cet admirateur du Che Guevarra opère une métamorphose, abandonnant le marxisme de ses débuts pour une gestion plus pragmatique du pouvoir.

Le leader de gauche applique désormais scrupuleusement les recommandations du Fonds monétaire international (FMI), dont le projet de réforme des retraites a justement été le détonateur de la colère populaire en avril.

«Dans les années 1980, Ortega faisait partie d’un projet de changement révolutionnaire, à présent, c’est un capitaliste amoureux du pouvoir, qui se consacre à renforcer ses privilèges et sa fortune», déclare à l’AFP l’ancienne guérillera Monica Baltodano, qui a tourné le dos au Front sandiniste de libération nationale (FSLN, gauche) en 2000.

Une chose toutefois n’a pas changé: l’homme à la moustache fournie, qui a délaissé le treillis, s’appuie toujours sur Rosario Murillo, surnommée «la sorcière» par ses détracteurs.

«Machiavéliques»

Tous deux «sont machiavéliques dans le sens où (pour eux), la fin justifie les moyens», commentait fin 2016 Gioconda Belli, ancienne camarade de lutte devenue écrivaine et opposante au gouvernement, dénonçant une «monarchie» au pouvoir.

Accrochée au pouvoir, le couple présidentiel refuse actuellement d’avancer les élections, comme le propose la conférence épiscopale, médiatrice dans cette crise qui a déjà fait près de 300 morts en trois mois, s’attirant les condamnations de la communauté internationale.

Omniprésente à ses côtés, Rosario, ancienne militante sandiniste, décrit cette vague de violence comme «une période d’obscurité» provoquée par des «malins». Dans ses rares interventions, lui parle de «paix», d’«amour» et de «dieu», renforçant l’image d’un tandem déconnecté du quotidien.

A l’aise en français comme en anglais, elle impose ses choix pour orner la capitale de dizaines d’«arbres de vie», géants métalliques illuminés la nuit au coût exorbitant… et jetés à terre ces dernières semaines par les manifestants en colère.

Né le 11 novembre 1945 dans le village de La Libertad, au sein d’une famille de six enfants, Daniel Ortega abandonne ses études de droit pour rejoindre le FSLN avant de passer sept années en prison, où il est torturé.

Lors de son premier mandat, il applique un programme inspiré de l’Union soviétique: étatisation de l’économie, nationalisations, expropriations, alphabétisation.

Sa politique lui vaut une haine tenace des Etats-Unis de Ronald Reagan, qui imposent alors un blocus économique, provoquant des pénuries alimentaires, et organisent la contre-révolution.

Battu dans les urnes en 1990, il retrouve le fauteuil présidentiel en 2006 et semble y prendre goût: malgré une interdiction constitutionnelle, il obtient de la Cour suprême, en majorité sandiniste, l’autorisation de briguer un deuxième mandat consécutif.

En équilibriste confirmé, il parvient alors à apprivoiser les milieux d’affaires, à rassurer les organismes internationaux tout en faisant allégeance au Vénézuélien Hugo Chavez, dont les petro-dollars et les dons en nature alimentent les programmes sociaux du gouvernement.

En 2014, il fait modifier la Constitution pour obtenir de postuler à un nouveau mandat.

Cet habile homme politique, décrit comme froid, pragmatique et méfiant, gouverne reclus dans une résidence de Managua très surveillée.

(nxp/afp)