«Gilets jaunes» à Paris «Si on perd cette bataille-là, tout peut s’effondrer»

 

«J’ai été prévenu en milieu de semaine que je serais engagé», raconte cet homme d’une quarantaine d’années, sous couvert d’anonymat et avec un prénom d’emprunt. Il n’est pas CRS (policier anti-émeute), mais travaille dans un commissariat et fait partie des 8.000 agents qui ont été déployés dans la capitale samedi pour la quatrième journée de mobilisation des gilets jaunes, cette fronde sociale de Français modestes dont les manifestations ont plusieurs fois dégénéré.

«Je me dis que ça va être chaud. J’ai déjà fait du MO (maintien de l’ordre, NDLR), mais ce n’est pas mon boulot principal», se rappelle-t-il, alors que des dizaines de policiers ont été blessés lors des manifestations du 1er décembre, qui ont donné lieu à Paris à de rares scènes de guérilla urbaine. Parmi ses compagnons, tous n’ont pas de tenue de maintien de l’ordre. Lui en emprunte une à un collègue qui n’était pas déployé. D’autres s’en bricolent une à partir de leur tenue réglementaire.

«Vous partez en chasse»

Après la violence des émeutes du samedi précédent, où le dispositif sécuritaire n’était pas adapté, les autorités savent qu’elles n’ont pas droit à l’erreur. «Lors des briefings, le message était d’une extrême gravité, ils nous disent que si on perd cette bataille-là, ça peut s’effondrer. Ils nous rappellent l’importance de notre métier pour la démocratie et la République», se souvient-il.

«Samedi matin, je me lève vers 04h00, la boule au ventre. On se retrouve. On forme un groupe d’une trentaine d’effectifs, répartis à quatre par véhicules. Nous avons trois lanceurs de balles de défense (LBD), des grenades de désencerclement à main et des grenades lacrymogènes à main», explique-t-il. Pour préserver son anonymat, les lieux parisiens où il a été déployé ne sont pas identifiés.

A 06h30, le travail commence. «La consigne c’est vous partez en chasse, vous contrôlez tous les groupes à risque », leur explique l’officier qui les encadre. Le procureur de Paris avait adressé des réquisitions permettant de contrôler très largement les gens, et de procéder à de très nombreuses interpellations préventives.

Très vite, «on commence à interpeller. Les deux premiers sont des provinciaux, avec des protections complètes, équipement de motard, protège-tibias, casque, coquille. Plus une matraque télescopique, et une gazeuse. Immédiatement après, ce sont deux jeunes de banlieue avec des gros pétards», se souvient Pierre. A chaque fois, c’est la même chose, les policiers confisquent le matériel prohibé et les interpellés attendent, assis et entravés, qu’un véhicule vienne les récupérer. Au total, les forces de l’ordre procèderont à un nombre record de 1.082 interpellations samedi à Paris.

«On charge, on frappe, on interpelle»

«Tout se passe de manière à peu près propre, même si certains commencent à être alcoolisés et en ont marre d’être fouillés», rapporte le policier. Les incidents commencent à éclater en divers points de Paris en fin de matinée.

«On est alors envoyés en soutien d’autres unités prises à partie et à l’assaut des barricades. Là, on arrête de contrôler et on passe en mode MO. On coopère avec les CRS, les gendarmes. On charge, on frappe, on interpelle. On tire aussi au LBD car nous sommes la cible de projectiles», explique Pierre, qui n’a pas été blessé pendant la journée.

«Et après, les pillages ont commencé, et là, ça a été très chaud. A ce moment, on n’avait plus la notion du temps. On n’avait pas été nourris autrement que par nous-mêmes ou ce que nous donnaient les riverains, qui nous encourageaient», se remémore-t-il.

«Mon père m’a dit: ce sont des gens comme moi»

«Quand on arrive sur les pillages, il y a souvent des barricades de gilets jaunes et on passe plus de temps à libérer la rue et soutenir les pompiers que courir après les pilleurs», déplore-t-il.

Puis vers 20H00, Pierre et ses collègues sont libérés. «On fait un débrief, on se réjouit de ne pas avoir de blessés (39 membres des forces de l’ordre seront blessées sur l’ensemble du territoire samedi, NDLR). On se sent fatigués. Certains travaillent dès le lendemain».

Tout au long de cette journée, il dit «ne pas avoir ressenti de haine anti-flic, mais de la haine contre les institutions et le gouvernement, oui. Des gilets jaunes nous interpellaient en nous disant de les rejoindre».

Interrogé sur ce qu’il pense du mouvement, il répond: «Mon père m’a dit: tape pas trop fort, ce sont des gens comme moi . Je comprends leur mouvement, mais je suis policier. On est beaucoup à penser comme moi, mais notre vocation, c’est de protéger les institutions»

(afp)