Il nous faut changer d’attitude vis-à-vis de nous et de ceux qui convoitent nos suffrages

Propos recueillis par Enna / Tambacounda.info /

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Au fil de ses pérégrinations dans la diaspora tambacoundoise, tambacounda.info ambitionne de présenter à travers des interviews le profil d’expatriés dont le cœur et l’esprit restent fortement attachés à leur région natale. Nous avons posé nos questions à Thierno Idrissa Mbow, Tambacoundois, doctorant en sociologie aux Universités Gaston Berger de St.Louis et Paris Sud 11. Sans langue de bois, M. Mbow parle de son parcours, de ses constats et de ses espoirs pour Tambacounda.

Quel est votre parcours et quelles circonstances vous ont amené en France ?

Je suis né à Tambacounda, j’y ai fait l’essentiel de mes études : école plateau, CEM Moriba Diakité, Lycée Mame Cheikh Mbaye. Après l’obtention du baccalauréat, j’ai rejoint d’abord en 1996 la Section de Sociologie de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal où je mène une thèse sous la direction éclairée d’Issiaka-Prosper Lalèyê, professeur des universités et secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences et des Technique ; puis dans le cadre de la thèse, j’ai intégré en 2003 le Collège d’Études Internationales de la Faculté de Droit, d’Économie et de Gestion de l’Université Paris Sud 11. Ma venue en France est liée donc à la réalisation de ma thèse, mais aussi à la distinction que la Maison des Sciences de l’Homme et la Communauté urbaine de Nantes a bien voulu me décerner à travers le prix de recherche « Hampathé Bâ » 2004. Cette distinction m’a permis d’intégrer l’Association des Chercheurs Étrangers de Nantes.

Les conditions d’accueil que vous avez trouvées en France ont-elles été favorables pour mener vos études?

Les conditions d’accueil et d’études en France sont généralement plus ou moins favorables à la réalisation de performances académiques. Cependant, il convient de signaler que les conditions de vie de la plupart des étudiants sont assez dures. En ce qui me concerne, j’ai pu bénéficier du soutien d’Asiyla Gum Company et des appuis logistiques du laboratoire GRAEEP (Groupe de Recherche sur l’Anthropologie, l’Economie et l’Epistémologie de la Pauvreté) que dirige le professeur Gérard Azoulay.

Avez-vous retrouvé des compatriotes tambacoundois en France et avez-vous développé des activités communes ou associatives?

J’ai rencontré en France des concitoyens tambacoundois qui sont acquis à la cause de la région. Il s’agit entre autres de Seydou Kanté géopoliticien, de Sara Ndao philosophe, d’Ibrahima Wagne informaticien, de Moussa Bâ, de Sira Danfakha, d’Oumar Sy, tous géographes, d’Ousmane Cissakho politologue, de Mamadou Cissé et de Nicolas Emmanuel Cabral mathématiciens, de Seyba Mohamet Cissokho et Daouda Dia sociologues, et bien d’autres. Tous ces jeunes cadres que nous venons de citer sont en cycle doctoral dans les plus grandes universités de France. C’est dire que Tambacounda regorge de pas mal de jeunes talents. Quant au second volet de votre question, il faut noter que l’année dernière nous avions pensé mettre en réseau les jeunes élites de la diaspora avec ceux qui sont au pays et qui sont aussi compétents, politiquement engagés et dévoués à la cause tambacoundoise, je pense notamment à Aboubacar Kéba Kanouté, Aly Kanouté, Sidi Kane, Mamadou Diallo, Makhan Sylla, Oumar Sow, pour ne citer que ceux-là. Nous comptons faire de ce réseau un puissant moteur capable d’impulser Tambacounda vers le développement. Je n’oublie pas les autres membres de la diaspora qui sont en Suisse, au Canada et aux USA et qui sont partie prenante de cette initiative.

Vous avez à travers votre parcours universitaire abordé le thème de la pauvreté, quelle est actuellement l’apport des sociologues sénégalais pour l’amélioration des conditions de vie de leurs compatriotes, en particulier à Tambacounda ?

D’emblée je vous dirais, et peut être que vous serez surpris, que le sociologue n’a rien à apporter matériellement mais qu’il a un pouvoir d’éclairage et de proposition extrêmement important et qui est fondamental pour toute œuvre dont le but est d’améliorer les conditions de vie des populations. C’est à juste titre qu’il ne peut pas se prévaloir de disposer de recette toute faite pouvant résoudre tous les problèmes aussi bien matériels que symboliques. Sa tâche est de faire comprendre aux autres la structuration et le fonctionnement de la société, d’éclairer les réalités et les enjeux qui y ont cours en vue de permettre aux acteurs et aux décideurs de mieux gérer leur quotidien, voire leur avenir. Sous cet angle, les sociologues sénégalais ont produit des travaux dont les propositions émises et leurs applications ont permis d’améliorer les conditions de nos concitoyens ruraux et urbains. Les travaux d’Abdoulaye Niang sur l’organisation du secteur informel, de Sambou Ndiaye sur la dynamisation des conseils de quartiers à Saint-Louis, de Fatou Sarr sur les ressorts de l’entreprenariat féminin, de Boubakar Ly sur les politiques de lutte contre la pauvreté au Sénégal, sont quelques apports théoriques considérables qui ont favorisé le progrès économique et social de nos compatriotes. En ce qui concerne le cas spécifique de Tamba, il convient de reconnaître qu’un énorme travail reste à faire. Nous en sommes conscients, des projets d’études sont en vue. Déjà, une thèse de doctorat est en cours de réalisation sur la pauvreté rurale à Tamba (communauté rurale de Missirah) sous la houlette de Fodé Boubou Konaté. D’autres diagnostics sont en train d’être réalisés dans le giron de la problématique de la pauvreté ; il s’agit entre autres des travaux d’Abdoulaye Diané de l’université de Yokohama au Japon, d’Issa Dia de l’université de Dakar. D’autres travaux sont aussi entrepris dans la commune et dans toute la région. L’important, à mon sens, ce n’est pas seulement de produire des connaissances mais que ces dernières puissent servir à quelque chose. Une amélioration des conditions de vie de nos concitoyens ne peut se faire en dehors du cadre politique. Ce sont les politiques en premier qui sont les maîtres d’œuvre de notre bien-être collectif. De ce point de vue, ils sont tenus d’assister et de s’intéresser à tous ceux qui œuvrent pour le développement de la collectivité. Malheureusement tel n’est pas le cas.

Quelles sont vos ambitions professionnelles pour l’avenir?

Je compte, s’il plaît au Seigneur, mener une carrière universitaire comme enseignant-chercheur au Sénégal ou à l’étranger. Mes ambitions pour l’avenir dépassent le cadre strictement universitaire, j’envisage de mettre mes compétences au service de la collectivité tambacoundoise et au-delà de la nation. Dans l’intérêt supérieur de la collectivité, je suis disposé physiquement, intellectuellement et moralement à assumer des responsabilités autant au niveau local qu’à celui national. Cette disponibilité que j’ai, beaucoup d’autres tambacoundois l’ont : ces compétences locales et de la diaspora ne demandent qu’à servir la communauté qui leur est chère. C’est dire que nos ambitions individuelles et collectives ne sont qu’à la mesure des ambitions que chacun de nous nourrit pour Tamba et pour le Sénégal.

En tant que natif de Tambacounda, comptez-vous mettre vos compétences au service du développement de votre région et de quelle manière?

Comme vous le voyez, je suis très sensible à tout ce qui touche Tamba. La situation socio-économique de la région n’est pas reluisante. L’image qui m’habite, à chaque fois que je reviens à Tamba, n’est rien d’autre que ce cadre de vie qui n’évolue pas. L’expression « Tamba dou changer » est en passe de devenir une chanson. L’impression que l’on a est que notre cité est en train de dormir alors que son environnement connaît des mutations. Pourquoi ce profil bas ? Relevons la tête et regardons-nous en face. Disons en toute vérité, à qui revient la faute ? Aux habitants, aux responsables locaux, à l’État ? Chacune de ces entités a sa part de responsabilité; c’est donc tous à ces acteurs qui ont plongé Tamba dans la marginalité politique, économique et sociale que revient la charge de l’extirper de cette situation désobligeante. C’est une question de justice, de moral et de démocratie. Il faut qu’advienne le crépuscule de la langue de bois qui a trop perduré. Pour ma part, je me suis engagé résolument, et ceci depuis plus d’une décennie, à mettre mes si modestes compétences physique, intellectuelle et morale au service de Tamba et du Sénégal. Je suis et je serai toujours aux côtés de ceux qui se battent quotidiennement pour défendre et promouvoir les intérêts Tamba et ceux de notre pays. Dans cet ordre d’idées, en relation avec d’autres compatriotes engagés, nous sommes en train de réfléchir sur le lancement prochain du mouvement « Pour Tamba, Agir Maintenant ». Parallèlement à cela, nous sommes en train de travailler sur un programme spécial devant permettre le décollage socio-économique de Tamba.  

En somme, je pense que l’heure est venue pour que nous ayons une conscience décomplexée : nous Tambacoundois sommes des Sénégalais, nous devons aspirer à avoir et à occuper toutes les responsabilités exerçables au sein des institutions de la République. Certes, à force d’être marginalisés, on a fini par avoir un ressenti de citoyens de seconde zone et par être des complexés. Nos élus qui sont très limités, pas seulement du point de vue des connaissances mais aussi du savoir-être et du savoir-faire, se préoccupent plus de préserver leurs places imméritées que de défendre les intérêts de nos concitoyens. A leurs yeux, la région est manifestement comme un vestige historique destiné à être conservé tel qu’elle est ; on dirait qu’elle n’a, selon eux, pas besoin de se transformer, de se moderniser à l’instar des autres régions en mutation profonde comme Dakar, Thiès, Saint-Louis voire même Fatick. Il est vrai qu’on ne se souvient du cimetière et de son utilité que quand on a un mort à y enterrer. Tamba n’a servi, la plupart du temps – depuis Senghor jusqu’à Wade – qu’à être le dépotoir de fonctionnaires en purgation, de jeunes en début de carrière, de prisonniers récalcitrants, de politiciens véreux et d’arrivistes de tous bords. « Clichés stigmatisants » déploreraient certains ou « Réalités crues » diraient d’autres. Qu’importe ! Une chose est sûre : Tamba demeure dans l’oubli. Et tout silence apparaît comme un acte de complaisance et de complicité. Je ne suis pas un adepte de la langue de bois et mon propos n’est pas de nature séditieuse, mais il exprime une volonté farouche de battre en brèche les discours sédatifs de nos responsables. Il y a un manque de considération notoire de la part de nos élus à l’assemblée nationale et un désintérêt patent de la part de l’Etat.  

Je n’en veux pour preuve l’indifférence des pouvoirs publics quant à la situation de dégradation plus qu’avancée de la route nationale n° 1 reliant Kaolack à Tambacounda. Pourtant, cette route est économiquement et politiquement la plus importante du pays, voire de la sous région. Les conséquences sont énormes pour la population qui se trouve pratiquement coupée de la moitié du pays. Une telle situation a des effets néfastes sur la cohésion nationale. Il ne faut pas que l’hypocrisie des politiques nous voile la face : il y a deux Sénégal celui des « chantiers » et celui des « oubliés ». Les maigres infrastructures qui ont été construites durant l’alternance ont traduit toute la vilénie des pratiques politico-politiciennes abjectes : comment implanter un hôpital hyper moderne dans une forêt quasi inhabitée alors qu’il aurait plus d’utilité dans les grandes villes comme Kédougou, Tamba, Bakel ou ailleurs au Sénégal où les plateaux techniques laissent à désirer. Une telle option relève d’une mal pensée politique. Autre dysfonctionnement dans le choix des lieux, la construction de l’Espace jeune en dehors de l’espace communal contrairement aux autres régions où l’édifice trône au cœur des cités comme par exemple à Saint-Louis. Pour nous, ce n’est pas le fait que le  milieu rural ne soit pas important, bien sûr loin de là ; les villages aussi doivent être développés selon une stratégie régionale cohérente et en fonction des priorités spécifiques des localités. Mais, nous savons que l’animation culturelle et sportive dans nos villages ne dépassent pas deux mois dans l’année (août, septembre qui correspondent aussi aux périodes de travaux agricoles) alors que tout le reste de l’année l’infrastructure risque d’être sous-utilisée car la plupart des jeunes vacanciers rejoignent les centres urbains comme Tamba, Kaolack, Dakar. C’est ici d’une question d’opportunité qu’il s’agit. Ce qui est dommage, c’est que c’est à des fins purement politiques que de pareils choix ont été faits, mais il y a des choses inacceptables que la morale et la rationalité réprouvent. De tels agissements de la part de nos politiques constituent une honte et un danger pour la patrie.

Quelle est la priorité selon vous pour mettre Tambacounda sur les rails d’un changement positif et quels sont les acteurs les plus aptes à enclencher ce changement?

Tambacounda est incontestablement la région la plus riche du pays mais aussi l’une des plus pauvres. Voilà la donne, un contraste qui semble aller de soi. Il n’est pas nécessaire de chercher loin la racine du mal tambacoundois : ce qui est en défaut, c’est le maillon humain qui se trouve être sclérosé et qu’il convient de changer pour permettre à la machine de propulser Tamba vers le développement tant souhaité. La priorité est par conséquent le renouvellement de la classe politique qui, il faut oser le dire, appartient à une autre époque : ses pratiques autant que ses méthodes sont obsolètes et ne collent donc pas aux réalités du nouveau millénaire. Si j’ai un message à transmettre aux jeunes Tambacoundois, c’est de leur dire de travailler à être parmi les meilleurs et d’avoir foi en l’avenir. Nous ambitionnons de bâtir un Tamba moderne dans un Sénégal prospère et soudé de Bakel à Dakar et de Ziguinchor à Saint-Louis.  

Quelle est votre position sur les prochaines élections au Sénégal et quelles sont selon vous les chances de Tamba d’être réellement prise en compte par le pouvoir qui sera mis en place par les urnes?

Notre souhait est que les élections soient transparentes, démocratiques et apaisées. Pour cela, il faudra que cesse premièrement l’intimidation politique exercée à l’endroit des leaders de l’opposition en particulier à l’égard d’Idrissa Seck, considéré comme le principal challenger du Président Wade. Rien ne sert d’activer les démons de la violence, le dernier mot revient au peuple qui décidera en toute liberté à qui confier sa destinée pour les cinq prochaines années. Globalement le bilan de Wade est positif mais il est déséquilibré. Pour le prochain quinquennat, nous souhaitons que la ségrégation territoriale soit abolie et que les violations des droits de l’homme cessent. Ceci passe par une meilleure prise en charge des régions périphériques et une indépendance réelle de l’institution judiciaire. Ce qui permettra de renforcer le développement et la démocratie dans notre pays. En ce qui concerne les intérêts de Tamba, la balle est dans le camp des Tambacoundois et des Tambacoundoises mais aussi et surtout, elle est entre les mains des représentants locaux des partis politiques qui ont la lourde charge de désigner, en accord avec les militants et les directions de partis, les futurs élus locaux et nos représentants au parlement et au Haut Conseil de la République. Quant à l’élection présidentielle, elle est la rencontre d’un homme avec le peuple. Ce sera donc sa personnalité et son programme qui décideront de l’adhésion ou non du peuple à son projet de société. La prise en compte des intérêts de Tamba passe inéluctablement par un changement de posture et de vision : il nous faut changer d’attitude vis-à-vis de nous-mêmes et vis-à-vis de ceux qui convoitent nos suffrages électoraux. Si nous voulons le développement de Tamba, mettons en avant dans le choix de nos représentants, au niveau local et national, les critères de compétence, d’honnêteté et d’engagement à servir les intérêts de Tamba et du Sénégal.

Propos recueillis par tambacounda.info