Homophobie en France: Les victimes à l’épreuve du dépôt de plainte.

 

Arcade ouverte, nez cabossé, lèvre fendue: les victimes d’une récente série d’agressions homophobes à Paris ont relayé sur internet leurs visages tuméfiés, pour appuyer leurs plaintes. Le signe d’une «parole qui se libère» dans la communauté LGBT même si passer la porte d’un commissariat en France reste une épreuve.

Dimanche 14 octobre, 3H30, Sofiane (prénom modifié) rentre en bus chez lui, dans le sud-ouest de la capitale. Il est maquillé, ce qui dérange deux hommes assis près de lui. «Sale pédé!», lui lance l’un deux. A la descente, l’un des deux agresseurs le suit, le gifle et brise ses lunettes. Le second, sorti à l’arrêt suivant, le retrouve et lui assène à son tour un coup de poing qui lui ouvre la lèvre.

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L’étudiant de 21 ans se rend dans l’après-midi au commissariat pour porter plainte. L’agent qui le reçoit «s’est absenté pour aller poser des questions à un collègue et ne semblait pas s’y connaître en agressions homophobes», raconte Sofiane. Lorsque le fonctionnaire lui lit le procès-verbal, «il remplace agression homophobe par agression gratuite », affirme-t-il.

Sofiane repart «avec l’idée que ça ne va pas avancer» et décide de publier dans la soirée sur Twitter les photos de son agression. «Je voulais faire bouger les policiers, que l’affaire soit plus rapide», assume-t-il. Il est reconvoqué le lendemain, deux policières «très rassurantes et très compréhensives» reprennent sa plainte et font finalement apparaître le caractère homophobe.

Comme Sofiane, Arnaud Gagnoud, jeune comédien homosexuel agressé en septembre à la sortie d’un théâtre parisien, et Guillaume Mélanie (voir tweet ci-dessus), militant associatif LGBT frappé mardi à la sortie d’un restaurant, ont aussi choisi d’afficher leurs plaies sur les réseaux sociaux, suscitant de nombreux témoignages de soutien, d’anonymes ou de responsables politiques.

«Les victimes supportent de moins en moins de se taire, leur parole se libère», se réjouit Joël Deumier de SOS Homophobie. «Il n’y a pas forcément plus d’homophobie, elle est juste plus visible», ajoute-t-il.

De janvier à septembre, 74 actes homophobes ont été recensés à Paris, contre 118 en 2017 sur la même période, soit une baisse de 37%, a indiqué à l’AFP la Préfecture de police.

Mais, selon Joël Deumier, «derrière quelques cas médiatisés, il reste énormément de personnes qui ne sont pas entendues et n’osent pas aller dans un commissariat».

– «Comme une seconde agression» –

Selon le dernier rapport de SOS Homophobie, qui s’appuie sur l’enquête annuelle «Cadre de vie et sécurité» de l’Institut national de la statistique, seulement 4% des victimes d’insultes LGBTphobes déposent effectivement plainte.

Plusieurs témoignages recueillis par l’AFP font état de refus de plainte ou de la difficulté à faire reconnaître le caractère homophobe.

Crachats, jets de pierre ou de bouteilles, claques: à Gennevilliers (région parisienne), Lyes Alouane, 23 ans, se rend régulièrement au commissariat pour signaler des actes homophobes. «Un jour, alors que je venais pour des injures, un policier m’a dit vous ne pouvez pas portez plainte pour ça !», affirme-t-il. «C’était pour moi comme une seconde agression».

Harcelé par deux voisines qui le traitaient régulièrement de «sale pédé», Alexandre, un étudiant de 21 ans de Saint-Étienne (centre-est), a vu sa plainte refusée. «Pour la policière, ça semblait être une insulte comme une autre. Je suis sorti déboussolé du commissariat», confie-t-il.

«Le turnover des effectifs à l’accueil, avec des jeunes qui n’ont pas forcément encore les bonnes formations» peut générer «ce type de réponses maladroites, qui existent encore malheureusement», reconnaît la commissaire Fabienne Azalbert, cheffe de la circonscription de Sarcelles, au nord de Paris.

Son commissariat dispose d’un pôle doté d’une psychologue et d’une assistante sociale, «pour une prise en compte plus spécifique des victimes». Mais ce dispositif n’existe pas partout.

L’association Flag! des policiers et gendarmes LGBT, qui intervient dans les écoles pour sensibiliser les futures recrues, milite de son côté pour la création d’un service d’accueil dédié aux victimes d’homophobie. «On nous parle de policiers référents dans les commissariats depuis plusieurs mois, mais ce n’est toujours pas en place», déplore son président Mickaël Bucheron.

En attendant, souligne le policier, «des victimes nous appellent régulièrement pour qu’on prenne leurs plaintes car elles appréhendent d’aller au commissariat».

(20 minutes/afp)