Élite américaine: Ces frasques du passé qui resurgissent des cartons.

 

Un de ces fameux «yearbooks» menace de coûter son poste au gouverneur démocrate de Virginie, Ralph Northam. Un autre a manqué de faire dérailler l’entrée à la Cour suprême des Etats-Unis du juge conservateur Brett Kavanaugh, nommé par Donald Trump.

Ces deux recueils illustrés remontent aux années 1980: M. Northam était étudiant en médecine en Virginie, et M. Kavanaugh était lycéen dans une banlieue cossue de Washington. Une époque pré-Facebook, où régnaient cartes postales et téléphones à cadran.

D’où la force de témoignage des «yearbooks», ces albums de souvenirs compilant photos de classe, récits marquants de l’année achevée, voyages scolaires, faits d’armes des «frats» -les confréries étudiantes- ou encore performances des équipes sportives.

Souvent, les élèves y disposent d’une page personnelle. Ils s’y affichent en couple, avec leurs meilleurs amis, y publient de la poésie, des dédicaces, des anecdotes. Les photos sont parfois sages façon CV ou témoignent des bringues rythmant la jeunesse.

Blouse blanche… cagoule idem

Le «yearbook» de 1984 de l’Eastern Virginia Medical School, dont est sorti diplômé Ralph Northam, inclut évidemment des internes en blouse blanche, adeptes de plaisanteries de salle de garde.

Mais on y voit aussi quelques tuniques blanches et chapeaux pointus, une référence univoque au Ku Klux Klan. Sur la page de M. Northam, un cliché montre une personne vêtue de cette tenue illustrant les heures les plus sombres de la ségrégation raciale, à côté d’une autre grimée en Noir.

Après avoir reconnu figurer sur cette photo surgie d’un passé lointain, et s’être excusé, le gouverneur a finalement nié que c’était lui. Les ténors politiques, y compris démocrates, le poussent à démissionner. Ses jours à la tête de la Virginie semblent comptés.

Beuverie et flatulences

Choisi pour siéger à la plus haute juridiction américaine, Brett Kavanaugh a, lui, été accusé en septembre d’une agression sexuelle sur une adolescente de 15 ans, quand il en avait 17.

Du coup, le «yearbook» de son lycée catholique pour garçons de Bethesda, commune huppée près de la capitale fédérale, a été scruté à la loupe.

Il témoigne des beuveries de ces lycéens privilégiés, de leurs moqueries visant des filles soi-disant faciles. Le jeune Brett s’y vante de pouvoir descendre «100 fûts» de bière et blague sur le thème des flatulences.

Cet album a conforté les détracteurs du juge, convaincus qu’il s’est rendu coupable de comportements déplacés à l’égard de ses camarades féminines. Mais, au terme d’une féroce bataille qui a divisé le pays, Brett Kavanaugh est finalement entré à la Cour suprême.

Il a rejoint huit autres sages, dont Sonia Sotomayor. La magistrate avait elle-même été critiquée lors de son processus de confirmation pour avoir cité dans le yearbook de son université de Princeton un homme politique socialiste, Norman Thomas.

L’exhumation de ces albums jaunis par les décennies passées soulève des questions légitimes: existe-t-il un droit à l’oubli des erreurs de jeunesse ? Une personne à 18 ans est-elle la même qu’à 55 ans ?

Racisme historique

Un comportement aujourd’hui stigmatisé pouvait jadis apparaître moins connoté, souligne Philip Cohen, professeur de sociologie à l’Université du Maryland.

Les lycéens des années 1980 «ont des parents nés dans les années 1940 et 1950, l’époque de la ségrégation», explique-t-il à l’AFP.

«En dehors des universités noires historiques, aucun Noir n’a présidé une grande université avant 1995. En 1980, la Chambre des représentants n’avait que 4% de Noirs et il n’y avait aucun sénateur noir. La moitié des adultes se sont opposés en 1983 au nouveau jour férié fédéral en hommage à Martin Luther King».

Le professeur Cohen insiste donc sur l’évolution de «l’admissibilité d’attitudes racistes».

«Si les yearbooks offraient l’occasion aux gens d’afficher leur côté comique, il n’est pas surprenant du tout que cela ait pu inclure ce genre d’étalage raciste aujourd’hui révélé de façon publique. Le changement entre hier et maintenant, c’est qu’on peut forcer un responsable politique à démissionner pour racisme. C’est un progrès», estime-t-il.

(afp)