Pape Modou Fall: ‘Le fichier est fiable mais…Le pouvoir peut frauder à partir des listes d’émargement… Karim est victime de l’article L 57″

 

Dans cet entretien que nous a accordé le seul opposant politique Sénégalais ayant siégé en permanence au niveau du comité technique de l’audit du fichier, il ressort deux enseignements fondamentaux. D’abord, que le fichier électoral est fiable et ensuite, que le pouvoir, pour se maintenir, peut explorer d’autres créneaux. Pape Modou Fall, Président de ”Deug Moo Woor ” et désormais allié à Cheikh Adjibou Soumaré, invite ainsi l’opposition à prendre ses responsabilités pour empêcher Aly Ngouille Ndiaye d’organiser cette élection présidentielle prochaine au risque de connaître des déconvenues électorales imparables.

Dakaractu : Peut-on savoir Pape Modou Fall pourquoi ”Deug Moo Woor” a choisi de soutenir la candidature de Cheikh Adjibou Soumaré. Qu’est-ce qui a été déterminant dans votre choix ?

Pape Modou Fall : C’est le conseil national du parti qui avait décidé de soutenir le candidat Cheikh Adjibou Soumaré. La raison la plus importante c’est la crédibilité de l’homme. C’est quelqu’un qui a eu à incarner le pouvoir en tant que Premier ministre et ministre du budget et que partout où il est passé, sa gestion est irréprochable. Beaucoup de personnalités politiques sont accusées de mal gouvernance après leur gestion. Ce qui n’est pas son cas. C’est quelqu’un qui connait bien l’État et l’administration… D’autre part,  il connaît très bien la sous-région pour avoir  été Président de la commission de l’Uemoa. Il a de bonnes relations de collaboration  avec les Chefs des États voisins. Ses compétences diplomatiques  ont aussi beaucoup milité en sa faveur.  Pour être un bon Président de la République au Sénégal,  il y a deux choses qu’il faut savoir : il faut bien maîtriser la société et en faire autant avec l’appareil d’État, connaître comment les institutions fonctionnent.

Vous avez participé au processus électoral. Comment appréciez-vous le fichier électoral ?
Là c’est plus l’expert qui parle. Depuis plusieurs mois, j’ai participé au processus électoral. Ce processus est un ensemble d’opérations, d’étapes à suivre. La première étape c’est la phase préparatoire et celle-ci commence par la confection des listes, la publication des listes, la création du fichier général des élections. Dieu a fait que j’ai assisté à toutes ces opérations. J’étais la seule personne qui représentait  l’opposition au niveau du comité technique de l’audit du fichier et j’étais membre du cadre de  concertation sur le fichier électoral. Nous avons remarqué qu’il y a eu beaucoup de manquements lors de la refonte du fichier électoral en 2017. Mais  ces manquements sont en train d’être corrigés. Ce fichier que nous avons est fiable. On a revisité tout cela, on a regardé les cas de doublons, on est en train de les analyser, on a lu le rapport  avec ces 38 recommandations. Tout cela fait que si on nous dit aujourd’hui qu’on a un fichier qui fait plus de 6 millions, qui est publié et que les Sénégalais ont la possibilité de consulter sur internet, que les partis politiques ont la possibilité de regarder et de vérifier si leurs militants sont bien inscrits, que tout candidat peut visiter pour voir si ses parrains sont bien inscrits… autant accepter sa fiabilité. Le ministre vient de dire que les partis ont aussi la latitude, à partir de la semaine prochaine, d’aller au niveau de la DAF et de vérifier la bonne tenue du fichier. Je le dis honnêtement et en tant que citoyen Sénégalais et en tant qu’ expert informaticien, consultant international dans ce domaine, il n’y a pas péril en la demeure dans ce domaine.
Par conséquent, tout le monde peut dormir tranquille. Il n’y aura pas de fraude.
Le ficher est un ensemble d’enregistrements de noms, prénoms, de numéros d’électeurs et d’autres informations qui sont listées. Maintenant, il faut dissocier le fichier général des élections et les listes. Parce qu’il y a trois listes. Il y a les listes provisoires qui souvent sont affichées. Il y a les listes définitives qui sont des listes  consolidées et les listes d’émargement. C’est à ce niveau que la fraude pourra se faire. Il est possible de voler des élections. Ça, je le maintiens. Ces listes qui sont au niveau des bureaux de vote peuvent se retrouver avec des omissions expresses. Ces omissions peuvent, cumulées, permettre au voleur d’empêcher rapidement à 250.000 personnes de voter. Dans les 47 départements, il suffira de supprimer des électeurs de la liste. Et cela peut se faire sans que nul ne s’en rende compte véritablement. C’est pourquoi, il nous faudra être vigilant.
Y a-t-il d’autres créneaux, qui explorés, pourraient faciliter la fraude ?
Je considère que le ministre des élections, qui est un ministre Apériste,  fera tout  pour faire gagner son candidat. Ce serait une erreur pour  l’opposition de ne pas suffisamment se battre pour empêcher Aly Ngouille Ndiaye d’organiser ces élections.
Il y a aussi la Cena qui doit être revisitée, mais surtout le Conseil Constitutionnel qui, depuis quelques temps, n’a plus aucune relation avec l’opposition. Il n’y a plus de confiance entre le Conseil Constitutionnel et les acteurs politiques. Cette confiance doit être rétablie pour que tout le monde accepte aisément le verdict des élections, quel qu’il soit. Pour ce qui concerne ces créneaux, il y a les lieux et les bureaux de vote. Si on déplace les Sénégalais sans les rediriger au bon endroit, ils risquent de ne pas retrouver leurs centres. On a vu ce qui s’est passé en 2017. Vous vous rappelez, l’opposition lors du référendum avait dit qu’il y a eu des fraudes sur le nombre  de bureaux de vote donné par la direction générale des élections et le nombre donné par le Conseil Constitutionnel. Les deux nombres ne coïncidaient pas.
Par conséquent, aucune chance pour un candidat de l’opposition de gagner ?
Bien sûr ! Pour pouvoir gagner cette élection, il ne faudra pas brûler les étapes. Nous en sommes actuellement à l’étape d’éducation et de formation. Il faut d’ores et déjà former les représentants des candidats au niveau des bureaux de vote. Il y a aussi la sensibilisation qu’il faut faire au niveau des populations pour que le jour du scrutin, elles aillent en masse voter (…).
Un commentaire sur l’affaire Karim et la recommandation du comité des droits de l’homme des Nations-Unies…
Quand les gens ont modifié le code électoral en son article L57 pour introduire tout Sénégalais électeur à la place de tout Sénégalais  simple, je me suis dit : attention ! C’est maintenant que le combat doit commencer. Parce que si on laisse passer cette histoire, ce sera fini. Si on n’est pas électeur, on ne pourra pas être candidat. Mais malheureusement, c’est ce qui s’est passé.
 Le combat de Karim Wade n’est pas encore fini. Nous savons tous que le Crei est une juridiction d’exception qui n’a pas sa raison d’être.  En clair, Karim a été malmené et condamné. Le processus a été accéléré. Pour le bien même des Sénégalais du Sénégal, Karim Wade doit être rejugé.
Dakaractu/