Birmanie: L’ONU veut exclure l’armée birmane de la vie politique

 

Les enquêteurs de l’ONU réclament que l’armée birmane soit exclue de toute vie politique. Dans leur rapport long présenté mardi à Genève, ils n’appellent pas au retrait d’Aung San Suu Kyi et ne recommandent pas l’envoi d’une mission d’établissement de la paix.

Massacre des Rohingyas

Dans la soirée mardi, la procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, a annoncé l’ouverture d’un examen préliminaire concernant la déportation présumée des Rohingyas par la Birmanie vers le Bangladesh, première étape d’un processus pouvant aboutir à une enquête formelle du tribunal basé à La Haye et, éventuellement, à des accusations.

Il y a quelques semaines, les trois enquêteurs avaient rendu de premières conclusions sur la répression des Rohingyas, dont plus de 700’000 ont fui les violences vers le Bangladesh en un an. Ils demandaient des poursuites contre six hauts responsables de l’armée pour génocide, dont son chef et l’un de ses dirigeants qui était venu en visite officielle en Suisse en 2017.

Mardi, dans un rapport long de près de 450 pages après avoir interrogé près de 880 personnes, la Mission indépendante d’établissement des faits emmenée par Marzuki Darusman a détaillé leurs recommandations. Selon elle, quatre des cinq indicateurs d’un génocide ont été observés.

Les dirigeants militaires dont le chef Min Aung Hlaing «doivent être remplacés», estime M. Darusman. La brutalité des forces armées est «difficilement concevable», a-t-il expliqué devant le Conseil des droits de l’homme.

Le Tatmadaw, le nom de l’armée birmane, a dirigé l’assassinat de milliers de Rohingyas dans l’Etat de Rakhine mais aussi des déplacements forcés, des viols collectifs et l’incendie de centaines de villages. Parfois, des centaines de personnes étaient exécutées.

Pas de mesures généralisées

Jusqu’à plusieurs milliers de femmes ont été victimes de violences sexuelles. Et des dizaines de milliers de personnes ont aussi été déplacées dans les Etats de Kachin et de Shan.

La démocratisation du pays «est désormais à l’arrêt», affirme M. Darusman. Elle ne pourra avoir lieu à moins que le Tatmadaw «ne renonce à son contrôle politique, économique et constitutionnel» sur le pays, a insisté devant la presse son collègue Christopher Sidoti. Les enquêteurs demandent que l’armée soit privée des sièges qui lui sont réservés au parlement.

Elle doit être réorganisée pour revenir à sa mission de défense, tout le contraire de ce qu’elle fait depuis environ 70 ans, selon M. Sidoti. En revanche, pas question de demander l’envoi d’une mission de l’ONU d’établissement de la paix. Ce type de dispositif «n’a pas eu un succès extraordinaire», estime-t-il. Ni des sanctions généralisées qui affecteraient l’ensemble de la population. Les enquêteurs appellent la communauté internationale, qui «a échoué», à des mesures ciblées contre les hauts dirigeants militaires.

De son côté, la cheffe du gouvernement et Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi n’est pas épargnée. Mais les membres de la Mission ne demandent pas sa démission. Les autorités civiles nationales «ont couvert» les actes perpétrés et «ont menti» sans être pour autant responsables de crimes internationaux, souligne M. Sidoti.

Au moins 10’000 victimes

Ce dernier se demande d’ailleurs «qui remplacerait» la Prix Nobel si elle se retirait. En revanche, le parti de Mme Suu Kyi peut changer les lois utilisées pour restreindre les libertés dans le pays, notamment pour la condamnation récente de deux journalistes de Reuters, ajoute encore M. Sidoti.

Face aux conclusions de la Mission, la Birmanie a dénoncé mardi devant le Conseil des enquêteurs partiaux qui ont contribué à «désunir» le pays. Le nouvel ambassadeur auprès de l’ONU à Genève Kyaw Moe Tun accuse les enquêteurs de saper les efforts du gouvernement pour une paix sur le long terme.

De son côté, la Suisse a à nouveau condamné les actes de l’armée birmane. Elle souhaite le renouvellement et l’extension de la Mission. Celle-ci appelle encore à saisir la CPI et à un Mécanisme international et indépendant de préservation des preuves, comme celui sur la Syrie.

La Mission cible aussi avec davantage de détails le rôle de l’ONU depuis 2011 en Birmanie. Elle déplore que le représentant des Nations Unies, après les violences d’août 2017, n’ait condamné que les attaques menées par les rebelles et non les actes de l’armée. Ceux qui ont tenté ces dernières années d’aborder les droits de l’homme ont été «bloqués», selon elle.

Au total, les violences en un an ont fait au moins 10’000 victimes. La Mission souhaite que la Birmanie identifie les personnes tuées ou portées disparues. Ce pays est appelé à collaborer avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et le Bangladesh.

(nxp/ats)