Tambacounda : un féticheur tue un enfant pris pour un lutin et écope de 15 ans de travaux forcés

La chambre criminelle de Tambacounda a condamné, samedi, dernière journée de sa première session, Téning Diarra, féticheur malien à 15 ans de travaux forcés, pour le meurtre d’un enfant de six ans, apparu à lui sous l’incarnation d’un esprit maléfique, selon ses dires.
Arrêté depuis 2008, Téning Diarra qui parcourait et proposait ses services dans les villages sénégalais le long du fleuve Sénégal a été condamné à 15 ans de travaux forcés, à l‘issue d’un procès “hors du commun où se côtoient monde visible et monde invisible”.
Lors de l’interrogatoire d’audience, aussi bien le juge, l’avocat que le ministère public ont été entraînés par l’accusé dans sa logique de l’invisible, bien que devant juge des faits tangibles.
Le charlatant qui est passé par Golmy, Yaféra Aroundou, etc. dans le département de Bakel a commis le drame à Aroundou où il avait passé la nuit dans une chambre à lui réservée par le chef du village, comme le veut la coutume en vertu du devoir d’hospitalité vis-à-vis de l’étranger.
Le guérisseur qui avait plié bagages à l’aube pour se rendre dans un autre village à la conquête d’une nouvelle clientèle a raconté avoir été, à peine sorti du village, entouré par une horde de djinns.
Devant l’impossibilité de leur tenir tête, il se résout à rebrousser chemin pour attendre le lever du jour chez le chef du village. Mais accroupi devant la maison des Kébé, il dit avoir une nouvelle vision apparue sous forme de lutin qui veut s’en prendre à lui.
“J’ai vu le Kouss Kondrong (lutin) qui voulait me frapper avec un marteau. J’ai esquivé et j’ai pris ma machette pour le frapper. Il a couru, et je l’ai poursuivi dans la maison, quand on a fait le tour d’une chambre, je l’ai accroché au pied et il est tombé et j’ai commencé à le frapper avec ma machette’’, relate le malien.
Quand il est tombé et qu’il tailladait ce qu’il prenait pour un esprit, il s’est rendu compte qu’à la place du Kouss Kondrong, il y avait un enfant, a-t-il poursuivi. “J’ai crié, là le Kouss s’est levé et est parti et c’est l’enfant qui était là”.
Alors alerté par les cris, le grand frère de la victime s’est jeté sur le tueur qui se montrait menaçant pour le maîtriser, a dit le président, rapportant les témoignages de ce denier contenu dans le rapport d’enquête.
Disant regretter son acte qu’il met sur le compte du “destin”, l’accusé a écarté toute idée de sacrifice humain de sa part, notant par contre qu’il lui arrivait de faire des offrandes qu’il déposait dans le fleuve.
“Que se passe-t-il si tu ne fais pas d’offrande ?”, lui demande l’avocat général ?. “Ça se termine toujours par des problèmes”, a-t-il répondu disant être poursuivi par les esprits maléfiques depuis son jeune âge.
A la question du président de savoir s’il fumait du chanvre indien, ou buvait de l’alcool, qui seraient des causes de probables hallucinations, Téning note qu’il ne fait rien de cela, mais qu’il ne fume que la cigarette.
Pour l’avocat général, “malgré le parcours sans histoire dans les différents villages, où Téning est passé jusqu’au jour du drame, les éléments avancés par le mis en cause à la barre ene peuvent objectivement pas être pris en compte dans le dossier dès lors qu’il y a eu mort d’homme”.
Il a requis une peine d’emprisonnement de 20 ans de travaux forcés contre lui.
“Il est vrai que c’est la rationalité qui guide le débat judiciaire, mais ce dossier m’amène à poser le problème de la complexité de l’être humain”, a noté dans sa plaidoirie le conseil Me Aboubacry Deh.
“L’être humain n’est pas un tout rationnel, il obéit également à des éléments qui ont une influence sur son comportement, sa vie psychique”, a-t-il ajouté, relevant que “l’Afrique a ses réalités”.
“Au moment où il s’acharnait sur le garçon, il voyait autre chose”, croit savoir son avocat qui se demande si on peut dire son client était en possession de ses facultés mentales du fait de la gratuité du meurtre commis.
L’avocat a, par ailleurs, battu en brèche l’hypothèse d’un sacrifice humain, estimant que “si tel était le cas, Téning aurait utilisé un modus operandi consistant à attirer sa victime loin du village pour commettre son forfait”.
Il a par ailleurs relevé que l’inexistence de l’expertise psychiatrique de l’accusé est une “insuffisance” de l’enquête avant de souligné être peiné de défendre un tel dossier, en raison de sa sensibilité par rapport à tout ce qui touche à l’enfant.
Me Deh a, toutefois, a demandé à la chambre d’acquitter Téning Diarra et, à titre subsidiaire de lui faire une “application bienveillante” de la loi pénale du fait que “la famille de la victime a pardonné mettant tout sur le compte du destin”.
La chambre a, dans son délibéré, condamné Téning Diarra à 15 ans de travaux forcés.

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