LA GRANDE PAGAILLE TRICOLORE

 

La longue marche « bordélique » des bidasses français du Cap-Vert remonte à l’époque coloniale lorsque Saint-Louis était la capitale de l’Afrique occidentale française (Aof).

Profitant des « quartiers libres », la plupart des soldats de l’ancienne puissance coloniale semaient la pagaille et le bordel à Ndar mais aussi dans le centre-ville de Dakar infestés de bars et d’hôtels de passe où ils terminaient leurs soirées bien arrosées. Pour dire que l’affaire Oumar Watt, du nom de ce jeune commerçant sénégalais malmené par des soldats des Eléments français du Sénégal (Efs, ex-forces françaises du Cap-Vert (Ffcv), n’est pas un phénomène nouveau. Cela dit, les virées « coloniales » et autres escapades nocturnes ont beaucoup diminué du fait de la réduction massive des effectifs de soldats français prépositionnés à Dakar dont le nombre est passé de 1200, il y a quelques années, à 350 actuellement. Du temps où notre publication était hebdomadaire, dans les années 90, il se passait rarement un mois où il ne racontait pas dans sa rubrique « faits divers » les frasques et dérapages de ces turbulents soldats français. Cela dit, et pour être juste, il convient de dire que nos marchands ambulants, nos pickpockets, nos escrocs, nos prostituées et nos taximen non plus ne sont pas exempts de reproches. Pour ne pas dire qu’ils ne sont pas des enfants de chœur !

Dakar, dans la presqu’ile du Cap-Vert, à l’instar de chaque capitale d’un territoire de l’Afrique Occidentale Française (Aof) avait sa garnison et ses grands bordels. Casernes militaires coloniales et « bordels » (maisons pour prostituées) ont toujours cohabité. Et qui dit « bordel », évoque, bien sûr des beuveries et des bagarres ! Autrement dit, l’affaire ayant opposé le jeune Oumar Watt à des soldats français à la sortie de la boite de nuit « Le Patio » sise Almadies n’est pas un fait nouveau. Au contraire, la présence des ex Forces françaises du Cap-Vert (Ffvc) a toujours rimé avec des frasques bien avant l’indépendance de notre pays. Avec des unités tournantes, plus de 1.200 soldats français étaient toujours déployés et prépositionnés dans cinq bases militaires principales qu’étaient celles de Ouakam, Bel-Air, Port-Arsenal, Yeumbeul et Rufisque. Il a fallu près de soixante ans après l’indépendance nominale du Sénégal, pour que les Forces françaises du Cap-Vert (Ffcv) soient dissoutes à la demande de l’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade. Plus exactement, il avait demandé la fermeture des bases françaises dans notre pays. Elles ont été remplacées par les Éléments français au Sénégal (Efs), des forces en principe non combattantes, avec un effectif réduit (350) et prépositionnées à Dakar dans le cadre d’un pôle opérationnel de coopération à vocation régionale. A effectif moindre, moins de bordel ! Il est vrai que toute séparation est douloureuse. Et surtout lorsqu’elle concerne une forte démographie militaire dont les brebis galeuses faisaient les charmes du monde interlope de Dakar. D’ailleurs, à la veille du départ de la quasi-totalité des soldats français, notre dirpub MON avait fait un édito « bordelique » au ton anti-impérialiste intitulé : « Une séparation douloureuse, certes, mais ô combien salutaire ». Après s’être félicité du « démantèlement » des bases françaises, notre éditorialiste n’avait pas caché son sentiment de tristesse de voir se séparer des gens avec qui l’on a cohabité pendant soixante ans. Avec qui tant de liens humains se sont tissés et dont la contribution à l’économie nationale (3.000 employés civils sénégalais et domestiques) était immense. « Sans compter l’industrie de la prostitution, l’officielle et la clandestine, qu’ils entretenaient, les bars-restaurants et boîtes de nuit qu’ils faisaient tourner » avait-il regretté, histoire d’exhiber le cordon ombilical ou colonial liant les soldats français du Cap-Vert à la pègre dakaroise.

QUE VOGUE LA PAGAILLE COLONIALE !

De Dakar du bon vieux temps à la récente belle époque des Ffcv, il ne se passe pas un mois (années 90) sans que « Le Témoin/Hebdo » d’alors n’ouvre sa Une sur les frasques de bidasses français. Comme ce fut le cas de cette histoire de coups et blessures dans le cadre d’une bataille rangée entre soldats français et jeunes fêtards de Dakar-Plateau. Les faits s’étaient produits au sortir d’une discothèque « Africa-Star » sise rue Raffenel. Cette nuit là, un groupe de jeunes vagabonds, infiltrés de pickpockets, avait pris trois jeunes soldats français pour de pauvres « touristes ». Se sentant provoqués, les soldats étaient revenus sur leurs pas avant de s’attaquer aux jeunes « gorguis ». Il s’en était suivi une bagarre au cours de laquelle deux parmi les boutefeux ont été blessés par un couteau de combat que détenait l’un des « toubabs ». Alertés, les éléments de la Brigade de gendarmerie de Dakar-Ville (Thiong) s’étaient transportés sur les lieux. Après vérification, ils se sont rendus compte avoir affaire à des troupiers français du 23e Bataillon d’Infanterie de Marine (Bima). Vu leur statut militaire, les accusés de rixe sur la voie publique et tapage nocturne avaient été remis à la Brigade prévôtale de l’Armée française. Deux mois plus tard, nous apprenions que les trois bidasses incriminés étaient aux arrêts de rigueur avant de faire l’objet d’un rapatriement disciplinaire à bord d’un avion Transall pour Paris-Villacoublay. Cette triste et regrettable fin de campagne n’était qu’une affaire de trop perpétrée par des soldats turbulents. Nous avions aussi eu à raconter l’histoire de ce caporal de l’armée française, ivre, qui avait pris les fruits (des pommes !) d’un vendeur guinée qui officiait à l’époque devant le cinéma se trouvant à l’angle de la rue Raffenel où se trouvait le siège de notre journal. Tentant de retenir son chapardeur, le « Diallo » avait été roué de coups par les compagnons du caporal, plus précisément trois bidasses. Les policiers du commissariat central étaient intervenus pour évacuer les quatre soldats français qui avaient été remis plus tard, et après identification, à la prévôté de leur pays. Des scènes semblables à ce qui s’était passé devant l’ « Africa Star » (rixes, disputes, coups et blessures, destructions de biens, injures publiques) étaient monnaie courante à l’époque. Elles se terminaient souvent au commissariat central de Dakar. Au milieu de ce foutoir, se détache un territoire sexuel conquis par des bidasses français et leurs prostituées sénégalaises. Jadis, deux célèbres maisons de passe s’identifiaient à Sodome et Gomorrhe version armée française : l’« Hôtel des Princes » et « Résidence Kermel ». Là aussi, il était courant que des bidasses français et péripatéticiennes autochtones s’esbignent du lit pour aller se « rhabiller » dans les locaux de la Brigade des mœurs dirigée à l’époque par le commissaire Mme Aminata Thiaw Koné. Aux origines des nombreuses disputes et bagarres sanglantes : tarifs exagérés, éjaculations précoces, problèmes de posture, faux billets de banque etc. De nombreux taximen dakarois en ont vu de toutes les couleurs avec les bidasses hexagonaux. Et surtout lorsque des soldats sortent ivres des bars et veulent s’engouffrer à dix (10) voire en surnombre dans un taxi au mépris des places autorisées. Et lorsque les pauvres chauffeurs essayent de contraindre les « passagers » en surnombre à descendre, ils sont souvent bastonnés par des troupiers éméchés. Dans d’autres cas, ce sont les taximen sénégalais qui produisent, eux-mêmes, les étincelles mettant le feu aux poudres avec des tarifs exagérés qu’ils comptent faire payer aux « toubabs » sur fond d’arnaque.

UN « TIRAILLEUR » FRANÇAIS JUSQUE DANS LE QUARTIER…

Cet univers aussi viril, et souvent assez jeune, laisse apparaître des déviations sexuelles aux relents de drame social commises par ces bidasses en campagne extérieure. En tout cas, nombreux sont des soldats voire « tirailleurs » français à lâcher dans leur sillage des adolescentes aux grossesses non-désirées. Si ce ne sont pas des enfants métis abandonnés, puis stigmatisés pour être nés hors mariage d’un père « européen » et d’une fille « indigène ». Jugez-en ! Courant 2003, Mlle N. Kane, jeune lycéenne de 16 ans, domiciliée à Hann-Maristes, tombe enceinte. Deux jeunes hommes sont séparément accusés par cette fille de bonne famille d’être « les » auteurs de sa grossesse. Malheureusement, tous les deux refusent de reconnaitre la paternité. Désemparé, le père de la jeune fille s’en ouvre au commandant de brigade de gendarmerie de Hann pour qu’il parle aux gosses dans l’espoir de connaitre l’auteur de la grossesse. Juste pour que l’enfant soit reconnu à sa naissance par un père. Et rien d’autre ! En sa qualité de père de famille, le commandant de la brigade se rapproche des deux « mis en cause » dans un cadre strictement privé afin de résoudre cette énigme familiale aux allures d’un drame social. Hélas, cette médiation « aquatique » n’a pas péché grand-chose : « Bilahi walahi doumaan ! (Ce n’est pas moi) » ont juré tour à tour les deux jeunes gens. Histoire de dégager en touche ! Deux jours après, l’un d’eux est allé en catimini se confier volontairement au commandant de brigade. S’il a eu à émettre de sérieux doutes quand à son éventuelle paternité sur cet enfant en gestation, et bien qu’il ait couché avec la fille, c’est parce que la fille se faisait régulièrement embarquer par un soldat français résidant à Bel-Air. Aussi bien pour les parents de la fille que pour le « médiateur » de la gendarmerie, cette « nouvelle » donnait ne peut guère justifier un tel refus. Néanmoins, il fut décidé de laisser du temps au temps, meilleur allié de la vérité. Et au bout de neuf mois de grossesse et d’intenses tractations, Mlle N. Kane a accouché d’un enfant métis à la chevelure lisse. Biologiquement, le nouveau-né s’avère être la « copie conforme » d’un père de type « toubab » (Européen). Le « CB » de l’époque explique : « Dès que nous l’avions rencontré pour lui présenter l’enfant, le soldat français a immédiatement reconnu la paternité avant de rembourser tous les frais liés à l’accouchement. Malheureusement, il ne lui restait que quelques semaines de séjour au Sénégal puisqu’il était en fin de mission » nous confie cet ex- commandant de la brigade de gendarmerie de Hann aujourd’hui à la retraite.

A YEUMBEUL, LES «GOBIS» FRANÇAIS A L’EPREUVE DES BARRICADES

Situé à une dizaine de kilomètres de Dakar, le village de Yeumbeul abritait jusqu’en 1990, la plus grande base française du Cap-Vert ou la Station des transmissions de la Marine. Jadis, dans cette caserne qui ressemble à une véritable « métropole parisienne » au cœur d’un village africain, vivaient de nombreux soldats français et leurs familles. L’étroite route de Yeumbeul traversant de nombreux villages traditionnels était la seule et unique voie de communication reliant la base militaire au centre ville de Dakar. Tantôt ivres, tantôt pressés, les résidents français au volant de leur bagnole « pliaient » souvent la route à tombeau ouvert ! D’où les nombreux cas d’accidents dans lesquels des riverains ont été mortellement fauchés par des soldats français. Et chaque victime de trop provoquait la colère des populations qui n’hésitent pas à barrer la route de Yeumbeul empêchant ainsi toute circulation aux soldats. Parfois, c’est l’autobus de ramassage scolaire faisant la navette entre la caserne et le lycée français Jean Mermoz qui subissait la furie des manifestants. D’ailleurs, certains Yeumbeulois se souviennent le jour où les jeunes avaient immobilisé l’autobus avant de prendre en « otage » les élèves. Alertés, les éléments de la brigade de gendarmerie de Thiaroye se sont dépêchés sur les lieux pour faire libérer l’autobus et ses écoliers. Et surtout rétablir l’ordre sur l’axe menant à la Marine française avec l’appui et le concours du Grand Serigne de Dakar de l’époque (1969-1985) feu El Hadj Momar Marème Diop. Domicilié à Yeumbeul, ce grand dignitaire lébou (paix à son âme) a toujours œuvré pour une bonne et pacifique cohabitation entre populations autochtones et soldats coloniaux. Et pour pallier à tout débordement, El Hadj Momar Maréme Diop prenait régulièrement son bâton de pèlerin pour inviter d’abord les jeunes villageois à la retenue. Ensuite, il partait rencontrer les officiers de la base française pour qu’ils rappellent à l’ordre et à la prudence leurs soldats chauffards traversant le village à vive allure. Ainsi ont toujours cohabité sous tension sociale soldats français et jeunes de Yeumbeul. Et ce pendant des décennies !

LA BRIGADE PREVOTALE APRES LES DEGATS…

Ces sortes de troubles à l’ordre public ont obligé à plusieurs reprises l’ancien commissaire central de Dakar, Pape Ahmadou Tall, à fermer l’« Africa-Star », un haut lieu de débauche très fréquenté par les prostituées mineures dont la présence illégale attirait les jeunes soldats français. Et chaque fois que l’ordre public était troublé dans cette boite à putes, les soldats interpellés étaient immédiatement conduits à la Sûreté Urbaine de Dakar avant d’être remis aux gendarmes prévôtaux. Toujours est-il qu’au début des années 80 jusqu’à 2000, nous renseigne-t-on, le commissaire central de Dakar ainsi que les deux commandants de brigades prévôtales sénégalaise et française organisaient, chaque mois, des réunions de coordination afin de limiter les incidents et prévenir les infractions ou incidents relevant de la responsabilité des militaires en dehors des casernes. Des réunions qui se traduisaient également par l’organisation de patrouilles prévôtales dans Dakar-Plateau pour le respect des consignes de sécurité militaires. Ces patrouilles visaient aussi et surtout à débusquer, identifier et sanctionner tout militaire fréquentant des milieux jugés interlopes ou criminogènes. Donc vous conviendrez avec « Le Témoin » que l’éternel bordel semé par les soldats français dans Dakar by Night et encouragé dans certains cas par la mafia dakaroise n’est pas un phénomène nouveau. Autrement dit, que vogue la pagaille (néo)coloniale ! Et puis, le monde de la nuit de Dakar avec ses bars, ses restaurants, ses boîtes de nuit et… ses bordels, a tellement besoin de l’argent des militaires français pour prospérer. Par conséquent, que, de temps en temps, des jeunes soldats français s’accrochent avec des jeunes gens sénégalais de leur âge dans les boîtes de nuit ou les établissements de loisir, quoi de plus naturel au fond. Après tout, nos soldats sur les théâtres d’opérations extérieurs, n’ont pas des comportements très différents de ceux des militaires français à Dakar. A preuve par leurs frasques à Bangui, que nous avions rapportées, et qui avaient entraîné le siège de leur camp par des populations rendues furieuses par la lecture d’un article du « Témoin » à l’époque photocopié à des milliers d’exemplaires et distribué comme des tracts dans la capitale centrafricaine !

Le Témoin