Laser du lundi : Un Exécutif national n’est pas une colline de compétences ou un conglomérat de cerveaux. (Par Babacar Justin Ndiaye)

 

Editorialiste informé et écouté, Madiambal Diagne est un commensal du Président de la république. Le directeur de publication du quotidien « LE QUOTIDIEN » est pour Macky Sall, ce que Mohamed Hassanein Heikal du journal cairote, AL AHRAM, fut pour Gamal Abdel Nasser. Une proximité fondée sur l’estime réciproque qui rappelle la relation étroite entre le Général De Gaulle et le journaliste-écrivain Michel Droit. C’est donc une voix digne d’attention, d’écoute et d’intérêt qui nous apprend que le très prochain gouvernement comptera de « nouveaux visages » qui reflèteront « l’efficacité ». Dans le même ordre d’idées, une voix autorisée dans l’entourage du chef de l’Etat (El Hadj Hamidou Kassé) nous signale, en substance, que « les critères de compétence seront primordiaux » dans la formation de la nouvelle équipe gouvernementale.

Ces indications sont claires. La compétence, l’efficacité et la technocratie sont, bien entendu, de jolies terminologies flanquées de séduisantes connotations. Mais, attention, attention et attention ! Une triple invite à la prudence qui est le meilleur barrage à l’erreur. En tant qu’Exécutif national et institution d’essence et de racines profondément politiques, le gouvernement – dans une république et en démocratie – est un chef d’œuvre de dosages. Un échafaudage méticuleux et pointilleux dans lequel toutes les composantes du pays (confessions et régions) doivent être, d’une manière ou d’une autre, représentées. C’est là un quadruple gage d’implication, d’adhésion, de ferveur et de succès. Le savoir-faire et l’expertise étant, bien sûr, les bienvenus dans un gouvernement. Tout comme le Président de la république et son Premier ministre peuvent fort bien y agréger des esprits supérieurs voire phosphorescents.

Cependant, on ne saurait réduire le gouvernement de la République à une colline de compétences ou à un conglomérat de cerveaux. Si un tas de têtes bien faites pouvait générer et/ou garantir les solutions, il suffirait de coopter et d’installer Abdoul Mbaye (HEC), l’Ivoiro-sénégalais Tidiane Thiam (X-Polytechnique) et le Béninois Lionel Zinsou (un Normalien doublé d’un énarque) dans un attelage, pour hâter les béatitudes, en défonçant savamment les portes du Paradis. Gardons-nous des illusions ! L’Histoire récente et ses leçons proches dans le temps sont accablantes. Raymond Barre, « le meilleur économiste de France » avait conduit – en tant que Premier ministre – le Président et non moins technocrate, Valéry Giscard d’Estaing, au naufrage électoral de 1981, face au dinosaure socialiste François Mitterrand. Au Bénin, l’efficacité technocratique de l’expert compétent Lionel Zinsou ne fut pas d’une exceptionnelle utilité, au plan social, pour Yayi Boni. Au Sénégal, le très compétent Mamadou Lamine Loum et son très brillant ministre du Plan, Ibrahima Sall, ont accompagné le Président sortant et candidat Abdou Diouf dans les abysses électoraux du 19 mars 2000. Moralité : l’hégémonie technocratique est un complexe et non une panacée.

La judicieuse, la démocratique, la républicaine et l’orthodoxe gouvernance déploie l’expertise, tant recherchée et tant appréciée, dans le sillage de la légitimité conférée par le suffrage universel, au lendemain d’une victoire électorale. Or donc (comme dirait l’académicien Senghor), ce sont des hommes et des femmes politiques qui ont servi triomphalement de relais et d’interfaces entre le corps électoral et le Président élu. D’où leur poids, leur présence et leur prépondérance indispensables dans tout gouvernement qui se voudra crédible, homogène et, surtout, mobilisateur à l’échelle nationale. L’adhésion vibrante des citoyens étant aussi décisive que la compétence brute. Sans être (les deux) antinomiques. Car, en effet, la torpeur d’une majorité silencieuse et l’hostilité d’une opposition farouche et figée ne favorisent point l’émergence d’une nation avide de développement comme le Sénégal.

Bref, la formation du nouveau gouvernement doit survoler l’absurde hiatus entre l’expertise et la politique, entre la compétence et l’engagement et, enfin, entre l’efficacité et la légitimité. Sans le vote des populations que captent et canalisent les forces, les partis ou les coalitions politiques, Macky Sall serait-il le Premier Sénégalais parmi 14 millions d’autres ? Les hommes et les femmes politiques ne sont nullement des anges ni forcément des experts : ils sont bourrés de qualités et truffés de défauts. Mais, le personnel politique reste, à la fois, le drain et, surtout, le dépositaire d’une parcelle de légitimité. C’est pourquoi, il serait totalement antidémocratique de crucifier la légitimité sur l’autel de l’expertise et dangereusement irréfléchi de sacrifier les dynamiques artisans de la victoire du 24 février 2019, au profit de technocrates blasés. Donc du dosage, encore du dosage et toujours du dosage dans l’érection de l’Exécutif national ! Je rappelle que le Président Léopold Sédar Senghor avait ordonné, dès 1962, aux jeunes technocrates Habib Thiam et Babacar Ba, d’aller à la quête d’une légitimité qui offre aisance et confort dans l’exercice de toute responsabilité élevée. Diplômé, c’est bien. Diplômé et plébiscité, c’est mieux dans et pour un gouvernement.

Par ailleurs, un coup d’œil dans le rétroviseur commande à Macky Sall de hisser l’engagement des aurores – et non la transhumance des crépuscules – à la hauteur de la sélection et des choix en cours. Opportune question : où étaient les technocrates efficaces et les transhumants supposés précieux, lorsque l’étau wadien (politique et policier) se resserrait autour de Macky Sall, entre 2008 et 2012 ? Ils étaient engoncés dans les carapaces douillettes de leurs carrières calmes. Seuls les kamikazes politiques comme Moustapha Cissé Lo, Mbaye Ndiaye, Abou Abel Thiam et Alioune Badara Cissé etc. étaient visibles sur la ligne de front. L’antériorité dans le combat politique est un engagement héroïque à récompenser. Le meilleur ministre de l’Intérieur de l’Histoire de France (après Joseph Fouchet et Raymond Marcellin) fut le gaulliste Charles Pasqua, un non-technocrate, un sans-diplômes, un vendeur de la célèbre boisson ORANGINA. Le baroudeur Charles Pasqua avait, sous ses ordres, les Préfets des Alpes, de la Nouvelle Calédonie, de la Corse etc. C’est-à-dire d’éminents énarques. Faut-il sublimer la compétence relative et sacquer l’engagement absolu ?

Assurément, l’exercice ne sera pas aisé pour le Président Macky Sall. Impossible – dans la formation du nouveau gouvernement – de loger à la même enseigne, des régions qui ont gagné (Matam, Tambacounda etc.) et des régions qui ont été des théâtres de défaites pour Macky Sall, à l’instar de Thiès et de Diourbel ! Ce ne serait ni juste, ni judicieux, encore moins productif. Quant à la Casamance, elle constitue visiblement un casse-tête pour Macky Sall. Dans la région de Ziguinchor, l’opposant Abdoulaye Baldé avait, lors des municipales de 2014, taillé en pièces Benno Bokk Yakaar puis pris le contrôle de la Mairie. En 2019, la base politique du transhumant Abdoulaye Baldé est balayée par le typhon Ousmane Sonko. Que faut-il alors faire de cette région où il est bien nécessaire de transformer l’accalmie en paix ? La laisser en rade (hors du gouvernement) ou y coopter des éclopés et des écrasés par le rouleau compresseur Sonko ? En vérité, le « tout- technocratique » n’a pas la valeur et la vertu abusives qu’on lui donne. Si l’on y ajoute les lugubres échos du Mali voisin, on mesure bien que le prochain gouvernement du Sénégal ne s’occupera pas exclusivement de croissance économique.

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