Ismaila et Sixu de Touré Kunda ‘’Pourquoi on ne rentre pas au Sénégal…’’

 

Ismaïla et Sixu Tidiane Touré sont à Dakar pour trois dates. Ils seront ce mercredi même sur la scène de l’Institut français de Dakar. Ils iront après à Mbour pour participer à un festival avant un dernier concert sur la scène de l’Institut français Léopold Sédar Senghor de Dakar. Il est légitime de se demander pourquoi pas Ziguinchor, pour ce retour et la présentation du nouvel album ‘’Lambi golo’’ ? Dans cet entretien avec ‘’EnQuête’’, les frères Touré donnent leurs raisons. Pour ensuite s’exprimer sur la situation politique au Sénégal.

 

Comment vivez-vous ce retour au Sénégal sur la scène musicale ?

Sixu Touré : Nous sommes très contents d’être là. Il y a des jeunes qui ne nous connaissaient pas et nous disons merci à l’Institut français de nous inviter et de leur permettre de nous connaître. Nous serons à Saint-Louis demain (Ndlr, aujourd’hui), à Mbour et puis à l’Institut français de Dakar ce samedi pour des concerts.

Ismaïla Touré : C’est Tidiane qui nous protège et j’espère qu’il continuera de le faire ici parce que je sais qu’il y a beaucoup de vautours.

Qu’est-ce qui vous retient en France ?

Sixu Touré : Le travail.

Ismaila Touré : Et la place qu’on accorde à la culture. Le respect et l’égard qu’on donne là-bas à la culture et aux hommes de culture, on n’a pas la moitié ici.

Quarante ans de carrière et un énième album après une pause de 10 ans. Cela a-t-il une signification particulière ?

Ismaïla Touré : On n’a aucune prétention. On ne fait que ce qu’on sait faire de mieux. Heureusement qu’on n’a pas suivi le chemin que nous avait tracé nos parents, car au bout de 40 ans, on s’aperçoit qu’on ne s’est pas trompé. Je vous garantis que dans encore 10 ans, on a de la matière. Nous avons cet album ‘’Lambi golo’’ et sommes pressés d’en faire un autre, tout en sachant que nous sommes tenus de faire beaucoup mieux. Nous avons plusieurs cordes à notre arc.

Que signifie ‘’Lambi golo’’ pour vous ?

Ismaïla Touré : Nous avons vu que la lutte est un sport hyper important. Nous avons suivi ce qui se passe jusqu’à ce que les gens se mettent à se battre. Nous n’associons pas sport et bagarre. A partir du moment où les gens ont commencé cela, on ne s’y retrouvait plus. C’est ce que l’on dénonce dans cet album. On veut rappeler aux uns et aux autres que ceux qui s’activent autour de ce sport sont de vrais athlètes. C’est également notre façon d’interpeller les populations sénégalaises qui sont toujours en train de perdre leur temps dans des palabres et des détails. Quand on découvre les slogans politiques ici, on est triste. Il n’y a aucun respect dans les propos. La vulgarité dépasse l’entendement. A un moment donné, l’on se dit qu’on ne se reconnaît pas dans ce qu’ils disent. Quelqu’un peut insulter son adversaire aujourd’hui et demain s’allier à lui.

Sixu Touré : Je suis triste quand je vois sur les réseaux sociaux comment les gens réagissent après un combat de lutte. Il y a des gens qui piquent des crises, d’autres pleurent, crient et cela me désole. C’est juste un sport. Le Sénégal est devenu un pays fou. On est en Europe, mais ce qu’on entend et voit ici nous attriste. Cela nous déçoit. Les gens se lancent des piques et s’insultent sur les réseaux sociaux. Le Sénégal ne connaît pas cela. Le Sénégal est uni. Réunissons-nous et oublions les antagonismes. On peut faire la politique en s’opposant, mais sans des insultes, tout de même. Dans cet album, on lance un appel au peuple, aux politiques.

Pourquoi vous ne jouez pas à Ziguinchor ?

Ismaïla Touré : Au cours de nos tournées, les gens nous disent ‘’Ah ! vous êtes des Casamançais.’’ On rétorque : ‘’On était casamançais.’’ Tant qu’il n’y a pas la guerre, nous restons casamançais. On leur dit : ‘’Faites attention, vos enfants s’en vont.’’ On ne peut pas nous, Touré Kunda, venir dans une région où il y a un conflit. A un moment, on s’était dit qu’on n’allait plus jouer à Ziguinchor tant que les choses ne changent pas. On ne pouvait pas être d’un côté ou d’un autre. On a pris cette décision après être intervenu plusieurs fois. Quand abbé Diamacoune vivait, on a été le voir et on a discuté avec lui. Nous pensons que tout le monde en a marre. Personne n’a envie de guerre. Culturellement, la Casamance est une région florissante. A un moment donné, on s’est rendu compte que les gens n’avaient pas les moyens de venir voir les concerts. La priorité était devenue le manger.

Sixu Touré : Ils ne nous ont pas invités. Là, on est en train de voir comment faire pour y aller. S’ils nous invitent, tant mieux. On est là pour le plaisir et vraiment on voudrait y aller. On a grandi à Ziguinchor et notre musique vient de cette région. Il faut aussi que les gens qui nous invitent au Sénégal prennent certaines choses en compte. Ils nous disent souvent : ‘’Venez, venez on va voir.’’ Mais on doit payer nos musiciens. On ne peut pas venir comme ça. On parle de Sénégal émergent, donc il faut payer et bien payer.

Pourquoi vous n’avez pas organisé vous-même un concert populaire. A vous entendre parler, vous avez envie d’aller jouer dans votre région ?

Sixu Touré : Comme je vous l’ai dit, quand on organise des choses à Ziguinchor, on ne nous invite pas.

Mais pourquoi vous ne prenez pas vous-même l’initiative ?

Sixu Touré : On n’en a pas les moyens.

Et vos projets dans la recherche de la paix dans cette région ?

Ismaïla Touré : On va continuer. Les gens qui sont derrière cette histoire ne le font pas de gaieté de cœur, mais dénoncent une injustice. Des fois, on a envie de dire : ‘’Ecoutez, les gars ont raison.’’ Mais l’on sait que c’est très dangereux et très imprudent pour nous de le faire. A un moment, on a eu un discours comme quoi ‘’on laisse faire. A un moment, ils finiront tous…’’. C’est très méchant de penser comme ça. On a fait quatre chansons. Dans ‘’Lambi golo’’, on a fait allusion à cela.

Ismaïla Touré : Vous comprenez donc pourquoi nous ne sommes pas riches (il rit). La musique est une des rares choses que personne ne nous apprendra. On le doit au Sénégal.

Comment appréciez-vous la gestion de la crise casamançaise par le gouvernement actuel ?

Ismaïla Touré : La gestion est hésitante. Cela ne nous permet pas de comprendre les choses. L’on se demande réellement si les gouvernants souhaitent que la paix revienne en Casamance.

Sixu Touré : Senghor a jeté les bases de la démocratie. Il l’a réussi. Abdou Diouf a pris le relais et assuré également. Abdoulaye Wade a travaillé dans le même sillon. Ils ont tous œuvré pour la paix en Casamance. Macky Sall est sur la même voie. Maintenant, tous les opposants sont candidats à la présidentielle. Ils doivent se retrouver au moins sur la question de la résolution de la crise casamançaise. Aucun d’entre eux n’en parle. Ils sont juste là à s’insulter. Peu parlent de la question casamançaise.

Comment avez-vous vécu les derniers évènements survenus dans la région Sud, comme ce qui est arrivé à Bofa-Bayottes ?

Sixu Touré : Ah, j’ai pleuré. J’ai beaucoup pleuré, dois-je dire. Je me demandais comment en est-on arrivé là. Comment a-t-on pu s’en prendre à des gens qui viennent juste chercher de quoi faire bouillir leur marmite. Cela m’a beaucoup touché et attristé. On ne veut plus de ce genre de choses. Chaque évènement du genre survenu dans notre région nous touche, nous attriste, nous meurtrit et à chaque fois on pleure beaucoup.

Revenons à ‘’Lambi golo’’. Etait-ce  important pour vous de vous ouvrir à la jeune génération de musiciens comme le bassiste Alune Wade ou encore Hervé Samb qui ont participé à la réalisation de cet album ?

Ismaila Touré : Absolument ! Cela l’est dans la mesure où on était arrivé à un stade où il fallait revoir les choses. Malgré la distance, on suit tout de même l’évolution de la musique au Sénégal. Dans cette panoplie d’activités qui se passent ici, il y a peu de choses qui nous inspiraient. Il faut le dire, c’était vraiment peu de choses. Je dirais que la totalité de l’art au Sénégal est loin d’être exploitée. Il y a énormément de choses à faire. Nous vivons à l’étranger et là-bas on nous considère comme on considère les étrangers ici. Pas tous quand même. Il y en a qui nous mènent la vie dure à cause du racisme. Malgré nous, nous devons reconnaître qu’à l’étranger, nous sommes aimés et choyés. L’ancien ministre de la Culture, Jacques Lang, y est pour beaucoup. Il a participé à l’éclosion et à l’évolution des Touré Kunda.

Il y a également un grand président qui nous chouchoutait, dans la mesure où sa femme, Danielle Mitterrand, se demandait à chaque organisation de grands festivals, pourquoi les Frères Touré ne viennent pas. A un moment, cela irritait même certains qui parlaient de sectarisme et disaient qu’il n’y en avait que pour nous. Cela nous a beaucoup aidés. Alors on se désole de ce qui arrive aux étrangers qui vivent en France, mais cela ne va pas nous empêcher de dire ce que l’on pense. On est à l’aise là-bas. Ce qui n’est pas le cas de tous les Sénégalais ou Africains y vivant. Concernant les jeunes musiciens, ils ont parfois des visions très osées de la musique. Nous avons été ébahis.

Sixu Touré : Pour cet album, nous avons invité beaucoup d’artistes, surtout des jeunes.  Nous avons invité le grand Manu Dibango que tout le monde connait. Il y a Carlos Santana, Hervé Samb, Cheikh Tidiane Seck, etc. Notre équipe est très jeune. Ces derniers nous respectent. Il faut donner la chance aux jeunes qui ont du talent. Tout le monde est valable. Il faut persévérer. Les artistes cités ici sont ceux qui ont osé aller à l’étranger. Cette jeunesse doit suivre sa passion. Nous sommes contents d’être entourés par des jeunes. Plus de 40 musiciens ont participé à cet album.

Ismaïla Touré : Quelque chose qui nous a beaucoup touchés dans la réalisation de cet album, c’est la participation d’Alune Wade. Il est venu jouer avec nous et quand il a fini de jouer, il a refusé qu’on le paie. Ce garçon a refusé de toucher un centime de ce qu’on lui donnait. Il nous demandait si l’on se rendait compte de ce que l’on faisait et il se demandait, lui, qui allait nous payer pour ce que nous faisons. Pourtant, il n’était pas le seul à avoir participé. Ce qu’on lui donnait était juste symbolique. Et je vous assure qu’il est très difficile de travailler avec nous deux, surtout quand nous avons des points de désaccord.  Alune Wade est un musicien qui m’émeut dans son jeu, sa simplicité, son respect. A chaque fois qu’on se rencontre quelque part sur la route, il est le premier à prendre mon sac pour le porter. Je remercie tout de même tous les musiciens du Sénégal.

Peut-on espérer un rassemblement des générations de musiciens de la Famille Touré, soit pour un album soit pour un concert ?

Sixu Touré : Ce ne serait pas mal. Des retrouvailles seraient bien. Nous sommes une grande famille et souvent il y a des gens qui viennent dire à tel ou tel autre pourquoi tu acceptes ceci ou cela. Personne ne doit interférer dans la famille Touré et dans aucune autre famille d’ailleurs. Il faut unir les gens et ne pas les désunir. Nous les Sénégalais sommes spécialistes de ces choses-là. Il faut aider les artistes. On peut être fan de tel ou tel autre, mais il ne faut pas diviser.

Comment appréciez-vous l’évolution de la musique sénégalaise ?

Ismaïla Touré : Il faut que les musiciens regardent dans le rétroviseur et qu’ils sachent que le succès en musique n’est pas une victoire en soi. Qu’ils sachent aussi que ce n’est pas une histoire de diolas, sarakholés, sérères ou autres. La musique, c’est pour unir. Je déplore la concurrence notée. J’ai vu que les gens ici rivalisent dans l’organisation de concerts dans leur salle-là à Paris ; je ne me rappelle pas du nom. Ah oui, Bercy ! Mais cela ne leur apporte rien. Avant d’aller jouer là-bas, il faut qu’ils se demandent ce que cela peut leur apporter.

Sixu Touré : Ils remplissent les avions de journalistes et autres. Et après ces derniers sont là à dire ‘’Fess na, tothie na, tothie na’’ (Ndlr : c’était rempli et le show a été assuré).

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